L’ARMÉE ALGÉRIENNE
PEUT-ELLE SORTIR LE PAYS DE LA CRISE ?

Par Bernard Lugan,
Historien africaniste

 

L’Algérie est-elle au bord de l’écroulement comme le pronostiquent certains ou bien la résilience de la population est telle, que le pouvoir – lire le clan Bouteflika -, va réussir à se maintenir aux affaires ?  L’avenir le dira.

C’est l’objet de ce FOCUS du n° spécial : ALGÉRIE : APRÈS BOUTEFLIKA ?

 

C’est dans ce contexte de crise majeure aggravée par l’incapacité Peut-être encore plus grave que la crise du régime, c’est sa légitimité qui s’effiloche petit à petit avec la disparition de la génération de l’indépendance et le vieillissement de son discours officiel aujourd’hui en total décalage avec les aspirations de la jeunesse.  Au lieu de tenter de sortir le pays de la crise majeure qu’il traverse, le clan présidentiel utilise à son seul profit les moyens de l’Etat dans une sorte de fuite en avant destinée à assurer sa survie. Celle-ci pourrait se faire à travers une auto-succession qui permettrait à Saïd Bouteflika, Age de 59 ans, et président bis depuis le mois d’avril 2013, date du premier AVC de son frère, de se faire élire à la faveur d’un scrutin arrange Ses trois frères, sa sœur – tous quatre conseillers à la présidence -, et leurs affidés, savent qu’ils vont vivre des moments difficiles dans les heures qui suivront son trépas. Le président ne doit donc pas mourir tant que les clans qui, dans l’ombre, dirigent l’Algérie, ne seront pas parvenus à un accord permettant une succession contrôlée. Et pour assurer cette dernière, Saïd Bouteflika a pris en mains le FLN, a évince le général Mediene dit Toufik, le tout-puissant patron des Services, le DRS, et a noue une alliance avec le chef de l’armée, le général Ahmed Saïd Galah, tout en s’appuyant sur les oligarques.   

LES OLIGARQUES ONT-ILS PRIS LE PAS SUR L’ARMÉE ?

 

La grande nouveauté politique algérienne est l’effacement économique de l’armée au profit de plusieurs dizaines de nouveaux venus issus du monde des affaires et qui, jusqu’à ce jour, ont lie leur sort à celui du clan Bouteflika.  L’armée n’est donc plus la seule à détenir les clés de la succession présidentielle car elle a été doublée et en partie évincée du pouvoir économique. Le phénomène a débuté entre 1989 et 1991, quand Mouloud Hamrouche était Premier ministre, et que l’économie commença à être libéralisée. Vieillissant, les généraux qui avaient capte la rente pétrolière furent alors petit à petit concurrences par des hommes d’affaires dont certains bâtirent des fortunes et qui, aujourd’hui constituent une force politique que les observateurs ont trop tendance à négliger, prisonniers qu’ils sont de schémas devenus en partie obsolètes.   Or, cette nouvelle force politique est aujourd’hui au service du clan Bouteflika.
Mais nous verrons dans le FOCUSn°2 sur l’économie algérienne, que les chefs d’entreprises sont peu satisfaits du régime…

L’ARMÉE POURRAIT-ELLE JOUER UN RÔLE DANS LE DÉNOUEMENT DE LA CRISE POLITIQUE ET INSTITUTIONNELLE ? 

 

La question mérite d’être posée alors que l’Algérie est a 6 mois des prochaines élections présidentielles (avril/mai 2019) lors desquelles le clan Bouteflika va jouer sa survie, et, parce que, dans le brouillard algérien,  la seule institution encore solide est l’armée. Aussi, de plus en plus nombreux sont ceux qui lui demandent,  non pas de faire un coup d’Etat, mais de peser de tout son poids pour sortir de l’impasse politique en poussant le chef de l’Etat à démissionner pour organiser une élection présidentielle anticipée. A ces sollicitations de plus en plus insistantes, l’armée a officiellement répondu qu’ elle est soumise à ses obligations constitutionnelles .

 

Un peu d’histoire : 

