LA LUTTE CONTRE LA PIRATERIE, LA CRIMINALITÉ EN MER ET LA NÉCESSITÉ DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE POUR LA SÉCURITÉ MARITIME

Kapitänleutnant Moritz Brake
Rapporteur d’Europe IHEDN

30/10/2017

Parmi les menaces pour la sécurité maritime internationale visibles, la piraterie reste la plus urgente à combattre. A côté du trafic de drogue, de la traite des blanches, du terrorisme maritime et des interférences de souverainetés (p.ex. blocus, zones de conflits, etc.), les actes de piraterie sont, par leur seul nombre au cours d’une année, une menace sérieuse pour la stabilité régionale et le libre passage du commerce international. Afin de garantir la sécurité maritime de la France et de l’Europe au 21e siècle, il est essentiel de trouver des approches durables pour résoudre – ou du moins pour gérer le risque de piraterie dans les points chauds les plus importants du moment, à savoir le Nigeria – Golfe de Guinée, l’Asie du Sud-Est – Détroit de Malacca, la Somalie – la partie occidentale de l’Océan Indien.

Le but de ce rapport d’Europe-IHEDN est a) de donner un bref aperçu de la menace actuelle partant de la piraterie, b) mettre la piraterie dans un contexte plus large du crime maritime et c) de terminersur les expériences récentes de la lutte contre la piraterie, particulièrement celles faites au large de la Somalie, en s’attaquant au crime maritime en général, incluant le trafic humain en Méditerranée.

En ce faisant, les résultats de notre analyse nous amènent aux recommandations politiques suivantes:

– appliquer le format du Contact Group, couronné de succès, à la crise des réfugiés en Méditerranée;

– renforcer le cadre légal international pour combattre la piraterie et les autres crimes maritimes en faisant ratifier la Convention for the Suppression of Unlawful Acts against the Safety of Maritime Navigation (SUA) dans son protocole de 2005 par la France et l’Union Européenne;

– créer une cour internationale, ou du moins européenne, pour les crimes maritimes – piraterie, trafic d’humains, terrorisme maritime – qui sont par leur nature souvent des crimes internationaux et donc difficile à juger en dehors d’une juridiction internationale.

La piraterie contemporaine

De nos jours – la piraterie définie dans le sens large – va du détournement de bateaux au large de la Somalie pour prendre des otages au petit vol des biens personnels de l’équipage dans les ports et mouillages à travers le monde. Les risques pour les équipages et les enjeux économiques variant en conséquence. En conséquence, les réponses politiques nécessaires doivent être adaptées aux particularité de chaque crise.

Afin de se faire une idée de la situation, la statistique ci-dessous montre l’évolution du nombre total de cas de piraterie dans le monde sur les vingt dernière années.

La fréquence annuelle la plus élevée, qui se situe entre 2009 et 2011 – le point culminant de la piraterie en Somalie, a depuis fortement décliné. Néanmoins la piraterie constitue une menace sérieuse, dans la mesure où elle a tendance à se concentrer sur des proies faciles dans des régions à présence policières faibles. Comme cela apparaît généralement dans un environnement politique fragile, la piraterie a tendance à détériorer rapidement la stabilité régionale. Comme la carte de l’International Maritime Bureau (IMB) Piracy Reporting Centre montre pour 2015, l’ancienne menace à l’ouest de l’Océan Indien a été gardée sous contrôle, alors que la situation reste très dangereuse dans le Golfe de Guinée, en Afrique de l’ouest, de même dans le Détroit de Malacca, en Asie du sud-est.

La piraterie et au-delà

Alors que les incidents de piraterie en cours montrent que cette menace doit être combattue, ceci

particulièrement dans le Golfe de Guinée et dans le Détroit de Malacca, il est clair que la piraterie n’est pas la seule menace à la sécurité maritime. Après tout, l’évaluation actuelle des capacités de Daech ou d’Al-Qaïda ne permettent pas d’exclure qu’ils s’en prennent à des cibles maritimes. Des terroristes ont par le passé ciblés des navires, les plus spectaculaires étant le navire de croisière ACHILLE LAURO (1985, Palestian Liberation Organisation), le bâtiment de guerre US COLE (2000, Al-Qaïda) et le pétrolier français LIMBURG (2002, Al-Qaïda). En plus, des conflits à terre peuvent facilement constituer un risque pour les navires. Comme le montre le l’incident de la flottille de Gaza en 2010, les nations souveraines ont la capacité et le droit interférer dans le droit de passage des navires de commerce, ceci jusqu’à employer la force létale contre eux en cas de suspicion raisonnable de transport de contrebande. En plus de ce que nous venons de voir, la situation des réfugiés en Méditerranée n’a pas seulement amené beaucoup de missions de sauvetages pour le marines européennes, elle a également alimenté un vaste réseau criminel de trafiquants d’humains, qui vont plus d’argent par passage de réfugiés que par la contrebande de drogues et d’armes.

