ÉCONOMIE :

POLITIQUE D’ABORD !

 

par Pierre Charrin (*)
Economiste

 

Economie politique des temps nouveaux :

Politique d’abord !

 

 

Première guerre de l’opium « Destroying Chinese war junks » peint par Edward Duncan (1843)
Huawei Technologies Co. Ltd : New Chinese war junk?

 


AVEC TRUMP L’ECONOMIE REDEVIENT PLEINEMENT POLITIQUE

« ÉCONOMIE POLITIQUE» : telle est la dénomination que le monde universitaire a longtemps donné au savoir relatif au fonctionnement de l’économie. Mais, à la fin du siècle dernier, modèles mathématiques aidant, d’aucuns ont caviardé « politique » pour y ajouter « science » et donc afficher  « science économique » : dépolitisation et adjonction d’un mot symbole de la vérité pour mieux en imposer !

Cette promotion du savoir économique au rang de science a influencé la vie politique et administrative : dans une certaine mesure, par exemple, l’impératif d’indépendance des banques centrales occidentales à l’égard du pouvoir politique, est une extension de cette évolution du vocabulaire ; la justification de cette indépendance est en effet la conviction que la politique monétaire relève d’un vrai savoir qui doit donc être confiée à des experts, invulnérables, eux, aux possibles dérives démagogiques du personnel politique élu.

Le président Donald Trump n’a que faire de tels distinguos qu’il ignore ou veut ignorer : il a d’instinct une vision holistique de son pouvoir de président d’une Amérique qui a le sentiment plus ou moins confus de risquer de perdre sa prééminence mondiale qui hier encore allait de soi.

L’arrivée de D. Trump à la Maison Blanche coïncide – et ce n’est pas un hasard – avec, à terme assez proche, une remise en cause possible de l’imperium américain. Cette crainte – largement partagée – de déclassement conduit ce président hors-normes à mettre en œuvre toute l’étendue de ses pouvoirs pour commencer à allumer des contre-feux. De là, pour répondre à des motivations économico-stratégiques, l’utilisation de moyens jusque-là inouïs qui peuvent bouleverser la vie mondiale des affaires.

Au-delà des coups de boutoir répétitifs du Président des USA faits pour déstabiliser ses interlocuteurs et complaire à son électorat, il y a une ligne directrice dans la politique du Président Trump : maintenir, voire renforcer la prééminence mondiale des USA dans tous les domaines, militaire, économique, scientifique et culturel. Pour ce président et ses amis ces quatre domaines sont complémentaires, l’un est insuffisant sans les trois autres pour assurer la suprématie américaine mondiale.

Que cette suprématie confère aux USA des avantages hors du commun est une évidence ; la prééminence du dollar par exemple, permet, entre autres privilèges, d’imposer les décisions américaines à des entreprises étrangères : l’exemple des amendes colossales imposées récemment à de grandes banques européennes et aujourd’hui l’interdiction de commercer avec l’Iran imposée aux entreprises non américaines, démontrent la capacité américaine à dicter ses choix diplomatiques au monde, via des moyens économiques et financiers.

Pour maintenir leur imperium, les USA de D. Trump s’efforcent de ralentir, voire  stopper, la montée en puissance de la Chine.


Erratum
 : l’unité de compte de l’ordonnée de ce graphique n’est pas en $bn, mais en $1000bn

Le graphique ci-contre esquissant l’évolution des PNB (certes mesuré ici en parité de pouvoir d’achat[1]) de quelques grands pays sur une quarantaine d’années, dit l’essentiel du fondement de cette inquiétude même s’il est loin de tout dire !

Miracle de la croissance exponentielle : il y a encore moins de quarante ans, la France, pourtant vingt fois moins peuplée que la Chine déjà en plein développement, avait un PNB notablement plus élevé que cette dernière ; dès le début des années 1990 les deux courbes se sont croisées. Au début du présent millénaire, le PNB américain continuait de surplomber tous les autres. Mais, effet d’un taux de croissance chinois de l’ordre de plus du triple de celui des USA sur une trentaine d’années : le PNB chinois, distançant très vite ceux des vieilles puissances eurasiatiques, a très vite tendu à rejoindre celui des USA, pour le dépasser au milieu de la présente décennie ; certes la Chine n’est plus très loin d’être près de cinq fois plus peuplé que les USA et une telle occurrence était parfaitement prévue, mais le passage à la réalité est toujours un choc.

Tout cela était donc attendu depuis plus de vingt ans et les gouvernements américains successifs ont largement favorisé ce formidable décollage de la Chine.

