Politiques environnementales :
Un constat d’échec
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Lucas Verhelst (*)
Président de l’i3
(Institut international d’impédimentologie)
Directeur d’ouvrage du Manuel d’un monde en transiton(s)
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(1ère partie)
2025.
Nous y sommes : le premier quart du XXIème siècle est désormais derrière nous sans que nous ne puissions plus rien y changer. Au-delà de la dimension symbolique qu’il revêt, le passage à l’an 2025 marque le rapprochement inexorable de nos sociétés vers ce que l’on pourrait appeler un abîme, tant les indicateurs multiples de notre empreinte environnementale (émissions de gaz à effet de serre, taux d’effondrement de la biodiversité, acidification des océans, etc.) nous montrent que les trajectoires collectives ne sont pas celles qu’elles devraient être.
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Et pourtant, depuis le 20 mars 1987, date de publication du Rapport Brundtland, d’innombrables sonnettes alarmes ont été tirées, des sommets internationaux tout aussi nombreux ont été tenus, de grandes déclarations ont été faites, des accords majeurs ont été adoptés. Les Accords de Paris issus de la COP 21 tenue en 2015 a notamment revêtu un caractère historique : pour la première fois, 193 membres de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques se mettent d’accord sur l’objectif consistant à maintenir la température moyenne de la planète bien en-dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence sans dépasser la barre des 1,5 °C, d’ici 2100.
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Ces objectifs ont-ils été suivis d’effets ? Depuis 2015, si l’on fait abstraction de l’année 2019, année du covid, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de façon constante. En 2023, l’humanité a émis 40,9 milliards de tonnes d’équivalent CO2. D’autres indicateurs entérinent la dérive anthropique : plus de la moitié des populations d’animaux vertébrés ont disparu de la surface du globe ces 40 dernières années ; en Europe, c’est aussi plus de 50 % des oiseaux de champ qui se sont éteints en seulement 30 ans, tout comme 90 % de la biomasse de grands poissons, depuis l’ère préindustrielle.
Émergence du principe de limites planétaires
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Il n’y a donc pas que les émissions de gaz à effet de serre qui explosent, il y a aussi la biodiversité qui s’érode. Et ce n’est pas tout : d’autres limites planétaires ont également été franchies : parmi elles, la rupture des cycles de l’azote et du phosphore, l’acidification des océans, l’utilisation de l’eau douce, le changement d’affectation des sols, la pollution chimique, c’est tout le système Terre qui est déréglé du fait des activités humaines.
Ces activités humaines sont essentiellement le fait de nos comportements, individuels et collectifs. En neuropsychologie, un comportement désigne toute action d’un être vivant se manifestant vis-à-vis d’un observateur. Ainsi, derrière nos procédés technologiques, derrière les gigawatts d’électricité que nous consommons, l’énergie solaire et le vent que nous exploitons, derrière le pétrole, le gaz et le charbon que nous brûlons, il y a en réalité des comportements humains à l’œuvre. Or, ces comportements sont délétères (l’explosion des limites planétaires le montre allègrement) et sont cause d’un risque accru d’effondrements sociétaux, du fait d’une habitabilité de notre planète de plus en plus compromise par ces mêmes comportements.
C’est dans l’espoir de changer la nature même de ces comportements délétères, qu’a émergé dans les années 1970, le principe de développement durable (officiellement consacré par le rapport Brundtland), peu à peu remplacé par le principe de « transition » dès le début des années 2000.
Où le mot « transition » s’accorde aussi au pluriel
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Car en effet, c’est tout notre système civilisationnel qui doit transitionner. Aussi nous sommes-nous fait fort d’adjoindre à ce terme générique de « transition », une multitude d’adjectifs avant vocation à mieux le définir, à préciser son étendue et sa portée. Ce fut d’abord le cas, sur le plan chronologique, de la transition écologique initiée par Rob Hopkins dès 2005, qui s’appuyait sur l’idée de la fin de l’abondance des énergies fossiles et de la vulnérabilité de nos territoires, dans le but de proposer des pistes de résilience communautaire ; puis vint le tour de la transition énergétique, qui trouve ses origines dans la nécessité de décarboner nos sociétés industrielles.
