LA FRANCE A IMPÉRATIVEMENT BESOIN  D’UN DEUXIÈME PORTE-AVIONS.



Article paru dans le numéro 1 d’ ESPRITSURCOUF.fr du 13 février 2017.

Le porte-avions (PA) constitue l’instrument de projection de puissance et de souveraineté par excellence. A l’heure actuelle, douze pays possèdent un ou plusieurs PA ou porte-aéronefs de capacité plus ou moins importante et beaucoup de projets de construction sont lancés, que ce soit en Chine, en Inde ou en Russie notamment. Depuis 2001, avec la mise en service du Charles de Gaulle (CdG), la France s’est imposée comme la seconde nation dans le monde (avec les Etats-Unis) à posséder un PA à propulsion nucléaire : en clair, ce qui se fait de mieux dans le domaine. Et dans le paysage européen également, notre pays reste définitivement le seul à pouvoir aligner un PA à part entière, nos autres partenaires ne disposant que de porte-aéronefs aux capacités plus limitées. Tandis que le CdG devrait encore rester en service jusqu’en 2041, il est temps de prévoir la construction d’un second porte-avions (PA-2).

Au fil du temps, le dossier du PA-2 s’est transformé en une espèce de monstre du Loch Ness dont on parle de temps à autre lorsqu’il fait surface avant qu’il ne replonge dans les profondeurs abyssales des priorités électorales. De plus en plus rares sont les opportunités et les cercles où aborder cette question, également évacuée, sinon occultée par les Livre Blanc successifs consacrés à notre Défense et à notre Sécurité. De moins en moins de militaires tiennent la plume, tandis que les experts civils sollicités (hauts fonctionnaires, universitaires, chercheurs, etc.) se rattachent tous – peu ou prou – à une même école néo-conservatrice qui se soucie de la souveraineté de la France comme d’une guigne…

LES COÛTS ET LES GAINS

En 2001, alors qu’un rapport du sénateur André Boyer, l’avait jugé plus que nécessaire, la Loi de programmation militaire (LPM) 2003-2008 – concoctée en période de cohabitation -, le renvoya à plus tard. En 2007, alors candidat à l’Élysée, Nicolas Sarkozy avait affirmé que le PA-2 était une « évidence opérationnelle et politique ». Mais cette « évidence » ne constituait toujours pas une urgence pour la LPM 2009-2013, pas plus qu’elle ne l’est pour la LPM en cours d’exécution. Cela, en raison bien-sûr des sacrosaintes contraintes budgétaires. « Quand on veut faire quelque chose, on trouve les moyens. Quand on ne veut pas, on trouve des excuses », aimait dire le général George Patton.

En effet, avant de rappeler les évidences stratégiques et diplomatiques du dossier, c’est – avant tout – sur la dimension économique (et pas seulement budgétaire) qu’il faudrait absolument insister, tant celle-ci réclame une véritable révolution copernicienne dans l’habituelle façon de considérer nos efforts de Défense. En effet, au-delà des investissements directs – le Charles de Gaulle (CdG) a coûté environ 4 milliards d’euros et son IPER[1] de 2017 est estimée à 1,3 milliards -, ce choix plus politique que budgétaire entraîne et consolide de multiples retombées en matière d’emplois, de sous-traitance et de recherche. Comme l’a rappelé à de nombreuses reprises l’amiral Bernard Rogel[2] : « lorsqu’on parle du PA-2, on se demande toujours ce que cela nous coûte et presque jamais ce que cela nous rapporte… » Ce que cela nous rapporte est plus difficilement quantifiable, parce qu’évidemment moins immédiat que le montant d’une facture, moins appréhendable parce que touchant des secteurs divers peu connus du grand public.

A cet égard justement, il faut rappeler que deux filières françaises notamment ont beaucoup bénéficié – et continuent à le faire – de la construction et de la remise à niveau du CdG : la première est évidente concernant l’industrie nucléaire de notre pays et ses différents sous-traitants ; moins connues sont les conséquences et les apports à notre filière spatiale, elle-même niche d’excellence et d’investissements dont les retombées concernent l’ensemble du secteur des hautes technologies.

