RICHE, CONVOITÉE :
LA FRANCE DU PACIFIQUE
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Joseph Le Gall (*)
Ancien officier de renseignement
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Dans notre précédente publication, l’auteur soulignait la tension grandissante dans la zone Indo-Pacifique, en raison de l’expansionnisme chinois. Dans le Pacifique-Sud, la France dispose de richesses minières et d’une vaste zone économique exclusive de près de 7 millions de kilomètres carrés, riche et convoitée en raison de ses importantes ressources minérales marines profondes. Face à une influence anglo-saxonne dominante, la Chine se fait de plus en plus présente…
Grâce à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et également à Clipperton, la France est présente dans le Pacifique-Sud, avec un immense espace maritime situé à 16 000 km de la métropole, correspondant à une ZEE (zone économique exclusive) de 6 932 677 km2, qui se situe, à elle seule, au 4ème rang mondial. L’influence anglo-saxonne y est très marquée, avec trois grands acteurs : l’Australie, la Nouvelle Zélande et les États-Unis. Nos trois territoires qui n’ont ni le même statut, ni les mêmes ressources, ont chacun des spécificités institutionnelles, géographiques et démographiques.
La Polynésie française
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La Polynésie française se compose d’environ 118 îles, d’origine volcanique ou corallienne, couvrant une superficie émergée de 4 200 km² dispersée sur 2 500 000 km² (équivalent à la surface de l’Europe). Le territoire est composé de cinq archipels : l’archipel de la Société : Îles du Vent (Tahiti, Moorea et Tetiaroa) – Îles Sous le Vent (Raiatea, Tahaa, Huahine, Bora Bora et Maupiti) ; l’archipel des Marquises, composé d’une douzaine d’îles s’étirant du nord au sud sur 350 km ; l’archipel des Australes, constitué de cinq îles hautes, situées sur le tropique du Capricorne ; l’archipel des Tuamotu et l’archipel des Gambier. Chaque île, chaque atoll, chaque kilomètre de littoral se prolonge par une mer territoriale puis par une zone économique exclusive qui appartient à la France.
Territoire d’Outre-Mer depuis 1946, la Polynésie française est dotée depuis le 6 septembre 1984 d’un statut d’autonomie interne dans le cadre de la République. Les institutions du territoire sont constituées du gouvernement du territoire, de l’assemblée territoriale et du comité économique, social et culturel. Le haut-commissaire a la charge des intérêts nationaux, du respect des lois et de l’ordre public ; il veille à l’exercice régulier de leurs compétences par les autorités territoriales. Depuis, le statut d’autonomie a été renforcé en1996 et 2004 par des transferts de nouvelles compétences de l’État, lequel reste maitre dans les fonctions régaliennes (sécurité extérieure, diplomatie, défense, justice, sécurité intérieure, nationalité, droits civiques, etc.). Fin 2020, la population de la Polynésie s’élevait à 285 288 habitants. La ZEE de Polynésie, d’une superficie de 4 793 620 km², est la plus grande de la ZEE française (près de 40 % de l’ensemble).
La Nouvelle-Calédonie
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Localisé dans le Pacifique occidental, le territoire de la Nouvelle-Calédonie fait partie de l’ensemble mélanésien, sa superficie est de 18 575 km². Situé à 1 979 km de Sydney (Australie), l’archipel comprend la Grande-Terre (400 km de long sur 50 km de large), les quatre îles Loyauté (Ouvéa, Lifou, Tiga et Maré), l’archipel des îles Belep, l’île des Pins et quelques îlots lointains. La zone économique exclusive couvre 1,4 millions de km² (soit la moitié de la superficie de la mer Méditerranée). En 2019, la Nouvelle-Calédonie comptait 271 407 habitants.
Territoire d’Outre-Mer depuis 1946, la Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’Outre-Mer à statut particulier qui résulte de l’accord de Nouméa (5 mai 1998), approuvé lors de la consultation électorale du 8 novembre 1998. La loi organique du 19 mars 1999 fixe le cadre dans lequel s’inscrit l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie pour vingt ans. Un premier référendum d’autodétermination organisé le 4 novembre 2018 a donné la victoire au « non », ouvrant la voie à une seconde consultation. Le deuxième référendum organisé le 4 octobre 2020 a donné une nouvelle fois la victoire au « non », avec toutefois un score plus serré (53,26% contre 56,7% en 2018). Un troisième et dernier référendum sera organisé le 12 décembre 2021.