D’autres types de transition ont également vu le jour. La transition des mobilités, qui propose le passage d’une sur-mobilité carbonée et individuelle vers une mobilité raisonnée, limitant les besoins de déplacement, les distances parcourues et les vitesses ; la transition entrepreneuriale, qui postule le passage d’un modèle d’entreprise basé sur la génération de profits financiers et de déchets à un modèle d’entreprise contributive, remplaçant les principes de linéarité et de propriété par ceux de circularité, de fonctionnalité et d’usage. La transition hydrique, la transition industrielle, la transition territoriale, la transition épistémique, etc., ont toutes pour dénominateur commun le passage de l’ère de l’anthropocène (cette ère géologique proposée par Paul Crutzen et qui considère notre espèce comme principale force de modification du système Terre, prévalant sur l’activité solaire ou le volcanisme) vers une ère du respect des limites planétaires.
Dans la lignée de toutes ces transitions, une multitude de concepts nés d’initiatives individuelles et collectives ont vu le jour. Tous tentent de répondre, certains de manière théorique, d’autres de manière plus pratique, au problème de la dérive anthropique. Il serait présomptueux de les lister exhaustivement ici ; aussi nous bornerons-nous de mentionner le mouvement des Villes en transition de Rob Hopkins, l’économie du donut de Kate Raworth, la ville du quart d’heure de Carlos Moreno, l’entreprise contributive de Fabrice Bonnifet et de Céline Puff Ardichvili, l’économie symbiotique d’Isabelle Delannoy, l’hydrologie régénérative de Charlène Descollonges et de Simon Ricard, la décroissance de Timothée Barrique, l’activisme fractal d’Aurélien Barrau, mais aussi le végétarisme, la sobriété, la mobilité partagée, la permaculture, l’agroécologie, le commerce équitable, le développement des énergies renouvelables, le réemploi, la résilience territoriale… les solutions sont « sur la table ».
Cependant, force est de constater que ces différentes propositions ne sont que peu mises en place et transformées en actions de terrain, ou si elles le sont, cela reste « à la marge » : des gouttes d’eau dans l’océan que nous ne parvenons pas à transformer en quelque chose de significatif, des exceptions qui confirment la règle, résolument conservatrice. Nos penseurs ne sont pas aveugles face à cette situation. Ils sont les premiers, en guise de conclusion à leurs travaux, à admettre que les avancées, lorsqu’il y en a, restent des épiphénomènes, et que, bien que nous connaissions les solutions, il y a encore des obstacles qui entraveraient leur mise en place.
(*) Lucas Verhelst, Président de l’i3 et directeur d’ouvrage du Manuel d’un monde en transiton(s) Architecte-urbaniste, Lucas Verhelst a travaillé pendant plus de dix ans dans le domaine de l’aménagement du territoire, notamment pour le compte de bureaux d’architecture, d’urbanisme et de développement immobilier. Il dirige des projets pilotes à l’échelle de quartiers en France et en Suisse romande. Convaincu de la nécessité d’engager une transition profonde dans le fonctionnement de nos sociétés et de renouveler nos pratiques quant à nos manières d’utiliser le sol, il cofonde en 2022 le Laboratoire de l’utilisation du sol, de l’espace et de l’aménagement (LUSEA) et réunit un comité́ d’experts issus de plusieurs pays. À travers la direction de ce think tank, la mission qu’il s’est assignée consiste à imaginer les territoires de demain, dans une démarche nécessairement complexe mais au demeurant accessible à toutes et à tous, et opérant un rebouclage entre théorie et actions de terrain. |
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