L’EUROPE GARDE DES ATOUTS
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Jean-Dominique Giuliani (*)
Président de la Fondation Robert Schuman
Il est de bon ton de regretter l’absence de l’Europe dans le déroulement des crises internationales. Les événements récents au Moyen-Orient confirment ce retrait. Pour Jean-Dominique Giuliani, européen farouche, la voix de l’Europe manque, mais, si l’on prête l’oreille, elle est encore audible, et elle pourrait à nouveau porter loin.
Que ce soit en Irak, en Libye, au Yémen ou en Afghanistan, les Européens ne sont pas les acteurs globaux que certains souhaiteraient. On pourrait se demander légitimement ce que les mêmes commentateurs aimeraient que l’Europe fasse. Les plus grandes puissances elles-mêmes dirigent-elles vraiment le cours des choses ? Les Européens voudraient-ils se lancer dans des conflits par l’envoi de troupes ou des actions de vive force ? Seraient-ils prêts à s’opposer au révisionnisme russe ou à l’agressivité turque en usant de forces armées ? Voudraient-ils être les gendarmes d’un monde qui n’en compte plus ? Rien n’est moins sûr, si tant est que ce soit approprié ou efficace !
Il n’en demeure pas moins que l’Europe est par trop effacée sur la scène internationale. Et qu’elle risque donc de se voir imposer des situations contraires à ses intérêts ou ses principes. Une situation dont on peut objectivement mesurer les inconvénients et les avantages.
Déconstruction
Le risque est grand pour l’Europe de ne pas savoir répondre à la politique du fait accompli, désormais pratiquée par son principal allié et ses adversaires, avérés ou potentiels. Russie et Turquie semblent rivaliser dans des actes agressifs, limités mais rendus possibles par le désintérêt américain. Notre grand allié regarde ailleurs, oublie jusqu’à notre existence, décide au mépris de nos intérêts, quand ce n’est pas ouvertement contre eux. La Chine n’est pas en reste avec l’occupation d’espaces maritimes, pourtant déclarée illégale par la Cour internationale de justice.
L’ordre international se déconstruit alors que l’unification européenne s’est bâtie sur le droit. De nouveaux rapports de force se font jour, plus primaires et plus brutaux, qui exigent certainement un peu plus de « virilité » dans l’expression d’une politique européenne plus affirmée. L’opportunisme semble l’emporter sur des stratégies construites dans la durée.
Depuis plusieurs décennies, l’avenir du monde ne se décide plus uniquement en Europe ; c’est un regret, mais c’est un fait. La posture européenne a néanmoins quelques avantages.
Les atouts
Incontestablement l’Europe occupe une place à part, elle n’est pas que le jouet d’événements qui se décident ailleurs. Son Soft Power reste puissant et financièrement généreux, ses messages, ses valeurs et ses principes continuent à briller, attirant les habitants d’une planète où l’opinion publique compte désormais davantage. Sa stabilité est une force. Elle est prévisible et sûre.
Si elle apparait parfois désespérante pour les dirigeants des Etats qui la composent, c’est qu’ils raisonnent trop souvent à l’échelle nationale. L’Europe est appréciée et fascine plus à l’extérieur qu’à l’intérieur. On veut y vivre, et on y immigre volontiers. Elle protège les personnes, cultive une forme de démocratie enviable, met en œuvre une solidarité qui en fait l’un des lieux de la planète où il fait bon vivre, quoi qu’en dise les éternels mécontents qu’elle abrite !
Construite contre l’idée même d’empire, elle peine à s’affirmer dans un monde de puissances, mais cela lui donne un avantage. Elle a moins d’ennemis que tous les autres protagonistes et peut s’exprimer sur tous les sujets, même les plus difficiles. Sa faiblesse en fait parfois une référence à défaut d’être une voix écoutée. Elle est peut-être seule, mais elle plaide unie pour une issue pacifique à la crise nucléaire iranienne, pour une solution politique en Libye, pour des négociations qu’elle seule organise entre la Russie et l’Ukraine, etc.
Ce qui lui manque le plus, ce n’est pas la force militaire, la puissance économique, ou le savoir-faire diplomatique, c’est sa capacité à unir ses principaux Etats membres pour prendre vite des décisions fortes et courageuses.
Loin de les marginaliser, les crises du moment placent les européens dans la situation de pouvoir apaiser, de contribuer aux résolutions ou, au contraire, de s’opposer juridiquement ou moralement. Pour peu que les principales puissances européennes soient unies, elles sont en mesure d’incarner un monde pacifique, multilatéral, fondé sur le droit, qui sans elles n’auraient plus de défenseurs, et d’ainsi peser plus qu’on ne le croit sur des situations délicates.
La raison voudrait que les Européens cherchent à d’abord valoriser cet atout, en se montrant plus unis à l’international, avant que de tenter de retrouver une place que le monde ne leur fait plus. C’est à ce prix que leurs intérêts seront le mieux défendus et que leurs convictions seront le mieux promues. C’est à ce prix qu’ils se rendront indispensables.
(*)Jean-Dominique Giuliani préside la Fondation Robert Schuman, centre de recherche de référence sur l’Union européenne et ses politiques. Conseiller spécial à la Commission européenne (2008-2010), il a précédemment été Maître des Requêtes au Conseil d’État, directeur de cabinet du Président du Sénat M. René Monory (1992-1998) et directeur à la direction générale du groupe Taylor Nelson Sofres (1998-2001). En 2001, il fonde: JDG.Com International Consultants qu’il préside. Membre du Conseil de Surveillance d’Arte France (depuis 2009) et Président de l’ILERI (Institut Libre d’Étude des Relations Internationales) (depuis 2019).
Vous pouvez suivre Jean-Dominique Giuliani sur son site : https://www.jd-giuliani.eu/
La Fondation Robert Schuman, créée en 1991 et reconnue d’utilité publique, est le principal centre de recherches français sur l’Europe. Elle développe des études sur l’Union européenne et ses politiques et en promeut le contenu en France, en Europe et à l’étranger. Elle provoque, enrichit et stimule le débat européen par ses recherches, ses publications et l’organisation de conférences.
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Bonne lecture et rendez-vous le 10 février 2020
avec le n°131 d’ESPRITSURCOUF
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