En Nouvelle-Calédonie, l’État est compétent dans les matières énumérées limitativement par l’article 21 de la loi organique (défense, sécurité, immigration, justice, trésor, monnaie, etc.). Le haut-commissaire de la République est dépositaire des pouvoirs de la République et représente le Gouvernement. La Nouvelle-Calédonie est représentée au Parlement et au Conseil économique et social de la République.
Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie est formé par la réunion d’une partie des membres des 3 assemblées de provinces (respectivement 32 membres, 15 membres et 7 membres), soit 54 membres. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est élu par le congrès pour une durée de 5 ans, c’est l’exécutif de la Nouvelle-Calédonie.
Au plan économique, le territoire connaît un essor industriel lié aux ressources du sous-sol en minerais de chrome, de fer, de cobalt, de manganèse, d’argent, d’or, de plomb, de cuivre et surtout de nickel (25% des réserves mondiales). La Société Le Nickel (SLN), filiale du groupe français Eramet, assure 80% des exportations de la Nouvelle-Calédonie vers le Japon, la Corée, la Chine et l’Europe. Grâce à ses activités minières et métallurgiques, le territoire occupe dans la zone Pacifique, la deuxième position en termes de PIB par habitant, entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Wallis-et-Futuna est une collectivité d’Outre-Mer située entre la Nouvelle-Calédonie et Tahiti composée de trois îles principales, Wallis, Futuna et Alofi. D’une superficie de 142 km² avec 11 600 habitants, la plupart étant d’origine polynésienne (97,3 %). L’île de Clipperton est un Atoll non habité de 11 km² situé à 1 280 kilomètres à l’ouest du Mexique.
Des richesses encore inexploitées
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Selon Pierre Cochonat, directeur scientifique adjoint l’Institut Français pour l’Exploitation de la Mer (Ifremer) en 2013, il existe dans « l’ultra profond » océanique de nos ZEE du Pacifique des réserves de pétrole et gaz offshore, mais aussi des nodules polymétalliques, riches en nickel, cuivre, zinc et manganèse. La ZEE de Polynésie serait particulièrement riche en encroûtements cobaltifères (cobalt, nickel, platine et manganèse).
En novembre 1997, la mission océanographique mexicano-française SURPACLIP a révélé dans la zone orientale de Clipperton une grande abondance de nodules qui couvrent parfois 90% de la surface dans la zone française. La réserve de cette zone a été évaluée à quelques milliards de tonnes de nodules d’une teneur en manganèse d’environ 29%, de nickel à 1,4%, de cuivre à 1,2%, de cobalt à 0,25%. En traitant 1,5 millions de tonnes de minerai par an, une exploitation industrielle fournirait environ 80% des besoins français en manganèse, 55% en nickel, 5% en cuivre et 2 fois ceux en cobalt.
On y trouverait aussi des métaux rares comme le neodium et des « terres rares ». Outre l’indium et le germanium, la France pourrait exploiter des gisements de cadmium, antimoine, mercure, sélénium, molybdène et bismuth. Les terres rares sont des métaux dits « stratégiques » où « critiques » qui comprennent le cobalt, le tantale ou le nobium. Ces métaux sont utilisés pour les secteurs de l’aéronautique, de l’armement ou encore pour la fabrication d’équipements électroniques (radars, pots catalytiques, téléphones portables, MP3, batteries de véhicules électriques, panneaux solaires, éoliennes).
Ainsi, dans la ZEE de Wallis et Futuna la France disposerait de réserves de terres rares parmi les plus importantes du monde. Aujourd’hui, 95% des terres rares exploitées proviennent de Chine, qui détiendrait seulement 37% des gisements mondiaux reconnus. Toujours selon Pierre Cochonat, la course vers les métaux rares recouvre des enjeux économiques et géopolitiques : « c’est un enjeu très important pour le positionnement international des équipes scientifiques et des groupes miniers français, avec des enjeux juridiques derrière les demandes de permis dans les zones économiques ou dans les eaux internationales. Ces métaux rares sont stratégiques car ils sont utilisés dans de nombreuses nouvelles technologies ».