Dès l’indépendance, l’ALN (Armée de libération nationale),  – intacte car basée en Tunisie et au Maroc et n’ayant donc pas combattu -, imposa son candidat,  Ahmed Ben Bella contre ceux du GPRA et des combattants de l’intérieur. Le 19 juin 1965, comme il tentait de se dégager de l’emprise militaire, il fut renverse par le colonel Boumediene qui le fit enfermer à Tamanrasset ou il resta emprisonné durant seize années. Avec Houari Boumediene, l’armée s’installa au pouvoir durant 13 années, de 1965 à 1978. Devenu le chef tout puissant de l’ALN il transforma cette dernière en outil politique à sa disposition. Mort de maladie le 27 décembre 1977, le colonel Boumediene laissait un pays ruine et corrompu.  Début 1978, l’armée lui désigna un successeur en la personne du colonel Chadli Bendjedid. Sans espoir, la jeunesse algérienne se tourna alors peu à peu vers les islamistes qui étaient les seuls à condamner l’insolence de la caste des privilégies qui prospérait sur la misère du peuple. Le 4 octobre 1988, des émeutes de la misère éclatèrent dans tout le pays et l’armée tira dans la foule, faisant des centaines de morts. Pour lâcher du lest, le régime annonça une politique de libéralisation politique et la création du multipartisme.   Le courant islamiste s’enfonça alors dans la brèche politique qui s’ouvrait et s’organisa en parti, le FIS (Front islamique de salut) dirige par Abassi Madani et Ali bel Hadj. Lors des élections municipales de 1990, il obtint un véritable triomphe avant de remporter le premier tour des élections législatives le 26 décembre 1991. Assure d’obtenir la majorité absolue à l’issue du second tour, il allait être en mesure de transformer l’Algérie en République islamique.   L’armée réagit les 11 et 12 janvier 1992 en écartant le président Bendjedid, en annulant les élections et en créant un Haut Comité d’Etat (HCE) de cinq membres dont la présidence fut confiée à Mohammed Boudiaf, un des chefs historiques du FLN qui vivait en exil au Maroc depuis 1965.  Mohammed Boudiaf annonça une rupture avec les anciennes pratiques et une lutte totale contre la corruption et après avoir joué son rôle de caution historique au coup de force politique de janvier 1992, il apparut comme un gêneur et fut assassine par un sous-lieutenant des services de renseignements. Le colonel Ali Kafi fut alors coopte par le HCE, mais étant trop indépendant, au mois de janvier 1994, les plus hautes autorités militaires réunies dans une ≪ Conférence nationale de consensus ≫ décidèrent de l’écarter et d’imposer le général Lamine Zeroual comme ≪ Président de l’Etat ≫. Le 31 janvier 1994 ce dernier entra en fonctions.  Avec lui, l’armée tenta deux politiques à la fois : ouverture pluraliste et lutte contre les islamistes les plus irréductibles desquels elle réussira d’ailleurs à détacher les ≪ modères ≫ du FIS.  Le 16 novembre 1995, le général Zeroual remporta les élections présidentielles contre un candidat islamiste ≪ officiel ≫ et un candidat kabyle, gagnant ainsi une réelle légitimité populaire. N’ayant pas réussi à vaincre le terrorisme, et se trouvant dans une impasse politique, au début de l’année 1999, il décida de se retirer.  Le 15 avril 1999, après 34 ans de dictature militaire, et alors que le pays était dévasté par la guerre civile déclenchée par les islamistes, l’armée organisa le retour politique d’Abdelaziz Bouteflika en le faisant élire à la présidence de la République. Plusieurs fois réélu et alors qu’il se préparait à solliciter un quatrième mandat, au mois d’avril 2013, il fut victime d’une attaque cérébrale qui le laissa très gravement atteint.

Lors des élections de 2014, le régime a sauvé sa tête en réussissant à faire élire un président impotent, muet et personne sourde, mais une telle farce acheva de discréditer l’Etat aux yeux de la population et d’aggraver encore davantage les fractures de la société algérienne.  Comme à chaque fois que le pays se trouve dans l’impasse, la tentation de l’appel à l’armée se manifeste donc à nouveau. D’autant plus que son chef d’état-major, le général Ahmed Gai Salah est réputé s’intéresser personnellement à la succession du président Bouteflika.

Certes, mais l’armée algérienne n’est plus celle des premières décennies postindépendance et cela, pour plusieurs raisons :

1) Elle n’est plus monolithique et connait désormais des fissures internes.

2) Elle ne constitue plus la base, le socle du régime car elle a en partie été évincée de ce rôle par les oligarques. 

3) Les nouvelles générations d’officiers n’ont pas connu la guerre d’indépendance et elles n’appartiennent pas aux clans de leurs ainés qui s’étaient partage l’Algérie. 

4) Depuis qu’il est au pouvoir, c’est-à-dire depuis 1999, craignant l’institution militaire, Abdelaziz Bouteflika a tout fait pour l’affaiblir et il importe à ce sujet de se remémorer les épisodes de deux évictions qui semblaient impossibles, à savoir celle du général Larbi Belkebir puis celle du chef du DRS, le général Mohamed Mediene dit Toufik.

L’équipe au pouvoir a donc épuré l’armée au profit du général Ahmed Gaid Salah, chef d’Etat-major et vice-ministre de la Défense.  Est-ce pour autant un gage de survie ? Il est permis d’en douter car, lesquels parmi les généraux, notamment chez les nouvellement promus, voudront en effet apparaitre lies aux profiteurs du régime quand la rue grondera dans un dramatique contexte économique et social aggravé par l’effondrement du prix des hydrocarbures ?  L’Odjak des janissaires[1] pourrait alors être tente de se refaire une ≪ vertu ≫ à bon compte en donnant au peuple la tête de Saïd Bouteflika et celles de ses proches, avant de placer l’un des siens aux commandes. 

Extrait d’AFRIQUE REELLE n°94 du blog  http://bernardlugan.blogspot.com/


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