La fin
de l’équilibrisme arménien ?
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Paul Charles (*)
Etudiant en Science politique (L3) -UCO
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La double intégration de l’Arménie, entre abri russe historique et souffle de renouveau européen. Telle est ainsi la problématique que soulève l’auteur à propos de l’Arménie dont le devenir sur l’échiquier international reste dépendant de nombreux paramètres…
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À peine plus grand que la Bretagne, figé entre quatre murs et bordé d’ennemis, l’Etat d’Arménie est pris dans une lutte perpétuelle pour sa survie. Encerclée par certains des plus grands Empires de l’histoire, la nation arménienne a souvent dû s’habituer à la domination des uns pour s’éviter le courroux des autres.
Au début du XXe siècle, l’invasion russe des terres arméniennes contrôlées par la Turquie fut bien accueillie par ceux qui, après des années de conflits inter-ethniques, préféraient vivre sous l’emprise de leur cousin slave. Sentiment naturellement renforcé au lendemain du génocide arménien, événement qui garde aujourd’hui une importance fondamentale dans la politique étrangère arménienne.
Depuis son indépendance en septembre 1991, 80% des frontières de l’Arménie subissent un embargo strict, conséquence du conflit entre populations turcophones et Arméniens (qui se traduit par la lutte pour le contrôle du Haut-Karabakh). C’est pourquoi la nation de Noé a dû se créer des partenariats solides pour survivre, avec la Russie d’abord, puis avec l’Europe, dans une politique étrangère particulière de double intégration régionale nommée « complémentarisme ».
L’intégration sécuritaire autour de la Russie, un paramètre vital pour l’Arménie
La vie en Arménie est fréquemment ébranlée par la guerre, ce qui renforce la cohésion de ce peuple, le sentiment patriotique et la volonté commune de défendre l’Artsakh. Seulement, face à un ennemi supérieur, qui plus est soutenu par son voisin turc, l’Arménie s’est vue obligée de quémander le soutien de son ancien maître, la Russie.
L’Arménie fut notamment l’un des États fondateurs de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), créée en 2002 et menée par la Russie, avec qui elle a aussi signé un accord militaire bilatéral en 2010.
Dans les faits, le territoire arménien est parsemé de quelques bases russes. On peut citer la base n°102 à Gyumri abritant notamment le 988ème régiment de missiles antiaériens, ainsi que sa composante aérienne à l’aéroport Erebuni d’Erevan, auxquels s’ajoutent des troupes stationnées aux frontières iraniennes et turques.
La Russie a aussi déployé, en partenariat avec l’Arménie, un système unifié de défense aérienne dans le Caucase. Ce dernier permet la mise en relation des systèmes défensifs et la création d’un « espace radar commun […] qui protégera notre espace aérien des menaces émanant des pays de l’OTAN, en particulier de la Turquie » (Norat Ter-Grigoryan). À travers l’OTSC, l’Arménie bénéficiait aussi d’avantages quant à l’achat de matériel défensifs.
Trouver l’équilibre entre deux géants : la voie de la souveraineté ?
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L’œil de l’Arménie s’est toujours porté vers l’Ouest. Sa constitution fut très largement inspirée par la constitution française, pays européen pour lequel les Arméniens ont le plus d’estime, notamment du fait qu’il accueille une grande part de sa diaspora (600 000 en 2011, selon le Centre de recherches sur la diaspora arménienne). C’est pourquoi en 2009, l’Arménie décide de participer au lancement du Partenariat oriental, projet de l’Union européenne ayant comme objectif une amorce d’intégration économique et politique.
Néanmoins, le 3 septembre 2013, le président Arménien Serg Sargsyan fait trembler le pays en annonçant participer à la création de l’Union économique eurasiatique et rejoindre son union douanière. Pourtant, au sein des élites arméniennes, le consensus était clair : moderniser le pays progressivement en adoptant les standards européens. Beaucoup pensèrent que la Russie avait usé de sa force de contrainte, ce qui, au demeurant, n’est pas complètement faux, mais il s’agissait surtout du début de la politique arménienne de complémentarisme.
Les raisons de ce choix singulier
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Usant de ses atouts géostratégiques, mais surtout de ses liens diplomatiques historiques renforcés par sa diaspora, l’Arménie a réalisé une double intégration économique et politique entre deux espaces opposés. C’est pourquoi, après 2009, le pays menait une « intégration silencieuse » (Laure Delcour) à l’inverse du reste de l’Europe de l’Est qui criait son amour pour l’Occident sur tous les toits. Afin de ne pas se faire écraser, l’Arménie a compris qu’elle devait se maintenir entre ces deux entités que tout oppose, sans vaciller.
De fait, la décision de Serg Sargsyan prend racine dans des raisons structurelles : le besoin de s’assurer le soutien militaire russe pour défendre ses intérêts, 35,4% de la population sous le seuil de pauvreté en 2011, l’émigration massive des travailleurs vers la Russie… En bref, les conséquences amplifiées de la crise économique de 2008-2009 et une situation géopolitique instable.