En résumé, les résultats des études menées par l’Ifremer permettent d’affirmer qu’en Polynésie française il existe trois types de gisements, à savoir par ordre d’intérêt : les encroûtements polymétalliques, qui présentent le plus grand intérêt, de par leur richesse en cobalt (1,8 %) et platine (2,8 g/T) ainsi que leur présence à des profondeurs modérées (entre 800 et 1 500 mètres, sur les flancs et sommets des monts sous-marins), notamment aux Tuamotu et entre Tahiti et les Australes. Cette configuration autorise une exploitation relativement aisée ; les vases des plaines abyssales, qui contiennent des terres rares (lanthanides, yttrium, scandium) en quantité significative, à des profondeurs comprises entre 4 000 et 5 000 mètres ; les nodules polymétalliques, qui présentent un intérêt très limité, de par leur teneur réduite en éléments métalliques.
Ces découvertes ont fait dire à l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine (2011/2016) : « c’est une richesse qu’il nous faut exploiter mais aussi protéger car on ne peut plus aujourd’hui se désintéresser de ce potentiel immense ».
L’influence anglo-saxone
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La présence d’une puissance non-anglophone dans le Pacifique-sud n’a pas toujours été très appréciée par la Nouvelle-Zélande et l’Australie qui y voyaient une forme de concurrence. Par le passé, les gouvernements australien et néo-zélandais se sont montrés très critique à l’égard de la politique française dans le Pacifique, en particulier durant la période des expérimentations nucléaires à Fangataufa, puis à Mururoa, de 1966 à 1996, ou encore durant les événements en Nouvelle Calédonie dans les années 1980. Pour tenter de réduire la domination de la France dans le Pacifique-sud, l’Australie a mené une stratégie d’influence sur les peuples vivant dans les trois collectivités françaises d’Océanie.
Les Néo-Zélandais aiment à mettre en avant leur côté maori auprès des jeunes Polynésiens pour affirmer les liens culturels qui les lient. Si, depuis la signature des Accords de Nouméa (1998), l’Australie se montre moins réceptive aux attentes du FLNKS, il n’en reste pas moins que la région du Queensland central a passé un accord avec la Province Nord de la Calédonie (gouverné par le parti nationaliste kanak) en vue d’établir un accord de coopération. La présence française, longtemps contestée, y est maintenant souhaitée, comme l’illustre, entre autres, l’intensification de la coopération militaire de la France avec les puissances régionales et les petits États océaniens.
Nouvelle-Zélande
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Les essais nucléaires français dans le Pacifique et l’affaire du Rainbow Warrior ont longtemps envenimé les relations entre Paris et Wellington. Depuis la visite à Paris du Premier Ministre néo-zélandais en 2003, un nouvel élan a été donné à la coopération entre la France et la Nouvelle-Zélande, les échanges se sont intensifiés. Lors d’une déclaration conjointe faite à Auckland le 9 septembre 2011 par les ministres des Affaires étrangères français, Alain Juppé, et néo-zélandais, Murray McCullyles, les deux pays ont décidé de renforcer les relations entre la Nouvelle-Zélande et les collectivités et territoires français du Pacifique. Paris et Wellington attachent une grande valeur à l’excellent niveau de leur coopération militaire, économique et en matière de développement dans la région. À cet égard, ils ont pris acte de l’importance de la coopération dans le domaine de la surveillance maritime dans le Pacifique et se sont engagés à y travailler activement avec leurs partenaires régionaux.
Australie
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Tout comme avec la Nouvelle-Zélande, les essais nucléaires français ont longtemps rendu délicates les relations entre Paris et Canberra. Depuis une dizaine d’années les relations se sont normalisées. Ainsi, le 19 janvier 2012, la France et l’Australie ont convenu d’une « déclaration commune de partenariat stratégique », signée par les ministres des affaires étrangères, Alain Juppé pour la République française, et Kevin Rudd pour le Commonwealth d’Australie. Les deux pays ont décidé de renforcer leur coopération militaire dans la région Indo-Pacifique.
