PENSÉES DE TERRAIN
LETTRES À UN JEUNE ENGAGÉ 

« IMAGINATION »

Général d’armée (2s) Pierre de Villiers
Ancien Chef d’état-major des armées
19/02/2018

Mon cher camarade,

Je vous l’ai dit dans ma lettre (parue dans le n°23 d’ESPRITSURCOUF.fr), il faut beaucoup de courage pour faire bouger les lignes et changer les choses. Mais le courage, seul, ne suffit pas. Il faut aussi de l’imagination. J’aimerais vous en parler, aujourd’hui.

Je peux comprendre que certains d’entre vous puissent être surpris par le choix de ce thème qui – dans l’imaginaire collectif – renvoie davantage à l’art, à la création et au rêve, qu’au métier des armes.

Et pourtant, écarter l’imagination des vertus à cultiver ce serait oublier un peu vite que la conduite de la guerre est un art, qui exige inventivité et originalité. En d’autres termes, la guerre, véritable affrontement de deux volontés, commence toujours par un affrontement des imaginations.

Audace, surprise et dépassement, sont trois fruits de l’imagination ; ce sont, aussi, trois conditions essentielles à la victoire.

  • Audace, d’abord. Dans le “brouillard de la guerre”, rien n’est certain. Et pourtant, rien ne serait pire que de “choisir de ne pas choisir”. L’imagination est la ligne de vie qui permet de s’extraire, à coup sûr, du piège de l’indécision, pour reprendre pied dans le réel et avancer.

Imaginer, c’est aller au-delà de ce que l’on perçoit. Imaginer, c’est envisager ce qui est réellement possible, sans se limiter à ce qui apparaît faisable. Pour gagner, il faut “de l’audace, toujours de l’audace”, sans jamais tomber dans la déraison.

Le Maréchal Leclerc, l’homme du serment de Koufra, avait, d’ailleurs, coutume de dire : “Ne me dites pas que c’est impossible !”. Autrement dit : “Faîtes preuve d’imagination !”.

  • Surprise, ensuite. Dans notre métier, vous le savez, la surprise joue toujours un rôle fondamental ; celle que l’on impose, pas celle que l’on subit ! Surprendre, c’est choisir de faire autrement et non de se limiter à “ce qui s’est toujours fait”. C’est être là où l’on ne nous attend pas. L’Histoire militaire est riche d’enseignements sur ce plan.

Un jour, vous serez, vous-même, appelé à commander. Commander, c’est surprendre ; briser la routine ; casser les habitudes ; entraîner vers des choix nouveaux et imaginer de nouvelles manières de faire. En un mot : innover.

Le Maréchal de Lattre de Tassigny, l’homme de “l’amalgame”, a eu cette formule qui résume, à elle seule, le formidable pouvoir de la surprise et, donc, de l’imagination : “Frapper l’ennemi, c’est bien. Frapper l’imagination, c’est mieux”.

  • Dépassement, enfin. Surmonter les obstacles, se dépasser pour le succès de la mission ; tel est notre honneur au quotidien.

Dans nos armées d’aujourd’hui, dimensionnées au plus juste, l’imagination ouvre des perspectives au travers de l’innovation, de la modernisation et de la transformation. Et sur le terrain, quand toutes les solutions classiques ont été épuisées, reste toujours le “système D” de celui qui n’abandonne jamais.

Pour conclure, je terminerai par une recommandation. Pour être bénéfique, l’imagination ne doit jamais faire abstraction du réel, au risque de verser dans l’imaginaire ou l’idéologie. Elle doit, au contraire, s’ancrer profondément dans la réalité tant il est vrai que “l’imagination est une qualité lorsqu’elle sert, mais un défaut quand elle commande”.

Imagination rime avec vision… Dans une prochaine lettre, j’aborderai la question de l’instinct, dernier caractère du triptyque “courage – imagination – instinct”.

Fraternellement,

Général d’armée (2s) Pierre de Villiers

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