REPENTANCE
ET
LIBERTÉ D’EXPRESSION
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Alain Juillet (*)
Ancien Haut Responsable
de l’Intelligence Économique
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Pour l’auteur, la repentance est une posture aux conséquences extrêmement graves. Que les plus hautes autorités de l’État, dit-il, se prêtent à ce jeu mortifère qui condamne des périodes du passé en ignorant l’état d’esprit de l’époque, les circonstances et les faits, est injustifiable pour des élus d’un peuple qu’ils sont censés défendre, et non culpabiliser.
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e choix de la repentance remplace la France éternelle, celle de l’honneur et du devoir, celle des lumières et du courage, par la France coupable, celle de la honte et du déshonneur.
Cette regrettable pratique s’est légitimée par l’exigence de repentance en politique intérieure, exprimée par des minorités de toutes origines. Comme le signalait Clément Beaune, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, ces communautés sont soutenues par une gauche qui a abandonné le peuple et le social dans une dérive vers l’extrême gauche communautariste. Ensemble ils rejettent des pans entiers de ce qui a fait la France en utilisant la décolonisation comme théologie de la libération. En joignant, selon la méthode définie par Wladimir Volkoff, l’approximation involontaire à la tromperie délibérée, il s’agit de déconstruire notre histoire pour satisfaire des minorités racialistes, indigénistes, islamo gauchistes et bien sûr antisémites pour qui la repentance n‘est qu’une étape. S’appuyant sur une idéologie qui refuse les principes de liberté et d’égalité, ils veulent créer des territoires à leur image dans un processus de colonisation de peuplement et de conquête des esprits.
Une reconnaissance devenue complaisance
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Considérant que les fautes du colonisateur sont inexpiables, ces minorités se victimisent pour interdire à la majorité de s’exprimer afin de les priver de leurs droits. C’est d’autant plus facile, selon Laetitia Strauch Bonart dans « le Point »t du 8 avril, qu’en substituant comme système de valeurs la sécurité matérielle et émotionnelle à l’honneur et à la dignité, on donne la priorité à la victime dans une reconnaissance devenue complaisance, qui relativise les faits. Loin de la recherche permanente de la mesure prônée par Aristote, nous sommes confrontés à l’émergence d’un néofascisme de la diversité. Il est constitué de mouvements totalitaires et anti démocratiques pratiquant le rejet et l’exclusion, en fonction de la couleur de la peau, des idées ou des origines.
D’humiliations en humiliations, face aux groupes de pressions minoritaires et aux États qui les soutiennent, les Français se sentent coupables, sans essayer de se défendre. Devenus les boucs émissaires de tous les maux, nos actes de repentance sont perçus dans tous les pays émergents ou non-démocratiques comme une démonstration de faiblesse qui justifie d’en demander d’autres. Comme l’écrivait Albert Camus, « Il est bon qu’une Nation soit assez forte de Tradition pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu’elle peut avoir de s’estimer elle-même. Il est dangereux en tout cas de s’avouer seule coupable et de se vouer à une pénitence perpétuelle ».
Ainsi le rapport Stora sur l’Algérie, passe sous silence les morts pour la France, civils ou militaires. Il fait suite à la condamnation de la colonisation française, considérée comme un crime contre l’humanité dans une négation de l’histoire de ces 130 ans, puis à l’hommage qui fut rendu à des membres du FLN. Ces déclarations, sans doute faites dans l’intention d’avancer dans la voie de la vérité et de la justice, auraient dû avoir une réciprocité de la part de l’Algérie. Loin de s’en satisfaire, elle n’a pas hésité, par son ministre du travail, à nous désigner le 8 avril comme « l’ennemi traditionnel et éternel ».
Certes, la colonisation d’un pays réduit ce dernier à l’état de population sujette, avec inévitablement des abus et des crimes. Il n’est donc pas question d’oublier les faits, les répressions féroces en réponse à des attentats sanglants et un statut indigène regrettable. Mais, il serait légitime de reconnaître aussi que l’Algérie a connu sous la colonisation un développement économique et social incontestable, alors qu’elle avait été dévastée par l’empire ottoman. En ne répliquant pas à ce déni d’histoire, nous donnons raison aux gouvernements successifs algériens qui refusent de reconnaître leur échec, constant depuis 60 ans. En France, pour une partie de la population d’origine immigrée, cette victimisation fait de nous des coupables éternels et explique qu’une partie minoritaire des jeunes de nos banlieues, encouragés par des imams financés de l’extérieur, refusent de s’intégrer et rejettent toute assimilation.
Au nom de la transparence
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Cette pratique obsessionnelle de la repentance se pratique au nom de la transparence que Denis Bredin définit comme « la terrible et unique vertu d’une époque qui a oublié toutes les autres ». Elle s’impose dans l’esprit de nos dirigeants comme la démonstration d’une gouvernance moderne. Pourtant, dans l’histoire du monde, chaque fois qu’un État l’a pratiqué il a basculé peu après dans la dictature. Ceci explique pourquoi cette exigence est si chère au cœur des idéologues extrémistes. Le problème gênant est que ceux qui la prônent ne l’appliquent pas quand ils arrivent au pouvoir. Regardez avec quel soin la plupart de nos partis et élus politiques refusent de publier les noms de leurs généreux donateurs.