En 2014, le président français François Hollande a effectué une visite officielle en Australie, la première visite d’un président français en Australie en 200 ans. À cette occasion le président de la République a tenu à exprimer une nouvelle fois, la gratitude de la France à l’égard du peuple australien, et à l’indéfectible amitié qui lie les deux pays par le sang de ceux qui sont tombés, il y a un siècle, pour la liberté.
En avril 2016, le Premier ministre d’Australie, Malcom Turnbull, a annoncé officiellement la signature d’un contrat de 50 milliards de dollars (soit 31 milliards d’euros dont 8 environ pour Naval Group et les industriels français associés au programme) pour la construction de douze sous-marins à propulsion classique diesel-électrique Shortfin Barracuda de classe Attack à fabriquer en Australie avec transfert de technologie. En mai 2018, suite à la visite du président de la République Emmanuel Macron à Sydney, des négociations ont été engagées pour renforcer encore davantage la coopération militaire entre les deux pays.
En avril 2021, un accord militaire était en cours de finalisation, lequel faisait de la France le plus proche allié de l’Australie après les États-Unis ; au grand dam du premier ministre britannique Boris Johnson. Cinq mois plus tard, le 15 septembre, suite à la création de l’alliance AUKUS avec les États-Unis et le Royaume-Uni, l’Australie a dénoncé, sans aucune notification diplomatique préalable, le contrat passé avec Naval Group, en vue d’acquérir à la place huit sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) américains de classe « Virginia » suivant un partenariat de défense avec le Royaume-Uni et les États-Unis. Cette affaire a provoqué une grave crise diplomatique entre Paris, Washington et Canberra. La France a rappelé ses ambassadeurs à Canberra et Washington.
La Chine place ses pions dans le Pacifique-Sud…
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Depuis les années 1990, la Chine marque un intérêt certain pour l’Océanie, région qui se situe entre l’Asie du Sud-Est et l’Amérique du Sud, et qui comprend l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Micronésie, la Mélanésie (dont fait partie la Nouvelle-Calédonie) et la Polynésie. Pour cela, elle applique ce que l’on appelle le « soft power », une manière douce d’influencer les gouvernements de ces États, tout en avançant ses pions…
Déjà, en 1976, six ans après l’indépendance des Fidji (archipel situé à 1295 km de la Nouvelle-Calédonie), Pékin a investi dans ces iles, d’où il a ensuite développé progressivement des liens diplomatiques avec d’autres petits États du Pacifique. En 1989, la Chine est devenue un partenaire du dialogue du Forum des Îles du Pacifique, la première organisation politique régionale, regroupant les dix-huit États du Pacifique-Sud. Depuis l’annonce en 2013 par le président Xi Jinping des « Nouvelles Routes de la Soie » BRI, Pékin a réussi à y associer onze États du Pacifique-Sud : Nouvelle-Zélande, Îles Cook, Micronésie, Fidji, Kiribati, Niue, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Tonga, Vanuatu, Îles Salomon et Samoa ; seules l’Australie, Nauru, Palau, Tuvalu et les Îles Marshall n’ont pas adhéré au projet.
La dépendance de la Chine aux ressources naturelles et aux matières premières s’est considérablement accrue depuis les années 1990 ; le bassin Pacifique compte beaucoup dans la stratégie chinoise de sécurisation de ses approvisionnements. Grâce au BRI, la Chine souhaite également réinvestir ses surcapacités productives et aussi signer avec les États concernés des contrats d’infrastructures, notamment portuaires et aéroportuaires. Ainsi, selon le Sidney Morning Herald du 9 avril 2018, la Chine était sur le point de signer avec la République du Vanuatu (ex. Nouvelles-Hébrides), des contrats pour la réalisation d’un port en eaux profondes à Luganville sur l’île d’Espiritu Santo au nord de l’archipel et d’un réseau de télécommunications à Port-Vila. Pour Fairfax Media (Australie), la construction d’un quai en eau profonde, officiellement destiné à accueillir des navires de croisières, pourrait aussi servir de point d’appui pour les bâtiments de guerre chinois appelés à opérer dans le Pacifique-Sud, loin des côtes chinoises. Il serait également prévu d’agrandir la piste du petit aéroport Bauerfield, à Port-Vila. Il faut rappeler que le Vanuatu est situé à seulement 630 km de la Nouvelle-Calédonie…Un projet analogue serait à l’étude avec la République du Kiribati, un archipel situé à mi-distance entre Hawaii et l’Australie.
