SERVICE NATIONAL UNIVERSEL
ET
SERVICE MILITAIRE…

 

Général de corps d’armée (2s) Jean-Claude Thomann

L’auteur nous alerte sur le danger de toute mise en parallèle du SNU et de l’ancien service militaire. Si elles peuvent apporter un soutien, les armées seraient submergées si elles devaient le manager.

 

L’avenir de notre pays et de sa capacité à « vivre ensemble », avec le partage par tous les citoyens de ce qui est communément appelé « les valeurs républicaines », suscite une grande inquiétude. On ne reviendra pas ici sur le diagnostic, largement évoqué dans ce dossier. Par contre, en ce qui concerne le traitement du mal qui affecte la composante de notre nation qui est sa plus grande richesse, en l’occurrence sa jeunesse, il paraît urgent de mettre fin au fantasme que constitue le concept de service national universel tel qu’il est actuellement prôné par certains politiques qui en feraient volontiers une (bien pâle) réplique de l’ancien service militaire, bien évidemment confié pour l’essentiel à l’institution militaire.

En fait, dans une société qui perd ses repères historiques s’impose paradoxalement l’image d’une armée dernière gardienne à bien des égards des vertus qui ont fait la République. Et c’est donc assez naturellement que ressurgissent, pour faire face au problème posé, les mânes de feu le service militaire, suspendu « définitivement » en 1996 avec l’adoption du modèle d’armée professionnalisée. Ce service militaire, jadis si critiqué pour ses nombreuses carences, est mis en avant par nombre de seniors qui, avec le recul du temps, le parent de multiples vertus alors que nombre d’entre eux, lorsqu’ils eurent à y participer, ne cessèrent de tenter d’y échapper à coup de sursis et de dispenses, le jugeant de fort peu d’utilité et source de temps perdu et gaspillé, ou encore le contournant en profitant des opportunités offertes par les postes ouverts en ambassade ou en coopération, ou encore des « planques » inhérentes à un dispositif aussi massif. Ce concert des nouveaux convertis a bien évidemment retenu l’attention d’une classe politique nouvelle et dont la jeunesse a, entre autres caractéristiques, le défaut de n’avoir pas été concernée par cet impératif de service militaire et donc le pouvoir de l’idéaliser à peu de frais. Il est dans ces conditions assez aisé d’en faire une, voire la référence pour résoudre le problème d’unité posé à la nation.

Cependant, dès lors que l’on admet qu’une armée professionnelle est indispensable pour faire face aux défis stratégiques de notre temps, la liste impressionnante des obstacles à surmonter, qu’ils soient budgétaires, humains ou matériels, pour en revenir à une forme de service militaire, conduit à en exclure la faisabilité et à tenter d’imaginer un dispositif « inspiré de » ce service mais que les réalités des contraintes tendent à réduire à sa plus simple expression : d’où l’idée d’un service national universel, qui, en quelques semaines et dans une liste à la Prévert des actions à y réaliser, censées pallier les carences antérieures, dont celles de l’Éducation Nationale, redonnerait à la jeunesse l’indispensable formation référentielle qui lui fait aujourd’hui défaut.

Comme le montrent d’autres articles de ce dossier, ce projet relève clairement de l’utopie quant à l’adéquation entre ses objectifs supposés, les possibilités réelles de concrétisation des actions à mener et les résultats à en espérer.

Mais Il faut aussi noter qu’à l’inverse de ce qu’était le service militaire, pour lequel la jeunesse se mettait au service de la nation, le service national universel reviendrait à mettre la nation au service de la jeunesse. Ceci n’est pas rédhibitoire mais marque bien le fait qu’il ne s’agit absolument pas du même paradigme. Et, en l’occurrence et au vu des objectifs poursuivis, le terme de service, utilisé pour son pouvoir évocateur, paraît bien à proscrire : il s’agit en fait d’une période de formation citoyenne, dénuée de toute connotation militaire, qui est désormais mise en avant par ses promoteurs. Et c’est à une sorte de court stage de scoutisme laïque que serait conviée la jeunesse pour acquérir quelques rudiments du vivre ensemble.

On peut également remarquer que la référence au service militaire pose plus ou moins directement la question fondamentale du rôle social de l’institution militaire. Or la finalité du service militaire n’a jamais été en priorité le brassage des classes de jeunes français : celui-ci était un effet induit par le choix stratégique d’une armée de conscription, faisant appel à toutes les strates de la population pour fournir les effectifs suffisants à une confrontation massive telle que celle qui opposait Pacte de Varsovie et OTAN. Vouloir aujourd’hui impliquer fortement les moyens des armées et leur ressource humaine relativement réduite dans le succédané de scoutisme évoqué supra serait donner clairement la priorité à un rôle social annexe au détriment de leurs capacités opérationnelles et de leur finalité première.

Faut-il pour autant ne rien faire ? Bien évidemment non, car tout un chacun comprend que la situation est grave et que nous marchons à cadence accélérée vers des catastrophes si rien n’est fait pour remettre à sa juste place la République et ses valeurs, l’État de droit et ses obligations, qui imposent un juste équilibre entre droits et devoirs : ce qui pourrait se résumer par réinventer l’État de droit et de devoir…

Dans ce processus capital pour l’avenir de notre nation et qui doit clairement s’inscrire dans la durée, en scrutant toutes les causes qui dès l’enfance du citoyen conduisent au triste constat actuel, les armées ont certainement un rôle à jouer, plus conforme à leurs possibilités et qui ne doit induire aucun affaiblissement de leurs capacités ou remise en cause du modèle d’armée professionnelle.