Au même titre que l’Europe doit faire tout ce qu’elle peut pour remédier à la plaie des réfugiés et pour sauver des vies en mer, elle doit trouver une solution afin de mettre fin au crime organisé dans les Etats déstabilisés d’Afrique du nord. De cette manière, il existe des parallèles entre d’un côté la lutte contre la piraterie en Somalie – qui a son effet le plus dévastateur sur la société somalienne elle-même et sur l’environnement immédiat – et de l’autre côté l’objectif de briser le modèle de commerce profitable des trafiquants d’humains: Dans l’intérêt de la stabilité de la Libye, de la Tunisie, de l’Egypte et du Maroc, on ne peut tolérer que le crime organisé s’épanouisse sur la crise des réfugiés se déroulant sur les côtes de l’Europe du sud et du sud-est.

Les leçons apprises des opérations antipirateries récentes

L’expérience des efforts européens et internationaux de lutte contre la piraterie le long des côtes de Somalie offre de nombreux enseignements à la sécurité maritime en particulier et à la sécurité  internationale en général. Bien que les conditions au large du Nigeria ou dans le Détroit de Malacca soient très différentes de celles de Somalie, quelques expériences restent pourtant utiles:

  1. Créer un forum ouvert à la coopération multinationale public-privé, sans l’attacher à une institution internationale établie – un tel Contact Group – a été très efficace en canalisant volontairement le efforts et en multipliant le levier de force et de l’efficacité (c.-à-d.. le secteur de la navigation a introduit des ‘best management practices’ largement acceptées afin d’améliorer la sécurité en coopération avec des acteurs étatiques, ceci dans un domaine où la conformité forcée est difficile à faire accepter).
  2. Beaucoup d’obstacles à une action internationale réussie existent dans le législations internationales: même beaucoup d’Etats européens n’ont pas – et continuent de ne pas adopter– des instruments légaux adaptés à poursuivre les pirates en justice ou à utiliser efficacement leurs force navales pour combattre la piraterie dans le cadre des droit international existant (p.ex. l’Allemagne avait initialement des difficultés de résoudre le problème interne de la différenciation entre les opérations de police civile et l’emploi de la force militaire dans le cas de la lutte contre la piraterie somalienne). Il est crucial de souligner que nombre d’Etats de l’UE n’ont pas encore ratifié le protocole de la 2015 SUA, dont la

France, la Pologne et le Royaume Uni. En plus, le Libéria entant qu’Etat mondial majeur de pavillon commercial, ne fait pas non plus partie audit protocole.

  1. En plus des failles dans les fondements des forces de l’ordre et des lois des Etats pour poursuivre les actes de piraterie et autres crimes maritimes, il n’existe aucune cour internationale qui s’occupe des crimes maritimes qui par nature sont souvent des crimes internationaux:

les victimes, les biens volés ou perdus et les délinquants venant souvent de pays différents, alors que le crime en soi est souvent perpétré en dehors de toute juridiction nationale. Cette compétence juridique confuse mène souvent à des poursuites insuffisantes des crimes maritimes.

Conclusion

L’expérience des succès récents dans la lutte contre la piraterie nous permettent de conclure que les Contact Groups sont des instruments très utiles pour accroître les moyens limités dans le but d’atteindre un objectif commun à chaque fois que de multiples acteurs sont impliqués. Par sa nature même, il est évident que la sécurité maritime, avec des gouvernements travaillant côte à côte avec des entreprises privées dont ils veulent protéger les biens, rend l’utilisation de ces Contact Groups encore plus bénéfiques que dans d’autres circonstances. Ce serait par exemple un forum taillé sur mesure pour s’attaquer à la crise des réfugiés en Méditerranée. Des navires de commerce sont impliqués dans les opérations de sauvetages comme ils croisent les routes des réfugiés, de nombreux acteurs étatiques et non étatiques contribuent à la situation en Méditerranée et y ont un intérêt.

Un Mediterranean Contact Group pourrait fournir un noyau pour la coopération de sécurité et de gouvernance à long terme entre Etats littoraux sur les deux rives de la Méditerranée et les acteurs privés utilisant l’espace maritime intermédiaire.