La Chine est devenue un important investisseur dans l’ensemble du Pacifique-Sud, en particulier en Australie où elle a investi dans les secteurs minier, gazier et agricole. En 2015, le groupe chinois Shandong Landbridge Group a obtenu pour 99 ans la gestion du port de Darwin, sur la côte nord du pays, en créant une filiale, Landbrige Industry Australia. En échange des aides accordées aux micro-États du Pacifique, Pékin tenterait d’obtenir des accords militaires ainsi que des autorisations d’exploitation de leurs ZEE (ressources halieutiques et offshore).
En Polynésie française
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En raison de ses besoins stratégiques pour les industries du futur, la Chine s’intéresserait aux fonds marins de la ZEE française du Pacifique pour son abondance de minerais autour de Wallis (sulfures polymétalliques hydrothermaux), d’encroûtements de manganèse cobaltifère dans l’archipel des Tuamotu et de nodules polymétalliques à Clipperton.
En 2007, sous la présidence du leader indépendantiste Oscar Temaru, la Chine a ouvert un consulat à Tahiti sur la commune de Puna’auia, à 7 km de Papeete, dirigé par un diplomate de carrière. En reconnaissance, Oscar Temeru a obtenu le soutien de Pékin aux Nations Unies pour faire reconnaître : « Le droit inaliénable de la population de la Polynésie française à l’autodétermination et à l’indépendance » (résolution 67/265 adoptée sans vote le 17 mai 2013).
En 2011, Faa’a, la ville d’Oscar Temaru a été jumelée avec Jiangying, un port sur les rives du Yang-tsé, près de Shanghai. Trois ans plus tard, Papeete a à son tour été jumelée à Changning, une ville de la province du Hunan. Depuis 2013, l’Université de la Polynésie française (UPF) accueille un Institut Confucius qui compte aujourd’hui plus de 300 inscrits, avec pour vocation de créer des passerelles entre les cultures polynésienne, française et chinoise.
La Chine utilise l’importante diaspora chinoise installée dans les États du Pacifique-Sud comme relais d’influence. À Tahiti, la communauté chinoise est devenue en quelques générations un acteur incontournable du monde des affaires et de la politique locale. Ainsi, en 2015, l’homme d’affaires Louis Wane a cédé au groupe chinois HNA Tourism deux hôtels 5 étoiles, le Moorea Lagoon Resort et le Saint Régis de Bora Bora. Le groupe chinois espérait développer le marché du tourisme entre la Chine et la Polynésie, pour atteindre 300 000 touristes chinois par an en 2020 grâce à l’ouverture d’une ligne aérienne directe depuis Pékin et Shanghai.
Le 6 avril 2020, à l’initiative de son Consul à Tahiti, la Chine a livré près de 2 800 000 masques chirurgicaux et 15 800 masques FFP2.
