PERCEPTION DE LA MENACE RUSSE EN SUÈDE ET FINLANDE
MYTHE OU RÉALITÉ ?
RAPPORT D’ÉTONNEMENT
Par Hélène Mazeran,
Vice-Présidente de l’AA-IHEDN,
Présidente de la Commission des Voyages d’études
Issu du rapport du voyage d’études d’une délégation de l’AA-IHEDN en mai 2018, cet article fait suite au FOCUS du n°77 « SUÈDE et FINLANDE : un engagement européen confirmé ». Les évolutions récentes de ces deux pays réputés « neutres » sur la scène internationale, ces Etats se disent « non-alignés », mais s’intègrent aujourd’hui de plus en plus au système de sécurité européen.
En tant que riverains de la Mer Baltique, ils sont sensibles aux mouvements de leur « grand voisin » russe cherchant à affirmer sa présence et son autorité sur la scène internationale. Comment interpréter cette menace, mentionnée par la plupart des interlocuteurs rencontrés ? Mythe ou réalité ?
Si les territoires de la Suède et de la Finlande intéressent les Russes, c’est en tant qu’hinterlands et non pas comme territoire. En effet le contrôle de la Baltique est essentiel pour la Russie du fait des routes maritimes commerciales indispensables
- au développement économique (notamment industriel) de la région de Saint Pétersbourg (premier port commercial de Russie qui couvre près de 25 % du transit marchand de la Russie),
- aux pipelines gaziers (North stream 1 et North stream 2 à venir) qui sont vitaux pour l’apport de devises d’une Russie dont la croissance est bien en dessous des prévisions gouvernementales.
En outre, l’essentiel des moyens militaires russes dans la région se trouvent concentrés sur la base de Baltiysk dans l’oblast de Kaliningrad, riverain de la Baltique, mer fermée actuellement « verrouillée » par des pays membres de l’OTAN, dont certaines ex-républiques soviétiques aujourd’hui membres de l’UE (les 3 Etats baltes). Or c’est ici pour la Russie le seul accès permanent à l’Atlantique. D’où leur « intérêt » pour la région …
Dans ces contextes quels points forts pour la Suède et la Finlande ?
- La conscience de la menace et une très bonne connaissance des Russes qu’ils côtoient depuis longtemps[1]. C’est un peu moins vrai pour la population Suédoise qui apparaissait jusqu’à il y a peu, moins concernée, mais l’exercice Aurora 2017, la remilitarisation de Götland et la distribution récente du manuel sur la conduite à tenir « en cas de catastrophe ou de guerre »[2] sont le signe d’un changement après 200 ans de paix quasi continue. Le rapport « Résilience » rédigé par le Comité de la Défense du Parlement en décembre 2017 met l’accent sur le concept de « défense totale » (impliquant toute la population, et indique que « de possibles attaques militaires limitées constituent un scénario plus probable qu’une invasion », même si « une attaque contre Suède via une force armée ne peut être exclue »…
- L’existence de think tanks de qualité[3], en Suède (FOI, Agence suédoise de Recherche pour la défense) comme en Finlande (FIIA : Finnish Institute of International Affairs) que nous avons eu l’occasion de rencontrer, témoigne d’une excellente connaissance des forces russes et des enjeux. La Suède et la Finlande, tout comme les pays baltes déjà visités, sont particulièrement attentifs aux manipulations de l’information dont ils sont victimes de la part de la Russie[4].
- En outre, à l’anticipation s’ajoute l’agilité dans la réponse à d’éventuelles agressions : un exemple pendant la Guerre d’Hiver le choix d’utilisation souple de skis de fond, ou aujourd’hui de petits engins blindés qui prouvent une capacité d’adaptation et d’innovation face aux pesanteurs d’une lourde puissance militaire.
- Enfin l’aspect composite et diversifié d’options, de recours, impliquant de nombreuses puissances ou organisations : UE (dont la nouvelle Initiative Européenne d’Intervention[5] du Président Macron), OTAN (ni la Suède, ni la Finlande n’en sont membres, mais elles sont associées dans les exercices et utilisation des procédures OTAN permettant une bonne interopérabilité des forces), Nordique (NORDEFCO), Etats-Unis et Royaume-Uni. Cette multiplicité d’associations et d’accords rendrait compliquée une quelconque agression russe.
Cependant une conscience claire des menaces et la préparation de mesures réactives ne compensent pas les points faibles liés notamment à la faiblesse du budget militaire en pourcentage du PIB[6] :
Suède : 3,5% en 1960 1% en 2016
Finlande : 1,7% en 1960 1,4% en 2016
En ce qui concerne la Suède, elle a décidé d’une augmentation, pour la première fois depuis 20 ans : le budget annuel de 49 milliards SEK devrait être abondé de 2,7 milliards par an sur la période 2018 à 2020. Pour ce qui est de la Finlande, le budget de 2,8 milliards € en 2016 devrait être augmenté pour atteindre 2% du PIB en 2020.
L’essentiel résidant dans la cohésion des citoyens, le consensus sur l’esprit de défense et sur les manières de le traduire se maintiendra-t-il ?
Ici encore, la question reste ouverte.
[1] « Les Finlandais et les Russes vivent dans la même forêt », nous a-t-on dit
[2] Entre le 28 mai et le 3 juin, a été distribué à toute la population suédoise un manuel détaillant « les mesures à prendre en cas de crise ou de guerre » en 13 langues. La Russie n’est pas citée, mais le Directeur général de la sécurité suédoise déclare qu’il est « important de pouvoir se préparer… Un conflit militaire à proximité affecterait nos importations de marchandises, notamment alimentaires, même s’il ne s’étendait pas à notre territoire… ». La dernière brochure de ce type a été éditée en 1961 …
[3] Financés par des fonds publics : FOI par le Ministère suédois de la défense, FIIA par le Parlement finlandais.
[4] Cf à ce sujet le colloque de l’IRSEM à Paris le 25 mai 2018 sur « Les risques cyber dans l’espace baltique » et la publication du rapport de l’IRSEM sur « Les manipulations de l’information : un défi pour les démocraties » le 4 septembre 2018.
[5] Initiative européenne d’intervention (« IEI »), mentionnée par le Président E. Macron dans son discours sur le futur de l’Europe à La Sorbonne en septembre 2017. « Visant à développer une culture stratégique partagée …au début de la prochaine décennie, l’Europe devra être dotée d’une force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir ».
[6] Les données sur les dépenses militaires du SIPRI sont dérivées de la définition de l’OTAN.
Source : Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), Yearbook : Armaments, Disarmament and International Security (Rapport annuel : armements, désarmement et sécurité internationale).
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