Même si comparaison n’est pas toujours raison, regardons seulement le coût de l’opération Sentinelle[3], déployée au lendemain des attentats de 7, 8 et 9 janvier 2015, censée faire face à la menace terroriste et protéger les « points sensibles » du territoire. Ajoutée à une efficacité des plus discutables, celle-ci dépasse désormais un montant qui excède 500 000 euros ! Certes, eux-aussi difficilement quantifiables, les résultats sécuritaires de Sentinelle n’entraînent assurément aucune – mais alors aucune – conséquence en matière de création d’emploi, encore moins en termes d’investissement, de recherche et d’entraînement économique.

Autre niveau de comparaison : celui des OPEX (opérations militaires extérieures). Comme l’a encore souligné le chef d’état-major de la Marine nationale (CEMM) devant la Commission sénatoriale des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées le 21 octobre 2015 (examen de la LFI 2016), la Marine émarge « très peu au surcoût des OPEX. En moyenne annualisée, la Marine met cinq mille marins en permanence à la mer. Ces cinq mille marins en opérations – qui incluent donc les déploiements du porte-avions – émargent pour moins de 100 millions d’euros sur le 1,2 milliard d’euros affecté aux OPEX ».

Ainsi, en se revenant à la construction du CdG, on peut estimer celle du PA-2 à environ 4 milliards d’euros, une enveloppe certainement surévaluée. En effet, de substantielles économies pourraient être réalisées sur la base des plans existants du CdG, tout en recherchant une mise en commun optimale des équipements des deux navires. Prévoir une enveloppe plus large pour la construction du PA-2 est, sans doute, légitime et justifié au regard des expériences de plusieurs programmes d’armements français ou européens, qui dépassent souvent les montants des devis initiaux. Quoi qu’il en soit, le fait est que l’investissement devrait s’étaler sur près de quinze ans, soit environ 260 millions d’euros par an.

Dans tous les cas de figures, la décision de lancer le programme du PA-2 ramène à une décision foncièrement politique. De fait, celle-ci s’insère dans le cadre d’une volonté plus large d’assainissement des dépenses publiques afin de dégager les marges nécessaires pour la défense et la Sécurité, l’une des priorités du prochain président de la République. Mais surtout, ce choix doit s’accompagner du changement radical et copernicien de perspective ouvert par l’emblématique rapport du Sénat[4] consacré à la maritimisation de l’économie mondiale qui démontre – chiffres à l’appui – comment l’effort français de Défense peut se transformer en axe de croissance, comment le lancement de la construction du PA-2 pourrait dégager nombre de gains en matière d’emplois, d’investissements et de recherche.

NÉCESSITÉ STRATÉGIQUE

La possession d’un porte-avions nucléaire représente, au même titre que notre dissuasion nucléaire, un atout stratégique et symbolique déterminant pour tenir notre rang de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies. En quinze ans de service opérationnel, le CdG a ainsi parcouru l’équivalent de vingt-trois tours du monde et participé à de nombreuses missions de combat majeures. Ces états de service impressionnants sont appelés à s’étoffer encore largement, le PA devant rester en service au moins jusqu’en 2041.

« On essaie d’agréger la puissance maritime européenne autour de ce symbole qu’est le porte-avions », a aussi expliqué le CEMM aux sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, en commentant différents déploiements du CdG, dont le groupe aéronaval a intégré à plusieurs reprises des frégates belge et britannique ajoutant que « ce bâtiment est le dernier de ce type en Europe, au moment où la Chine va en construire quatre, l’Inde également ; où les États-Unis en ont onze qu’ils renouvellent ; où les Britanniques en construisent deux ».

L’amiral Bernard Rogel ajoute : « le savoir-faire de notre groupe aéronaval agit, dans ce contexte, comme un pôle d’attraction des marines occidentales et notamment européennes. Pourquoi les Français baisseraient-ils la garde précisément à cet instant ? Il y a là quelque chose que je ne comprends pas très bien, alors que nous avons réussi à nous maintenir parmi les meilleurs au monde jusque-là ! » Sur le plan stratégique, il ne veut pas que l’on « soit frappé du syndrome du poisson rouge, qui fait un tour de bocal, puis oublie ! ». Et il rappelle que le PA a été régulièrement engagé, notamment quand la France en avait deux, à savoir le Foch et le Clémenceau, au large des Balkans et du Liban.