Le 6 novembre 2020, au moment de quitter ses fonctions, le consul Shen Zhiliang s’est félicité du développement rapide des échanges et coopérations amicaux entre la Chine et la Polynésie française aux cours de ces dernières années dans les domaines de la culture, de l’éducation, du tourisme, de l’économie et du commerce. Il a souhaité que la communauté chinoise de Polynésie et les ressortissants chinois continuent à mutualiser leurs forces, à promouvoir les échanges et les coopérations entre la Chine et la France et entre la Chine et la Polynésie française. Sa remplaçante, madame Qiang Dong, a dit vouloir continuer à travailler avec la communauté chinoise locale pour consolider ensemble l’amitié entre les peuples de la Chine et les peuples de la Polynésie française. Elle les a invités à retourner en Chine après la crise sanitaire pour découvrir le développement et le changement de leur pays d’origine…
Plus grande consommatrice mondiale de ressources halieutiques, la Chine est à la recherche de nouvelles filières. Fin novembre 2019, depuis Shanghai, le PDG de Tian Rui International a déclaré vouloir faire de l’atoll de Hao « le plus grand projet aquacole du monde ». Hao, situé à 919 km de Tahiti, est l’ancienne base arrière (BA 185) du Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP) ; l’atoll dispose d’un port en eau profonde et d’une longue piste d’aviation de 3380 m. En visite en Polynésie du 24 au 28 juillet 2021, le président de la République, Emmanuel Macron, interviewé à ce sujet a mis en garde contre un projet aventureux financé par d’étranges investisseurs…Le président de la République, sans nommer directement Pékin et ses ambitions dans la région Pacifique, n’a pas caché qu’il considérait toutefois ce projet comme une tentative de la Chine populaire d’avancer des pions en Polynésie française, déclarant même aux défenseurs du projet : « on ne peut pas être français un jour et chinois le lendemain »…Par contre, il a annoncé l’implantation prochaine d’un régiment du service militaire adapté (RSMA) sur l’atoll de Hao.
Pour la sinologue polynésienne Hinano Guérin, « la ZEE française du Pacifique est un enjeu évident pour le monde entier, un endroit très poissonneux, très riche en ressources géologiques, minières. C’est aussi une entrée évidente pour rejoindre l’Antarctique, les terres Australes…On sait que l’Antarctique va jouer un rôle essentiel dans les années à venir. Et la Polynésie se trouve sur le chemin…La Polynésie française ne peut pas se permettre de ne pas coopérer avec la République Populaire de Chine, mais elle doit bien en définir les modalités. Et comme nous sommes une collectivité française, ça doit se faire avec le gouvernement français. »
En Nouvelle-Calédonie
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Les visées chinoises dans le Pacifique se portent aussi en direction de la Nouvelle-Calédonie, en raison de son intérêt stratégique et économique : le territoire se trouve à proximité de l’Australie – il possède la deuxième réserve de nickel au monde, la Chine étant son premier client. Durant les neuf premiers mois de 2019, plus de 45 000 tonnes de nickel contenu (FeNi) ont été exportées de la Nouvelle-Calédonie vers la Chine (+17 %). Les usines chinoises d’acier inoxydable ont absorbé 72 % du ferronickel calédonien.
Durant les campagnes référendaires de 2018 et 2020, d’aucuns ont souligné le risque qu’en cas d’indépendance, la Chine s’implante massivement et durablement en Nouvelle-Calédonie. Dans l’éventualité où le « oui » viendrait à l’emporter lors du troisième et dernier référendum d’autodétermination du 12 décembre 2021, des indépendantistes n’excluent pas l’hypothèse que la Chine pourrait remplacer la France comme puissance de tutelle.
Pour élargir la coopération avec la Nouvelle-Calédonie Pékin compte localement sur l’Association d’amitié sino-calédonienne créée en 2016 dans le but de « développer des liens d’amitié entre les peuples, les associations, les autorités et les institutions de la Nouvelle-Calédonie et de la Chine. » L’association est en contact avec l’Association du peuple Chinois pour l’amitié avec l’Étranger (APCAE) connue des services de renseignement pour être le bras armé du parti communiste chinois en vue d’accroître l’audience de la Chine à travers le monde. Le 1er décembre 2016, une délégation de l’APCAE conduite par son vice-président, Xie Yuan, a effectué une visite à Nouméa où elle s’est entretenue avec le président du gouvernement sur des projets de coopération, en particulier dans le domaine du tourisme. En octobre 2017, à l’invitation de l’association locale, l’ambassadeur de Chine en France (2014/2019), Zhai Jun, son épouse et des conseillers ont séjourné une semaine en Nouvelle-Calédonie. Le député de Nouvelle-Calédonie Philippe Gomès, membre de la Commission des Affaires étrangères, se souvient que l’ambassadeur et sa délégation « ont vu tout le monde, ils demandaient de quoi nous avions besoin : tourisme, aquaculture, tout ce qui était susceptible d’intéresser, ils le proposaient. » Un protocole d’accord visant des échanges plus denses entre la Nouvelle-Calédonie et la Chine a été récemment signé à Pékin.
