Crise migratoire :
Le bal des hypocrites

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  Renaud Girard (*)
Journaliste
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Pourquoi ces images de migrants tentant de passer en force en Pologne à partir du territoire de la Biélorussie nous paraissent-elles si troublantes ? L’auteur y voit la marque d’une triple impuissance de l’Union européenne !
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En premier lieu, personne ne semble plus respecter les règlements de l’UE sur l’immigration extra-européenne, lesquels prévoient des procédures strictes quant à l’immigration de travail, ou l’obtention du statut de réfugié politique. Tout se passe comme si la loi européenne avait une vocation naturelle à être piétinée. On voit de solides jeunes hommes s’attaquer, en toute impunité, avec des cisailles et des pioches, aux barrières de la frontière polonaise. Depuis qu’Angela Merkel a pris la décision unilatérale d’ouvrir grand les frontières de l’Allemagne en septembre 2015 (pour les refermer un mois après), les jeunes gens débrouillards et dotés d’un bon réseau de passeurs se sont arrogé le droit de s’installer sur le territoire de l’Union européenne.

Nulle part ailleurs dans le monde, on ne voit de frontière aussi laxiste, et une telle tolérance face aux réseaux criminels de trafic des êtres humains. En Afrique du nord et sahélienne, ces réseaux se livrent aussi au trafic de la drogue. Ils y financent les mouvements djihadistes. Ils sont passés maîtres dans l’art de solliciter, en Méditerranée, l’aide des ONG, qui sont devenues les idiots utiles du trafic des personnes.

Une proie au chantage
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En deuxième lieu, l’UE est la seule organisation au monde à qui des Etats fassent aussi ouvertement du chantage. Au mois de février 2020, la Turquie d’Erdogan, furieuse du peu de soutien de l’Occident après la perte de 33 de ses soldats en Syrie, et désireux d’obtenir davantage d’argent de l’UE, avait mis à exécution sa menace d’ouvrir les vannes des flux migratoires. Les forces de sécurité turques avaient amené en autocars des milliers de migrants devant les postes frontières grecs. Equipés de béliers, ces jeunes hommes musulmans s’attaquaient aux barrières délimitant la frontière extérieure de l’UE, au cri de « Yunanistan ! », qui est le nom turc pour la Grèce.

Depuis l’été 2021, nous avons vu la Biélorussie de Loukachenko faire preuve d’une incroyable mansuétude à l’égard des filières de trafics d’êtres humains, qui avaient repéré son pays comme une base de départ idéale pour l’immigration illégale vers l’UE. Des policiers biélorusses ont même conduit certains migrants moyen-orientaux vers la frontière polonaise. Le dictateur biélorusse aurait très bien pu, dès le mois d’août 2021, alors que le manège des trafiquants était devenu clair, arrêter ce flux de jeunes hommes moyen-orientaux vers son pays. Il ne l’a pas fait. Pour faire chanter l’UE, afin qu’elle reconnaisse son régime issu d’élections tronquées.
 
Les 27 pays de l’UE ont eu raison de refuser le chantage et de brandir des sanctions contre les compagnies aériennes qui continueraient à se livrer à ce trafic. Par peur de nouvelles sanctions, Loukachenko a changé d’attitude le 15 novembre 2021. Il s’est engagé à ce que son administration persuade les migrants de retourner chez eux, tout en faisant mine d’être étonné par leur réticence.

Aveu d’impuissance

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Enfin, l’UE étale son impuissance institutionnelle. En six ans, elle n’est pas parvenue à une réponse commune et efficace sur le problème des migrants. La décision solitaire de la chancelière allemande a créé un formidable appel d’air. Des dizaines et des dizaines de millions d’Africains et de Moyen-Orientaux rêvent désormais de venir s’installer dans la prospère et généreuse UE. Mais elle n’a ni les moyens économiques, ni la disposition culturelle, ni la volonté politique, de les accueillir.

Des épaves de bateaux pneumatiques, du linge abandonné : ces traces de migrants se multiplient sur les côtes européennes de  la Manche et de Méditerranée. Photo Pixabay

Face à cette réalité, se déploie le bal des hypocrites. Les dirigeants européens se drapent dans leurs bons sentiments mais comptent sur le pays voisin pour faire le sale boulot de refouler les migrants. Dans l’UE, la démocratie ne va pas jusqu’à demander à ses citoyens s’ils souhaitent ou non vivre dans une société multiethnique. La présidente de la Commission européenne a osé déclarer que l’UE « ne saurait financer en Pologne des murs et des barbelés » mais elle ne propose aucune solution viable au problème de l’immigration clandestine.
 
L’UE n’a toujours pas réussi à dire au monde combien de migrants elle était disposée à accueillir. Veut-elle se limiter aux véritables réfugiés politiques, persécutés dans leurs pays pour leur promotion des valeurs européennes ? Veut-elle élargir son accueil ? A qui ? Aux réfugiés économiques ? A quel rythme ? A quelles conditions ?
 
Les frontières constituent un sujet politique sérieux. Si l’UE ne le traite pas très vite et une fois pour toutes, elle court à l’éclatement. Voici du pain sur la planche pour la France, qui prendra la présidence de l’UE à compter du 1er janvier 2022.

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(*) Renaud GIRARD, diplômé de l’Ecole Normale Supérieure et de l’ENA, est journaliste et a couvert la quasi-totalité des conflits de la planète depuis 1984. Il est éditorialiste de politique étrangère au Figaro depuis 2013. Auteur de sept livres consacrés aux affaires internationales, il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Bayeux des correspondants de guerre pour son reportage « l’OTAN dans le piège afghan à Kandahar ». Il est également professeur de stratégie internationale à Sciences-Po.

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