L’ingérence américaine dans la vie politique européenne
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Paul Charles (*)
Etudiant en Science politique (L3) –
UCO
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Un danger pour la voix française et la souveraineté de l’Union européenne ?
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Au sein de l’Union européenne, qui traverse une des pires crises d’unité de son histoire, les opinions concernant la posture à adopter face à la nouvelle administration américaine sont divisées ; ce qui menace sa souveraineté et l’influence de la voix française, déjà affaiblie par son contexte intérieur. De surcroît, ladite administration a lancé dès l’investiture de Donald Trump une seconde campagne visant l’Europe, en s’appuyant sur des soutiens souvent éloignés des idées défendues à Bruxelles par la France. Cette ingérence, menée par Donald Trump et Elon Musk, vise des points et acteurs clé de la vie politique européenne pour la faire virer de bord vers un nouveau rêve américain.
Une cérémonie aux invités soigneusement sélectionnés
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Bien qu’il ne soit pas coutume d’inviter de chefs d’Etat lors des cérémonies d’ouverture américaines, le nouveau président Donald Trump a fait le choix d’inviter quelques élus et personnalités politiques européennes, ce qui n’a pas manqué de faire réagir. Côté français, on retrouve Eric Zemmour, Sarah Knafo et Marion Maréchal, pourtant peu soutenus par le peuple français durant les dernières élections et réputés pour leurs prises de position radicales. En France comme dans le reste de l’Europe, Trump vise très à droite, parfois même chez les “infréquentables”. On peut citer Tino Chrupalla, co-leader de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), mais aussi Santiago Abascal, président du parti d’extrême droite Vox, ou encore Nigel Farage, président du parti Reform UK. Leur point commun réside dans leurs idées conservatrices, parfois d’extrême droite, souvent anti-européennes et appréciées par la nouvelle administration américaine. Ce choix n’est pas anodin mais sert, au contraire, de message adressé aux élites européennes, dont la France fait partie.
Plus que des invitations, des relations particulières
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Une autre invitée de marque fut Girorgia Meloni, présidente du Conseil italien, très influente dans une grande partie de l’extrême droite européenne et représentante du courant populiste de plus en plus prégnant en Europe. Le quotidien italien Il Manifesto remarque qu’on « peut voir dans la présence de la dirigeante italienne à la cérémonie, réclamée avec insistance par Donald Trump, l’investiture de Meloni elle-même en tant que vice-régente de la province européenne de l’empire américain ». Bien qu’elle ait hésité à s’y rendre, pour ne pas être liée aux autres invités, sa relation particulière avec Trump n’est pas une découverte. Elle s’était déjà rendue, quelques semaines plus tôt, dans sa résidence privée de Mar-a-Lago pour une rencontre furtive, afin de discuter de diplomatie iranienne. En donnant tant d’importance à une dirigeante en particulier, Trump fait peser la balance vers des rivaux de la France et de ses idées.
Une campagne qui ne s’arrête pas aux Etats-Unis
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L’Afd est souvent qualifiée d’infréquentable, tant les propos virulents tenus par certains officiels ont pu choquer l’opinion publique ; ce fut notamment le cas concernant le mémorial berlinois du génocide, qualifié de monument de la honte et symbole de faiblesse. Le parti avait d’ailleurs été exclu du groupe parlementaire européen « Identité et Démocratie » en avril 2024 et repoussé par le Rassemblement National. Néanmoins, il semblerait que le milliardaire et nouvel homme politique qu’est Elon Musk ne partage pas cette réticence vis-à-vis de l’Afd. Il a par exemple réalisé une sorte d’interview en direct sur son propre réseau social d’Alice Weidel, coprésidente de l’AFD qu’il décrit comme « candidate en tête pour diriger l’Allemagne », ce qui n’est pas vérifié par les sondages, mais a aussi participé au meeting du 25 janvier. Après que ce dernier ait publié sur X que « Seul l’Afd peut sauver l’Allemagne », l’ancien commissaire européen, Thierry Breton, avait critiqué son ingérence évidente, suite à quoi Musk rétorqua que « l’ingérence américaine est la seule raison pour laquelle vous ne parlez ni allemand ni russe ». Il ne nie pas se mêler aux affaires européennes, mais choisit au contraire de s’en vanter.
Tester la souveraineté européenne, la nouvelle stratégie de l’administration Trump ?
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Usant de sa douceur diplomatique habituelle, le nouveau président américain a, dès son investiture, lancé l’assaut vers le Groenland, un territoire « magnifique » dont les Etats-Unis ont soi-disant besoin pour des questions sécuritaires. Bien que ce souhait ne soit pas nouveau, il représente une réelle menace pour le Danemark dont la crédibilité en pâtit. Donald Trump a récemment multiplié les menaces et injonctions, restant très ambigu sur la manière dont il aimerait obtenir ce territoire, qui aurait pu se séparer du Danemark s’il le souhaitait, ce qui aurait asséné un coup violent à l’Union européenne.
Au-delà des attaques frontales, une critique indirecte de la voix française.
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Sur la scène européenne, la France essaye de redevenir le leader qu’elle fut autrefois. Cela passe notamment par la promotion d’un panel d’idées libérales et progressistes, censées faire de l’Europe un modèle qui soit indirectement à l’image de la France. On remarque notamment cela sur les questions de l’écologie, des droits humains, des relations internationales et de la démocratie. Cependant, Trump s’impose aujourd’hui comme le fer de lance d’une idéologie particulière, antagoniste en de nombreux points à celle défendue par la France. Selon Nicole Gnesotto, présidente de l’institut des hautes études de défense nationale, « Ce qui se joue, c’est un révisionnisme global […] du couple Trump/Musk […] Ils ont intuitivement l’intention […] de remettre en cause l’ordre international que l’on a créé depuis 1945, c’est-à-dire le libéralisme économique et ses contrôles, la démocratie politique et ses contre-pouvoirs, la liberté d’expression avec ses limites constitutionnelles ».
En choisissant, lors de la signature théâtralisée de ses premiers décrets, de sortir des accords de Paris, Trump envoie un message clair. C’est aussi le cas lorsqu’il s’attaque aux immigrés, aux droits de la femme et au « woke mind virus » qui aurait envahi l’Europe. De même, Elon Musk utilise son influence pour s’opposer de manière globale à la régulation sur internet, pourtant défendue et promue par une Union européenne qui essaye de s’imposer comme puissance normative.
Cette offensive n’est pas sans conséquences. Le couple americano-européen s’est dissout en quelques mois à la suite du virage idéologique des Etats-Unis, qui perdent leur influence sur le vieux Continent au profit des souverainistes. Reste à savoir si cette volonté de renforcement de l’UE sera durable et si une autre puissance, la Chine étant en tête de liste, occupera la place vacante offerte par les Etats-Unis. En somme, ce mandat laissera une marque indélébile sur la structure géopolitique mondiale sans que personne ne sache qui en profitera en Europe.
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(*) Paul Charles est étudiant en 3èmeannée de sciences politiques à l’Université Catholique de l’Ouest (campus de Nantes). Il s’oriente vers le journalisme politique international. |
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