Mais au moins trois ou quatre faits majeurs n’avaient pas été vraiment prévus :

  • La Chine, très vite, a été loin de se contenter de se limiter à exploiter le formidable avantage comparatif qu’elle avait sur l’Occident par son réservoir de main d’œuvre à coût bradé. Défiant la doxa des manuels d’Economics (science économique en anglo-américain) et bien avant que la rente fondée sur le bas coût du salariat chinois ne soit épuisée, le gouvernement de Pékin a lourdement favorisé, avec succès, l’émergence d’activités de pointe : des trains à grande vitesse aux puces électroniques et à l’intelligence artificielle, etc. Quelques entreprises chinoises commencent même à acquérir des positions en passe de devenir mondialement dominantes.
  • Loin de continuer à convertir la Chine à une économie de marché pure et dure le président Xi Jinping accentue fortement le dirigisme économique du régime, au grand dam de Trump, comme aussi de l’establishment du monde des affaires américain. Avec la « Belt and Road Initiative » – routes de la soie nouvelle manière – c’est aussi toute une initiative économique, politique, voire culturelle eurasiatique qui est lancée …
  • Parallèlement, il s’agit pour la Chine de continuer à former sur place ou à l’étranger une élite de chercheurs et d’ingénieurs de haut niveau, de développer des universités, rivalisant avec les meilleures du monde.
  • Enfin, contrairement aux attentes américaines, une libéralisation politique croissante n’est pas le sous-produit immédiat du développement économique chinois : c’est l’inverse qui se manifeste avec le renforcement du pouvoir du parti communiste et l’affirmation de l’incarnation de ce pouvoir en la personne du président Xi Jinping : horresco referens[2]! …

             CETTE EVOLUTION EST UN TRAUMATISME

Une Chine dépassant en volume d’activité, celui des USA était admissible, mais il était implicite pour ces derniers que l’Empire du Milieu, nouvelle manière, allait de plus en plus ressembler à l’Ile-continent américain. Tel n’est pas le cas : c’est un choc ; et donc, bien au-delà de D. Trump, la tendance à  un retournement de l’opinion d’une large part de l’establishment américain.

Même avec un rythme de croissance annuel moyen passé de 10-12% à 6-7%, toutes choses égales par ailleurs – notamment quant à la stabilité/efficacité du régime de Pékin -, en volume, l’écart entre les USA et la Chine a vocation à s’accroître ; en matière scientifique et industries de pointe, le rattrapage chinois ne pourra que se poursuivre, et les forces militaires chinoises suivront le même chemin sous l’impulsion déterminée de Pékin, qui en profitera pour étendre aussi son aire culturelle des iles Aléoutiennes au Kazakhstan.

Les récents commentaires[3]interrogatifs d’un Lawrence Summers – économiste respecté, professeur à Harvard, ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton tout en ayant servi aussi des administrations républicaines, proche enfin des milieux bancaires – sont révélateurs de tout un état d’esprit partagé par nombre d’hommes d’influence et maintenant de chefs d’entreprise : … pour les USA, après un siècle de domination, perdre leur position de plus grande économie du monde serait un séisme. Si, comme cela est plausible mais non certain, les USA perdent dans la prochaine décennie leur rôle directeur dans les technologies de l’information, l’intelligence artificielle et les biotechnologies, le traumatisme en sera considérablement amplifié. […] Les USA peuvent-ils imaginer un monde de 2050 dans lequel son économie est d’une taille moitié moindre que celle de la plus grande du monde ?

Si Lawrence Summers et tout une partie de l’establishment américain sont assez désemparés devant cette évolution, en revanche le président Trump et ses hommes liges non seulement ont des convictions, mais sont passés à l’action.

LA RÉPLIQUE DE L’AMÉRIQUE DE TRUMP EST DÉTERMINÉE ET TOUT AZIMUT

Quand on se reporte à la première année de la présidence Trump, on s’aperçoit que le début du seul affrontement tarifaire concernant surtout les USA et la Chine n’était qu’une « mise en bouche » ; depuis quelques temps toute une série de décisions impliquant les relations économiques avec la Chine au sens le plus large ont été prises dont on peut rappeler les têtes de chapitres sans prétendre être exhaustif :

  • Bien sûr le contrôle des investissements aux USA a été considérablement durci et de façon extensive dès que la Chine est concernée.
  • Le parcours des étudiants chinois venant faire des études ou des stages aux Etats-Unis est désormais soigneusement suivi et balisé dès qu’on approche des activités, des secteurs « sensibles »
  • Plus que jamais le monde des composants électroniques au sens le plus large font l’objet d’une surveillance très attentive de la part des autorités américaines.
  • Concernant une des entreprises chinoises dont le volume d’activité, la qualité des produits, en font une des sociétés les plus remarquables du monde de son secteur, le gouvernement américain a entrepris une campagne de mise en accusation : Huawei est en effet soupçonné de cacher dans ce matériel téléphonique, qui est l’une de ses spécialités, des dispositifs d’écoute autorisant un espionnage facile … Bien évidemment Huawei dénie farouchement !