Comme le souligne le géo-politologue Jean-Sylvestre Mongrenier : « alors que les Etats-Unis redistribuent une partie de leurs moyens navals vers l’Asie-Pacifique, l’enjeu consiste à « partager le fardeau » de la sécurité transatlantique et renforcer la défense de l’Europe. De fait, l’environnement stratégique de l’Europe se durcit. Depuis l’Arctique et la Baltique jusque dans le bassin pontico-méditerranéen (mer Noire et Méditerranée orientale), les forces occidentales sont confrontées à des stratégies anti-accès qui visent à interdire l’ouverture vers ces espaces maritimes. Au plan mondial, les puissances dites « émergentes » accroissent leurs capacités navales et se contestent le principe de liberté des mers, au fondement du mode de vie des « sociétés ouvertes ». Avec quatre porte-avions, l’Europe disposerait en permanence d’un groupe aéronaval. Elle aurait la capacité d’imposer le respect de ses intérêts sur l’océan mondial et pèserait dans les équilibres planétaires ».

Dans le cadre de ces nouvelles cartographies imposées par la mondialisation, le PA « a fait la démonstration que lorsqu’on ne peut pas arriver par les airs ou par la terre, on peut toujours, toujours arriver par la mer. En Afghanistan, c’est le porte-avions français qui est arrivé le premier sur zone ! », plaide le CEMM : « militairement, l’intérêt du porte-avions est évident. Sa possession est une question politique, et pas seulement militaire ». Mais pour être crédible, cet outil de défense global doit assurer – comme c’est le cas pour notre dissuasion nucléaire – une permanence à la mer. La dualité Foch/Clémenceau permettait cette posture : lorsque l’un des deux PA était en révision, l’autre prenait le relais et inversement. Aujourd’hui, avec le seul CdG, nous voguons sur une seule nageoire : lorsqu’il se trouve en « indisponibilité périodique pour entretien et réparations », comme c’est le cas actuellement – et pour seize mois – le Groupe aéronaval et ses capacités de contrôle aéro-maritime, de frappe aéro-terrestres et de renseignement sont indisponibles.

En effet, malgré ses capacités intrinsèques de projection, le CdG possède d’une disponibilité avoisinant les 60% – soit environ 200 jours de mer par an -, principalement à cause du lourd entretien que nécessitent la propulsion nucléaire et plus largement le niveau technologique d’un tel bâtiment. Les périodes de mer alternent ainsi avec plusieurs phases de maintenance incompressibles (maintenance lourde (ATM), maintenance intermédiaire (IEI) et l’entretien courant, etc.).

Au regard de l’ensemble de ces réalités, le choix de lancer la construction du PA-2 permettrait de pouvoir disposer en permanence d’une capacité souveraine de projection et de dissuasion, la disponibilité du Groupe aéronaval étant ainsi assurée à 100% ! Ayons bien à l’esprit que la construction du PA-2 devrait prendre environ quinze ans, ce qui signifie qu’il ne rentrerait en service qu’en fin de vie du CdG. Par conséquent – à plus long terme – et si l’on veut tenir les objectifs opérationnels fixés, il faudrait en réalité prévoir la mise en chantier d’un troisième porte-avions.

Etienne Bellot

[1] IPER : indisponibilité périodique pour entretien et réparations.

[2] Amiral Bernard Rogel : ancien chef d’état-major de la Marine nationale. Il est actuellement le chef d’état-major particulier du président de la république.

[3] Après les attentats du 13 novembre 2015, l’effectif de Sentinelle est porté à 10 000 militaires. 6 500 sont déployés en Île-de-France et 3 500 en Province. Au total ce sont 50 unités qui ont été mobilisées pour faire face à cette augmentation du nombre de militaires participants à l’Opération Sentinelle. À cela s’ajoutent les 1 500 marins qui assurent la défense des approches maritimes de la France et les 1 000 militaires de l’Armée de l’Air qui assurent la sécurité permanente de l’espace aérien français. Cela porte donc à environ 13 000 militaires qui assurent la sécurité sur le territoire métropolitain. Selon le ministre de la Défense, la mission de Sentinelle va au contraire « s’élargir » en étant « plus déployée en province » et en agissant « à la fois sur la sécurisation des frontières », avec les forces de sécurité intérieure, et « sur les flux », notamment dans « les zones touristiques » et « au moment des grands événements culturels ou de musique ». En février 2017, on dénombrait 7.000 militaires (pouvant aller jusqu’à 10.000) déployés sur tout l’ensemble du territoire.

[4] Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans. Rapport d’information de MM. Jeanny LORGEOUX et André TRILLARD, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 674 (2011-2012) – 17 juillet 2012.

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