Asie
Points chauds à l’horizon

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Tom Dash (*)

Etudiant en Sciences Politiques

L’Asie, terrain de rivalités entre grandes puissances, est depuis de nombreuses années une source croissante de préoccupations. Les principales menaces pesant sur la région la plus nucléarisée au monde sont multiples et les fractures stratégiques seront vraisemblablement amenées à s’accroître en 2023, en l’absence de dialogue et de compréhension de haut niveau, le tout dans un contexte économique inflationniste. L’auteur nous y propose un tour d’horizon géopolitique et géoéconomique.

Au cours de l’année écoulée les principaux points d’intérêt stratégiques se sont focalisés sur les menaces chinoises à l’encontre de Taïwan, les conflits de souveraineté en Mer de Chine, le nucléaire nord-coréen ou encore sur les îles Senkaku, sous souveraineté japonaise disputée par la Chine. L’ensemble de ces tensions se superpose aujourd’hui à l’accession au pouvoir, ou à la confirmation d’hommes forts dans des régimes de différentes nature comme en Inde, au Cambodge, au Myanmar (où les militaires ont repris les rênes), en Corée du Nord et en Chine.

Les rivalités géopolitiques intenses dans la région sont ainsi un vecteur de prolifération nucléaire. La Chine construit plusieurs centaines de silos à missiles et doublera son nombre de têtes nucléaires, de l’ordre de 350 actuellement. L’inde poursuit quant à elle le développement de son IRBM Agni IV (missile nucléaire de moyenne portée d’une puissance de 48 kilotonnes) dans un contexte tendu dans l’Arunachal Pradesh face à la Chine. La Corée du Nord s’est, elle, engagée dans le développement d’armes hypersoniques, une technologie déjà maitrisée par la Chine avec son missile « tueur de porte-avion » DF-17.

Réarmement généralisé
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Ce climat de tensions entraîne de nombreuses inflexions politiques et une progression des ventes et achats d’armement conventionnel couplés à une hausse générale des budgets de défense. Ainsi la Corée du Sud, déjà exportateur de matériel militaire, devrait-elle poursuivre son ascension tout en accroissant son budget de défense, le 10e au monde, pour la sixième année consécutive. L’Indonésie, pays historiquement non-aligné, poursuit la modernisation de ses forces armées engagée en 2022 à travers, notamment, l’achat de 42 Rafale. Taipei, compte tenu des pressions chinoises sur sa souveraineté poursuit son programme de construction de huit sous-marins à horizon 2024 pour 16 Milliards de dollars, accompagné par une hausse continue de son budget de défense.

 

Le Fujian, troisième porte-avions chinois, lors de sa cérémonie de lancement en juin 2022. Plus grand, deux fois plus lourd que le Charles de Gaulle, il dispose de catapultes électro-magnétiques. En quatre ans, la Chine a mis à l’eau une centaine de navires de guerre neufs, soit autant de bâtiments que possède la marine française. Photo marine chinoise.

La République Populaire de Chine est, elle, entrée dans un large plan de modernisation technique terrestre (70% des blindés en service sont modernes), navale, pour atteindre un objectif de six porte-avions, et aérienne par la généralisation du Chengdu J-20. Cette réforme visera à terme la professionnalisation de l’APL à l’horizon 2035 et 2050, afin « de s’engager et de remporter des guerres » pour devenir un « pays puissant avec une armée puissante », en recrutant 400 000 hommes par an. Par ailleurs, le redécoupage de ses sept secteurs militaires en cinq « théâtres de commandement » traduit ses préoccupations stratégiques, exprimées par son ministre de la Défense, le général Wei Fenghe. Au dernier Shangri-La Dialogue à Singapour, où il exposait la vision chinoise de l’ordre régional, il évoquait une accumulation de « crises rarement vues dans l’histoire », il s’opposait nettement aux Etats-Unis et à leur stratégie d’un « Indopacifique libre et ouvert ».

Le Japon, face aux évolutions de la donne stratégique semble en voie d’abandonner son pacifisme constitutionnel depuis longtemps émaillé. Il disposera en 2023 de missiles capables de frapper la Chine continentale et la Corée du Nord et de ses porte-hélicoptères reconvertis afin d’emporter des avions F-35B. Il est attendu que l’administration Kishida élève son budget de défense à 2% de son PIB, soit 81 Mds$, sans pour autant désigner la Chine comme menace dans sa documentation stratégique, en dépit d’incursions de plus en plus fréquentes autour des Senkaku.