Le climat de méfiance qui découle de cet état de fait peut bientôt rendre périlleuse la vie des dirigeants de groupes mondiaux : c’est ainsi qu’en fin d’année dernière la directrice financière et fille du fondateur de ce même Huawei  été arrêtée au Canada à la demande du Ministère de la Justice américain, qui soupçonne cette femme, Madame Meng Wanzhou, d’avoir menti aux autorités américaines dans le cadre de transactions effectuées par Huawei avec l’Iran. Madame Meng Wanzhou a été libérée sous caution, mais doit demeurer sous contrôle judiciaire au Canada jusqu’au procès à venir, pour décider de son extradition ou non aux Etats-Unis. Peu après deux ou trois personnalités canadiennes du monde des affaires ou de la diplomatie, elles aussi accusées d’espionnage, ont été arrêtées en Chine.

Que les accusations proférées soient avérées ou non, de tels événements ne relèvent pas de la rubrique des faits divers ou des aléas de la vie diplomatique.

Si les faits ainsi rappelés perdurent, ou, pire encore, que d’autres se développent, et ce sera toute une vie commerciale et industrielle internationale qui se trouvera entravée, voire peu à peu bloquée.

MOTIVATIONS, AVENIR ET PERSPECTIVES DE L’ EFFICACITÉ DE TELLES PRATIQUES

Tout incite à penser qu’au moins certaines de ces pratiques relèvent de la menace intimidante, faite pour faire changer le comportement de l’étranger considéré comme un adversaire, qui, bien évidemment, prend ensuite des mesures de représailles.

Il est clair qu’on peut légitimement soupçonner que cette façon de faire a pour but d’entraver le développement de la Chine, à défaut de pouvoir véritablement le bloquer.

A coup sûr, certains comportements du gouvernement chinois et d’entreprises qu’il contrôle ou protège ne relève pas du « fair play », ils violent même les législations sur la propriété intellectuelle et de l’O.M.C. auxquelles a souscrit la Chine, mais comme le fait observer par ailleurs L. Summers, ces violations, pour aussi condamnables qu’elles soient, ont certes sans doute permis à la Chine de gagner du temps, d’accélérer sa croissance, mais guère de modifier les tendances lourdes qui veulent que – sauf difficultés politiques intérieures graves – la Chine soit en route pour rattraper le peloton de tête des pays développés.

S’il s’agit pour l’équipe de D.Trump soit de bloquer progressivement le développement chinois,  ou bien de contraindre simplement Pékin à respecter les normes internationales, tout en promouvant un ordre juridique interne très proche de celui des pays occidentaux, aucun de ces deux objectifs ne peut être atteint. En revanche, s’il s’agit pour les USA d’obtenir, plus ou moins à la marge, des concessions de Pékin sur les exportations de produits agricoles, de pétrole, etc., ainsi que sur les questions de propriété intellectuelle, alors la prochaine rencontre des présidents Xi Jinping et Trump peut être un succès : mais que de temps perdu au détriment de la croissance mondiale … et de l’image des Etats Unis d’Amérique !

Ci-dessous un des derniers tweets (gazouillis, SIC !) de D. Trump

Comment ce président des USA imagine-t-il pouvoir obtenir ce qu’il sollicite, (il emploie avec douceur le verbe « to ask » et non pas « to request » et encore moins « to demand » …) sans au moins avoir levé les contraintes qui pèsent sur Madame Meng Wanzhou  du groupe Huawei Technologies Co. Ltd ?

[1] Si le PNB est déjà une mesure approximative de la dimension d’une économie nationale, il y a aussi deux façons de le mesurer dans les comparaisons internationales: en parité de pouvoir d’achat (purchasing-power parity : PPP) ou bien « au prix du marché » En PPP, la Chine maintenant dépasse le PNB des USA, mais pas encore aux prix du marché qui, implicitement, est la méthode que L. Summers doit avoir à l’esprit dans la citation qu’on trouve page 5. On ne commentera pas ici les mérites respectifs de ces deux méthodes ; ce qui importe ce sont les ordres de grandeur et les tendances : si on évoquait le PNB de l’Inde on verrait qu’il est à peu près égal à celui de la France, pour une population très proche de celle de la Chine. N’est-ce pas parlant ?

[2] Je frémis d’horreur en le racontant

[3] Financial Times 3 décembre 2018

 

(*) Pierre Charrin

Consultant à  la Cegos, dans le secteur bancaire: activités de capital-développement, fusions-acquisitions, réorganisation et direction d’une direction des crédits. Consultant en financement de l’hébergement touristique. Chroniqueur économique dans une revue professionnelle: JEUNE MARINE

 

JEUNE MARINE, revue bimestrielle des Elèves et Officiers de la Marine Marchande. Vous pouvez trouver les sommaires des numéros de la revue et différentes informations sur le monde maritime sur son site : http://jeunemarine.fr/

 

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