S’intégrer progressivement dans l’espace européen sans brusquer le géant russe
En 2013, malgré les apparences, « Le gouvernement arménien n’avait pas abandonné l’idée d’un accord avec l’UE, tout comme cette dernière ne voulait pas laisser l’Arménie partir » (Vahram Ter-Matevosyan). D’ailleurs, dès 2014, le régime des visas est assoupli entre les deux pays. Plus important, un Accord de Partenariat global et renforcé est signé en novembre 2017 et les exportations arméniennes vers l’UE augmentent de 21,5% entre 2014 et 2019.
C’est à partir de 2020 qu’un tournant est pris, lorsque l’UE s’implique dans les affaires diplomatiques et sécuritaires du pays. Une mission d’observation à la frontière azérie est lancée en 2022. Puis, en juillet 2024, la décision est prise d’utiliser la facilité européenne pour la paix afin d’aider la défense arménienne à hauteur de 10 millions d’euros. En parallèle, l’Arménie a préféré la plateforme de négociation occidentale (menée par l’UE et les Etats-Unis) à son alternative russe pour tenter, en 2023, de mettre un terme aux conflits avec l’Azerbaïdjan. Cependant, ce n’est pas si négatif du point de vue russe qui, concentré sur la guerre en Ukraine, doit maintenir des frontières paisibles pour assurer son commerce.
Un équilibre qui se dégrade
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Il semblerait que les années 2010 aient amené la géopolitique régionale à se restructurer, poussant la Russie à ne pas favoriser spécifiquement un pays du Caucase, d’autant que « les autres membres de cette organisation [l’OTSC] ne se montrent guère favorables à l’Arménie » (Tigrane Yégavian). Néanmoins, l’Arménie n’a pas supporté que son allié historique ne lui porte pas secours en septembre 2023, lorsque l’Arménie a perdu le Haut-Karabakh. C’est pourquoi, le 12 juin 2024, le président Nikol Pashinyan a annoncé que l’Arménie quittait l’OTSC, qu’il juge incapable de protéger ses membres.
En parallèle, l’image que renvoyait la Russie s’était largement dégradée depuis 2018, années de la « révolution pourpre », au profit des pays occidentaux. En 2022, la France inspirait confiance à 84% de la population arménienne, contre 56% pour la Russie. En clair, si les Arméniens considèrent toujours le peuple russe comme des frères, ils ne souhaitent plus avoir leur Etat comme partenaire.
Un des facteurs influençant les chances d’intégration est la résonance du projet et de ses valeurs. Interrogés sur leur confiance envers l’UE et l’UEEA, 46% des Arméniens préfèrent l’UE contre 29% pour l’UEEA. L’adhésion de l’Arménie à l’UE a par ailleurs été mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale en septembre 2024 après qu’une initiative citoyenne ait atteint son seuil en moins d’un mois. Effectivement, l’adhésion à l’UE est dans l’esprit de tous et 58% de la population se dit prête à voter dans ce sens.
Quel avenir pour l’Arménie ?
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Rien n’est certain. Le conflit idéologique entre l’Ouest et l’Est complique le modèle de complémentarisme arménien, qui pourrait avoir à réviser sa politique.
Étant donné la situation dans laquelle la Russie évolue, cette dernière n’a pas le luxe de pouvoir se passer d’un partenaire commercial et allié de longue date. Cependant, elle ne peut pas non plus laisser son image être dégradée de la sorte, alors même que son narratif à l’Est repose sur l’idée d’expansionnisme occidental.
Quant à l’Arménie, les chances que l’UE s’implique davantage physiquement étant maigres, elle est presque délaissée du point de vue sécuritaire. Sa seule solution est probablement de plonger vers l’Europe si elle ne veut pas s’attirer les foudres de son peuple, mais à quel prix ? L’Europe est-elle prête à accueillir ce voisin éloigné, avec qui elle partage peu d’attaches et qui n’est clairement pas prêt, que ce soit sur le plan institutionnel comme économique ? D’autant que l’économie arménienne est dépendante de la Russie.
La perspective la plus réaliste serait que la Russie se désintéresse légèrement de l’Arménie en gardant des liens économiques forts, mais que cette dernière tente de se rapprocher de l’Occident sans y être accueillie à bras ouverts, menant à une sorte de complémentarisme affaibli, mais stable.
Arménie en quelques chiffres
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,Cet article sera prochainement prolongé par l’interview du professeur Vahram Ter-Matevosyan, spécialiste de la politique étrangère et sécuritaires de la Turquie et des Etats du Sud Caucase. Il analysera la situation actuelle de l’Arménie partagée entre deux espaces idéologiquement opposés.
(*) Paul Charles est étudiant en 3èmeannée de sciences politiques à l’Université Catholique de l’Ouest (campus de Nantes). Il s’oriente vers le journalisme politique international. |
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