ESPIONS RUSSES :
TOUJOURS À LA MANŒUVRE.

.Dominique Dubarry (*)
Expert en géostratégie
.

Les espions ont toujours existé. Personne ne pense, sauf à souffrir d’une naïveté pathologique, que leurs activités se sont ralenties avec la fin de la guerre froide. Il n’en est rien évidemment, comme le démontre ici l’auteur, en recensant les activités d’espionnage russe en Europe dans la période récente. Il constate cependant une évolution chez les espions, dans leurs procédés et leur violence.

Souvenons-nous, c’était au temps de la guerre froide. A Londres en 1971 un agent du KGB fait défection. Il se nomme Oleg Lyalin. Ses révélations ont amené le ministre des Affaires Etrangères Sir Douglas Hume à expulser 105 Soviétiques. En France, en 1983, le directeur de la DST Yves Bonnet détient des renseignements capitaux sur le pillage scientifique et technologique dans les services de l’armement (affaire Farewell). Présenté à François Mitterrand,  le dossier entraine une décision présidentielle : 8 jours sont donnés aux 47 diplomates impliqués pour faire leurs valises. Cette sanction française fut suivie par de nombreuses chancelleries européennes qui expulsèrent 250 personnes.

Le temps des poisons.


Aujourd’hui, peu de choses ont changé, on continue à expulser par vagues. L’espionnage russe, en France, reste perçu à travers l’image du KGB soviétique. Remodelé par Poutine et rebaptisé FSB, son activité s’applique en théorie à l’intérieur des frontières de la Fédération de Russie. Le GRU, lui, services de renseignements militaires, est plus méconnu du public. Il a  pour mission de monter les opérations d’espionnage, mais aussi les opérations criminelles, à l’extérieur des  frontières.

Ses procédés ont défrayé la chronique. Le parapluie bulgare, à la pointe imprégnée de poison (la ricine) semble être abandonné.  Alexandre Lytvinenko, en2006, a été empoisonné par du polonium. L’agent double Sergueï Skripal a été empoisonné dans sa maison de Salisbury, en 2018,  par un neurotoxique puissant, le Novitchok. Les quatre assassins incriminés, des agents  du GRU, avaient le sourire facile, ils étaient venus en touristes admirer la cathédrale ! Cette agression violente contre Skripal et sa fille a fait scandale, et provoqué une prise de conscience quasiment unanime dans les services diplomatiques européens. Une quinzaine de pays, dont la France, ont expulsé une centaine d’espions, en majorité du GRU, mais aussi du FSB.

Les tentatives d’espionnage russe en Europe touchent essentiellement les pays de l’OTAN, mais aussi les pays neutres. Deux personnes soupçonnées d’espionnage ont été arrêtées en Suède en février 2019. La deuxième a été remise en liberté, elle agissait sous couverture diplomatique. Cette facilité, l’immunité diplomatique, « est une constante », a déclaré le chef du contre-espionnage suédois, qui a précisé « un tiers de la mission diplomatique russe à Stockholm sont des espions ». L’Autriche, pays neutre depuis le dernier conflit mondial, est le siège de plusieurs Organisations internationales, l’ONUDI, l’OPEP, l’OSCE, l’AIEA. Un colonel autrichien à la retraite a été arrêté en février 1919, il collaborait avec les services secrets russes.

Le temps des hackers


Comment s’est produite la progression de l’espionnage, qui va de pair avec la montée de la violence politique ? Il faut se souvenir de la première cyberattaque massive dans les pays baltes, surtout en Estonie, en 2007. Elle a ciblé bâtiments officiels, banques, entreprises privées, elle a stérilisé toutes communications officielles et privées pendant près de 48 heures.  En  2008, année caractérisée par l’expansionnisme militaire russe en Géorgie et l’occupation de deux provinces, les ingérences russes avec piratage informatique ont obligé le président Obama à expulser 35 diplomates.