Nous trouvons un autre exemple des limites de cette transparence dans l’utilisation de la raison d’État. Le président du Tchad, Idriss Deby, a été tué, non pas au combat, mais lors d’une réunion avec son état-major, le matin des élections. Constatant l’assassinat et sachant que la majorité de la population souhaitait un changement après 5 mandats de dictature et de chasse systématique aux opposants, y compris dans sa famille, des élections auraient dû se faire immédiatement. Les Français, pour préserver l’implication indispensable de l’armée tchadienne dans l’opération Barkhane, ont préféré entériner la mise en place pour 18 mois d’un comité militaire dirigé par le fils du président Deby. Dans la logique actuelle de transparence et de repentance, le minimum aurait été de s’en excuser auprès des Tchadiens. Nous en sommes loin comme on a pu le voir à l’enterrement de celui qui, nonobstant ses crimes, aura été un soldat au courage exceptionnel.
Quand les khmers rouges cambodgiens ont envahi Pnom Penh, la gauche française a applaudi les libérateurs. Des années plus tard, quand le génocide a été connu, seul Jean Daniel du Nouvel Observateur a eu le courage de la vraie repentance en s’excusant de sa prise de position antérieure.
Il y a peu, face aux problèmes de vaccinations, on a entendu la chancelière allemande s’excuser. Cet aveu de ses propres fautes est extrêmement rare. Il est plus facile de se repentir sur les fautes présumées des autres que d’assumer courageusement les siennes. Mais ne rêvons pas. On n’a pas vu le président Bush présenter ses excuses pour Guantanamo et l’usage institutionnel de la torture dans les prisons de la CIA. N’attendez pas que le président Biden, sénateur depuis 30 ans du plus grand paradis fiscal mondial, le Delaware, s’excuse d’avoir contribué à faire interdire tous les paradis fiscaux européens, ou que le président Kagame reconnaisse son implication dans la destruction de l’avion présidentiel rwandais. Comme le disait un cardinal, ancien primat de Belgique, quand la prudence est partout, le courage est nulle part.
Une morale à géométrie variable
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En réalité, sous la pression médiatique et la raison d’État, notre sélection du bien et du mal est à géométrie variable. On ne se repent pas sur nos relations avec les dictateurs africains mais ailleurs on s’érige en juge en oubliant la morale et les règles de droit. Al Qaida devient sympathique et on lui fournit de l’armement quand il s’attaque à la Syrie, mais devient criminel s’il s’attaque à la France. Jamal al Nostra est un groupe de combattants rebelles à Idlib en Syrie, mais devient un mercenaire turc en Lybie. On s’apitoie sur les ouighours en oubliant les centaines de milliers de civils morts en Irak et en Afghanistan. On s’inquiète sur les premiers jours de grève de la faim de Navalny, et on ne dit rien sur la mort au 298° jour de celle de l’avocate turque Ebru Timtik qui demandait simplement un procès équitable.
On sanctionne et on expulse des diplomates par mesure de rétorsion pour l’empoisonnement de Serguei Skripal et on ferme les yeux pour l’assassinat d’Adnan Khashoggi. On justifie des guerres politiques et économiques aux Balkans en Lybie ou en Syrie au nom de la défense des droits de l’homme ou du droit humanitaire d’ingérence. Nous sommes dans la ligne du Vae victis, le malheur aux vaincus de l’empire de Rome. Tout ce que font nos dirigeants occidentaux est bien et moral, mais ce qu’ont pu faire leurs prédécesseurs et aujourd’hui leurs adversaires est forcément immoral.
A ce stade comme l’écrit la philosophe Monique Canto Sperber, il faut sauver la liberté d’expression qui est prise en otage dans une inversion entre le juste et le bien. Comme on ne peut réfuter, on empêche d’en parler, la prétention morale excusant la censure. Ainsi l’interdiction de l’autre est devenue la norme, et la tolérance une concession alors qu’elle était une vertu. Eugénie Bastié dans La guerre des idées, précise que la caractéristique du débat actuel est le refus de la confrontation. Au nom du droit totalement subjectif à ne pas être offensé, on interdit l’échange et l’écoute d’une opinion différente. Confondant les deux on refuse le vrai pour privilégier ce que l’on croit être le bien. L’émotionnel doit primer la réalité.
Pour répondre aux amis de madame Traoré, pourquoi ne pas mettre au Panthéon les cendres de Gaston Monnerville, avocat noir d’origine guyanaise, petit-fils d’esclave et résistant, qui fut Conseiller général pendant 25 ans du département du Lot, Maire de Saint Céré au coeur de la France profonde, et deuxième personnage de l’État comme président du Sénat de 1958 à 1968. Il tenait tête à De Gaulle et défendait passionnément les valeurs de la République. Mais cela fait partie d’une histoire vraie que les moins de 40 ans ne veulent pas connaître car elle contredit leur interprétation …..
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(*) Alain Juillet, après avoir débuté sa carrière comme officier dans des unités parachutistes et au service Action du SDECE, a travaillé dans de nombreux groupes français et étrangers comme cadre puis dirigeant, avant d’être nommé directeur du renseignement à la DGSE, puis Haut Responsable à l’Intelligence Économique auprès du Premier ministre. Depuis il a été conseiller dans un cabinet d’avocats d’affaires et président du Club des directeurs de sécurité des entreprises. Diplômé d’un EMBA/HEC et de Stanford University, ancien auditeur de l’IHEDN et de l’INHESJ. Il est aujourd’hui auteur conférencier et chargé de cours en gestion de crise, stratégie, et intelligence économique dans des écoles et universités françaises et étrangères. Il a co-écrit avec Pierre Fournié et Henri Dou « Effondrements et géopolitique du Covid 19 », publié en janvier 2021 aux Éditions Anima Corsa, et présenté dans la rubrique LIVRES dans le numéro 160. |
Bonne lecture et rendez-vous le 26 juillet 2021
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