En plus, s’attaquer à l’insuffisance des instruments légaux pour contrer le crime maritime doit commencer en Europe même: les Etats de pavillons maritimes majeurs (par le nombre de navires enregistrés) comme le Panama, permettent les abordages accordés à l’avance de leurs navires par d’autres navires de guerre ou des pouvoirs publics en haute mer soues le régime du protocole de la

SUA-convention 2005 (p.ex. en cas de suspicion de terrorisme ou de trafic de drogues), alors que la France, le Royaume-Uni ou la Pologne ne le permettent pas. Ceci devrait nous inciter à renouveler notre engagement européen envers la sécurité maritime. Comme l’UE est déjà signataire d’au moins une convention internationale maritime, pourquoi ne pas ratifier la SUA, incluant son protocole 2005, au niveau de l’UE, liant ainsi légalement tous ses Etats membres?

Enfin, si les affaires de crimes maritimes en haute mer étaient jugées devant une cour internationale spéciale, cela amènerait un traitement rapide, efficace et juste des suspects. Le International Tribunal for the Law of the Sea (ITLOS) à Hambourg n’a pas la compétence juridique de condamner des crimes individuels violents et elle manque de moyens de recours en appel. Alors que la International Criminal Court (ICC) de La Haye ne remplit pas les conditions juridiques requises pour traduire en justice des délinquants auteurs de crimes individuels, elle ne peut poursuivre que des crimes de guerre. Il est pour cela recommandé, soit d’étendre la compétence de la ITLOS ou de la ICC aux crimes maritimes en général, ou de créer une cour qui aurait cette compétence. La première prison financée par le NU pour pirates somaliens au Puntland pourrait être un premier Apas. Malgré le fait que la création d’une véritable cour maritime pénale internationale soit peu probable dans un avenir proche, il serait tout à fait possible, de créer dans le cadre du droit international appliqué à la piraterie – et par extension à d’autres crimes comme le terrorisme – (signifiant que n’importe quelle nation puisse, indépendamment de son lien ou non avec une affaire, juger un pirate,) une European Court for Maritime Crimes capable de traiter les affaires de piraterie, de trafic d’humains ou de terrorisme, indépendamment de la nationalité des victimes ou des auteurs de crimes. Ceci pourrait accroître la détermination de poursuivre des crimes qui actuellement restent souvent impunis étant donné que peu d’Etats sont enclins à poursuivre des crimes et des criminels qui ne les concernent pas directement.

 

Recommandations politiques

  1. Installer un Contact Group for the Mediterranean Sea – offrant un forum pour une multitude de concernés publics et privés, avec pour objectif de gérer la crise des réfugiés dans le court terme et donner une gouvernance maritime à la méditerranée à long terme.
  2. Ratifier le 2005 Protocol de la SUA-Convention par l’UE, liant ainsi tous les Etats membres par la convention. A défaut de cela, poursuivre la France et encourager d’autres Etats membres à ratifier. Au-delà de l’Europe, une ratification de SUA 2005 par tous les Etats de pavillon maritimes majeurs devrait être l’objectif de la diplomatie française et européenne.
  3. Renouveler les efforts internationaux pour établir une cour internationale traitant les crimes maritimes. A défaut de cela: installer une European Court for Maritime Crimes englobant la piraterie, le trafic d’êtres humains et le terrorisme maritime. Ceci devrait inclure les installations pénitentiaires correspondantes.

 

Article publié dans  – Vision de la Défense  Européenne – European Defence Vision de septembre 2017,

Revue de l’association EUROPE-IHEDN

 

Bibliographie :

Horseed Media, 03.04.2013, ‘Somalia: New Pirate Prison opened in Puntland’, accédé 30.05.2016

par: https://horseedmedia.net/2014/04/03/somalia-new-pirate-prison-opened-puntland/ IMO Resolution A.1025(26) (2009), CODE OF PRACTICE FOR THE INVESTIGATION OF CRIMES OF PIRACY AND ARMED ROBBERY AGAINST SHIPS accédé 30.05.2016 par : http://www.imo.org/en/OurWork/Security/PiracyArmedRobbery/Guidance/Documents/A.1025.pdf

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December 2014”, accédé 31.05.2016 par: http://www.hellenicshippingnews.com/wp-content/uploads/2015/01/2014-Annual-IMB-Piracy-Report-ABRIDGED.pdf

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IMB Live Piracy Map 2015, accédé 30.05.2016 par : https://www.icc-ccs.org/piracy-

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IMO Briefing 25.04.2013 ; ‘2002 Passenger ship liability and compensation treaty

set to enter into force in 2014’ accédé 30.05.2016 par http://www.imo.org/en/MediaCentre/

PressBriefings/Pages/13-athens-2002-.aspx

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