Ces ingérences, avec intrusions, piratages et désinformation, se sont multipliée lors d’élections démocratiques en Grande Bretagne, en Allemagne (pour la réélection de la chancelière Merkel), aux Etats-Unis (pour l’élection du président Trump). Cette volonté dominatrice exogène qui anime la guerre hybride (pouvoir d’influence sans usage de la force), a trouvé son succès en Crimée et dans le Donbass en 2014.

Et ça continue


Le général russe Serguei. Serguev, du GRU,  a  installé une base pour activités clandestines à la frontière franco-suisse en 2016-17. Puis il a passé les Pyrénées avec deux agents, Tous trois ont été identifiés à Barcelone à l’époque de la tentative de sécession catalane. Vieille réminiscence des activistes du Komintern aux méthodes expéditives durant la guerre d’Espagne !

L’Estonie et la Russie ont pratiqué un échange sur un pont en février 2018 entre un espion russe recruté par le GRU et un Estonien fort opportunément arrêté 32 jours après la condamnation du Russe. Cet échange n’est pas sans rappelerlefilm de Steven Spielberg, Le pont aux espions. En 2018, la Grèce a expulsé deux diplomates russes et la Lituanie a  condamné un réseau qui agissait pour le compte de Moscou. L’année suivante, un espion russe a été arrêté en Estonie, où le chef des services secrets a précisé que 15 personnes recrutées par le GRU et le FSB avaient été appréhendées ces dernières années.

Le 4 octobre 2018, les Pays Bas ont expulsé 4 espions, parfaitement identifiés en tant que hackers du GRU,  pour piratage informatique de l’OIAC (Organisme pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC). Les mêmes s’étaient concentrées à Lausanne sur l’Agence Mondiale Antidopage et le CIO  (Comité International Olympique). Malgré tous leurs efforts, la Russie a été suspendue des compétitions sportives mondiales pendant 4 ans.

Début août 2019, un Géorgien, ancien combattant en Tchétchénie, est assassiné à Berlin, la justice allemande attribue le meurtre à « des entités étatiques de la Fédération de Russie », et deux diplomates russes sont expulsés. Ces actions létales extrêmes sont menées contre ceux qui sont considérés comme traîtres. Du coup, la justice anglaise a ouvert une enquête sur 14 décès « naturels » de russes résidant en Grande-Bretagne.

Cette recrudescence de l’espionnite se constate dans tous les pays de l’OTAN, les pays neutres et les siège des institutions internationales. Les espions deviennent les vecteurs actifs et même violents dans cet affrontement qui ne reconnaît plus de différence entre la paix et la guerre. Avec l’aide de leurs recrues, ils restent à l’affût des secrets et du fonctionnement des structures régaliennes des Etats, en visant les services de Sécurité, armée et police. Les cyber- offensives, utilisant le binôme espionnage-propagande, vise la destruction, comme l’a connue l’Ukraine en 2014 et comme elle la connait encore aujourd’hui.

(*) Dominique Dubarry

Spécialiste de la commercialisation de produits de défense et sécurité en Amérique du Nord, dans le nord de l’Europe et spécialement dans les trois pays baltes, Lituanie, Lettonie, Estonie. Ancien auditeur de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale et du Centre des Hautes études de l’Armement. Il fut affecté à l’État Major Réserve de la Sécurité Civile de 1989 à 1994 en tant que Lt-Colonel. Il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes français de l’Ukraine et des pays baltes, si longtemps convoités par leurs voisins et trop souvent occupés par eux jusqu’en 1992. Il a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire de l’automobile, puis deux livres « Les Rencontres Franco-Baltes » en 2006, et« France-Pays Baltes » en 2010, traduit en lituanien. Il est l’auteur « D’une mer l’autre, de la Baltique à la Mer Noire: la confluence de deux mondes », livre présenté dans la rubrique LIVRES d’ESPRITSURCOUF du n° 92 du 28 janvier 2019.

Bonne lecture et rendez-vous le 23 mars 2020
avec le n°134 d’ESPRITSURCOUF

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