Ainsi deux pistes pourraient être privilégiées pour la participation des armées à l’effort à conduire par la nation au profit de sa jeunesse. La première concerne les élites de notre pays, la seconde une mise en œuvre volontariste et concrète du protocole interministériel de 2016 définissant la relation entre Éducation Nationale et Défense.

En effet une formation réellement militaire pour les élites de la nation paraît d’autant plus nécessaire que l’abandon de la conscription a généré chez celles-ci une méconnaissance totale de l’institution militaire, qui est pourtant au cœur du régalien et des responsabilités étatiques. A la différence de leurs concitoyens moins favorisés, ces élites doivent bien à la République quelques mois de leur vie compte tenu du rôle qu’elles auront à y tenir dans leur carrière et des satisfactions de tous ordres qu’elles tireront de leur position dominante. Ainsi, tous les élèves des « grandes écoles », tous les étudiants en fin de master devraient faire une véritable « préparation militaire », consistante et avec des périodes d’insertion dans les unités et formations des armées et de la gendarmerie.

Le réservoir ainsi créé aurait une meilleure connaissance des armées, pourrait abonder le dispositif d’encadrement de la garde nationale, renforcer réellement et autrement que par des discours et cocktails le lien armées-nation, et dans la perspective d’une « mobilisation générale » (notion un peu trop oubliée et dont notre histoire nous montre qu’il serait bien illusoire de la considérer comme définitivement éradiquée), fournirait les bases de l’encadrement des unités qu’il faudrait recréer pour ce qu’on appelait autrefois la couverture générale du territoire. Au-delà, le lien ainsi créé serait de nature à resituer le rôle des armées et les problématiques stratégico-militaires dans l’esprit de celles et ceux appelés à diriger et impulser la société, ce qui éviterait bien des contresens dans les analyses entendues ici ou là. Il y aurait donc un effort d’accueil, d’insertion et de formation de ces élites à conduire par les armées, mais celui-ci ne parait pas irréalisable, s’adressant à des effectifs limités et devant privilégier l’immersion en unités après une courte période de préparation. Et, en référence à l’ancien service militaire, il s’agirait bien de ressusciter la notion, revue et corrigée, d’aspirant, dont tous les connaisseurs reconnaissent le grand intérêt et les réelles vertus.

Un second axe d’effort pourrait être une mise en oeuvre volontariste et concrète du protocole interministériel de 2016 définissant la relation entre Éducation Nationale et Défense. Dans ce cadre, il conviendrait que les armées, par une coopération de leurs cadres, « viennent au secours » des enseignants pour la conduite par ceux-ci d’une « instruction civique et citoyenne ». Tout en « éduquant les éducateurs » par des séquences d’information-formation sur la Défense et ses références éthiques, elles pourraient contribuer à une action systémique et adaptée à chaque niveau d’âge des élèves, avec une priorité aux adolescents. Il s’agirait donc in fine et en appui des enseignants de l’Éducation Nationale, d’initier la jeunesse aux problématiques élémentaires de défense et aux « valeurs » cultivées dans les armées (discipline, adhésion, motivation, solidarité et esprit de corps pour n’en citer que les principales) par des processus pédagogiques modernes.

C’est donc un rôle d’appui dans le cadre d’une véritable mobilisation interministérielle que pourraient jouer les armées. Si leur participation aux missions de l’Éducation Nationale devrait permettre de mener une action d’ensemble vis-à-vis de tous les jeunes français, leur implication dans la formation générale des élites aurait pour objectif de fournir à notre pays une capacité d’irriguer la société par l’action de ses dirigeants en matière de défense, dans les dimensions citoyennes et républicaines de celle-ci.

Ainsi les armées n’ont pas vocation à « réparer » un corps social en difficulté. Cependant en tant que référence et institution aux ressources multiples quoique limitées, elles peuvent contribuer à l’effort national nécessaire pour mettre la jeunesse de notre pays sur de bons rails. Il ne faut toutefois pas tout leur demander et n’importe quoi. Et les politiques qui aujourd’hui envisagent de la solliciter plus ou moins inconsidérément doivent garder en mémoire que ce n’est pas avec une armée qui pourrait presque tenir dans le seul « stade de France » et représente 0,4% de la population qu’on peut miraculeusement résoudre un problème social et éducatif qui affecte une communauté nationale de 65 millions d’habitants.

Cet article fait partie du dossier n°21 réalisé par Le Cercle de réflexions du G2S

«  Le Service National Universel » publié en janvier 2018

Consultable sur : http://www.gx2s.fr/

Ce dossier a été réalisé par le G2S. Association selon la loi de 1901, le G2S est un groupe constitué d’officiers généraux de l’armée de terre qui ont récemment quitté le service actif. Ils se proposent de mettre en commun leur expérience et leur expertise des problématiques de défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, pour donner leur vision des perspectives d’évolution souhaitables de la défense.

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