La présence militaire occidentale dans la région tend également à s’accroître en raison des jeux d’alliance et d’intérêts vitaux, qui vont des routes commerciales et d’hydrocarbures aux expansionnismes incontrôlés et à la piraterie. Cette tendance, clairement annoncée par le secrétaire à la défense L. Austin et le ministre Français Sébastien Lecornu, se traduira par un renforcement des forces déployées, une multiplication des opérations de liberté de navigation, et par l’application des sanctions internationales contre la Corée du Nord, tout en s’assurant d’une capacité de projection.

Perspectives géoéconomiques
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L’année 2023 s’annonce riche de promesses en matière de développement économique pour de nombreux Etats. Néanmoins, nombre d’entre eux sont confrontés à un environnement volatile et parfois directement menaçant pour la prospérité régionale. Après la pandémie et à travers de nombreuses campagnes de vaccination, les économies d’Asie de l’Est (hors Chine) ont retrouvé leur niveau prépandémique. La Banque mondiale, et le dernier bulletin de la Banque asiatique de développement, anticipent une croissance régionale de 4,5% et de 4,8% en Chine pour 2023. Toutefois, les Etats recourent de plus en plus fréquemment à l’arme économique, par des sanctions, comme mode de règlement des contentieux.

Les tours Petronas à Kuala Lumpur en Malaisie, l’un des symboles du développement de l’Asie méridionale ; photo DR

Mais il faudra faire face à une inflation record. C’est le cas du Sri Lanka, en grande instabilité politique et du Pakistan, très lourdement endetté. Tous deux membres du projet chinois des nouvelles routes de la soie (au coût estimé à 1 trillions de dollars), ils sont confrontés à des échéances insoutenables après avoir contractés les prêts de la BAII (la banque chinoise des Routes de la soie). Leur inflation sera supérieure à la moyenne en Asie du Sud (5,5%) et sera respectivement de 6,7% et 8,5%.

L’Inde devrait atteindre une croissance postpandémique de 5,8% en devenant le pays le plus peuplé au monde. Sur l’ensemble de l’Asie du Sud-est, les prévisions font état d’une croissance et d’une inflation modérées (3,7% et 3,1%). L’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est), sous présidence indonésienne pour 2023, a déjà débuté l’implémentation du RCEP, un accord de libre-échange éliminant droits de douanes et formalités administratives pour plus de 90% des biens échangés au sein de l’ASEAN et avec ses partenaires.

Si l’Asie de l’Est devrait être confrontée à une inflation modérée, en moyenne de 2%, ce sont ici des questions d’ordre démographique qui se posent. Les naissances au Japon, en Chine et en Corée du Sud se situent sous le seuil de remplacement, et les politiques incitatives n’ont que des effets très limités. Cela pose en particulier pour la Chine la question cruciale de savoir si celle-ci sera « vieille avant d’être riche », ranimant l’épouvantail du piège du revenu moyen dans une économie construite sur les travaux d’infrastructures et les exportations et non sur sa consommation intérieure. Par ailleurs, l’année 2023 pourrait bien voir apparaître sous des formes embryonnaires une « démondialisation » au sens de réorganisation politique des chaînes de valeur en fonction des proximités ou inimitiés géopolitiques.

La circulation des flux d’hydrocarbures fera quant à elle l’objet d’une vive attention. Cruciaux, les approvisionnements en gaz et pétrole devraient non seulement se diversifier mais également emprunter de nouvelles routes. En effet, la RPC, premier importateur de pétrole au monde, cherche depuis longtemps à échapper à ce qu’on appelle le dilemme de Malacca, c’est-à-dire le transit d’hydrocarbures depuis le Golfe Arabo-Persique via des espaces marqués par une forte présence américaine. Le Corridor économique sino-pakistanais, de Gwadar, en Mer d’Arabie, jusqu’à Kashgar, au Xinjiang, répond à cette problématique.

L’année 2023 débute sur des prévisions ambigües. Si l’Asie demeure un foyer de la croissance global et si un conflit d’ampleur ne semble pas à redouter à brève échéance, il apparaît que chacun se prépare à cette éventualité, sur Taïwan, en Corée, entre la Chine et l’Inde ou ailleurs.

(*) Tom Dash, journaliste stagiaire chez Espritsurcouf, est étudiant en relations internationales à l’ILERI Paris (Institut Libre d’Etudes des Relations Internationales et des Sciences politiques). Ses points d’intérêt sont fixés sur les questions stratégiques, politiques et économiques en Asie du Nord-est (essentiellement la Chine et son environnement stratégique). Il étudie également l’espace post-soviétique (évolutions politiques, questions sécuritaires et énergétiques).

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