Selon les services de renseignement français, la Chine soutiendrait les mouvements indépendantistes kanaks. Dans un rapport publié le 20 septembre 2021, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) note que la Chine tente d’étendre son influence en Nouvelle-Calédonie. Le rapport souligne « qu’il y a eu des soupçons d’ingérence chinoise dans le référendum de 2018 sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. » De son côté, Bastien Vandendyck, expert en relations internationales, cité dans le rapport, déclare : « Si Pékin suit de très près la progression du camp indépendantistes confirmé par le référendum de 2020, c’est parce qu’une Nouvelle-Calédonie indépendante serait de facto sous influence chinoise. »
Le dispositif militaire français dans le Pacifique-Sud
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Le dispositif militaire français dans le Pacifique, à dominante maritime, garantit la protection de nos territoires et la souveraineté de la France sur un vaste espace qui représente à lui seul la moitié du territoire maritime français dans le monde. Il s’articule autour des forces armées en Polynésie française (FAPF) et celles de la Nouvelle-Calédonie (FANC).
Les FAPF et les FANC sont les principaux points d’appui du théâtre « Asie-Pacifique ». Les premières constituent la capacité d’intervention régionale de la zone par un volet maritime, en complémentarité avec les FANC pour le volet aéroterrestre. L’amiral commandant la zone Pacifique (ALPACI) est le commandant supérieur (COMSUP) des forces armées en Polynésie française. Sa zone de compétence s’étend sur tout l’océan Pacifique à l’exclusion de la zone maritime de Nouvelle Calédonie, des îles mélanésiennes, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande placée sous la responsabilité du général COMSUP des FANC.
Au nom du chef d’état-major des armées (CEMA), ALPACI participe aux activités de coopération régionale et entretient des relations privilégiées avec l’ensemble des nations présentes sur cette zone. Il est également commandant de la zone de responsabilité permanente (ZRP) Asie-Pacifique, une zone de compétence qui couvre l’ensemble de l’océan Pacifique et des pays riverains avec lesquels la France entretient des relations, notamment les États-Unis.
Les FANC font également vivre les accords FRANZ (France-Australie-Nouvelle-Zélande). C’est un accord tripartite de coopération signé le 22 décembre 1992 à Wellington entre la France, l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans l’optique « de coordonner et de rationaliser l’aide civile et militaire aux États et territoires du Pacifique insulaire victimes de catastrophes naturelles ».
Enfin, le COMSUP FANC participe au dialogue sur la sécurité dans le Pacifique et l’organisation de la zone économique exclusive (ZEE) initié dans le cadre du Quadrilateral Defense Cooperation Forum (QUAD). Ce forum régional qui réunit l’Australie, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et la France est en lien avec le Forum Fishery Agencies (FFA).
Le dispositif militaire français dans le Pacifique-Sud
COMSUP FAPF (Papeete)
Le COMSUP FAPF dispose d’un état-major interarmées et de moyens militaires comprenant : – une composante terrestre (régiment d’infanterie de marine du Pacifique-Polynésie RIMaP-P) ; – une composante maritime sur la Base navale de Papeete (1 frégate de surveillance embarquant un hélicoptère, 1 bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer – BSAOM, 2 patrouilleurs dont 1 de la Gendarmerie maritime, et deux remorqueurs) ; – une composante aérienne, stationnée sur le Groupement aéronautique militaire (GAM) de Faa’a (escadron de transport ET 82 « Maine » de l’armée de l’Air mettant en œuvre deux avion de transport tactique Casa 235, flotille 25F (Marine) qui met en œuvre 5 Falcon 200 « Gardian » de surveillance maritime, le détachement de la flottille 35F (Marine) mettant en œuvre deux hélicoptères « Dauphin N3+ ».
COMSUP FANC (Nouméa)
Le COMSUP FANC dispose d’un état-major interarmées et de moyens militaires répartis à Nouméa, Plum, Tontouta et Nandaï, comprenant : – une composante terrestre (régiment d’infanterie de marine du Pacifique (RIMaP-NC) ; – une composante maritime sur la base navale de Nouméa (1 frégate de surveillance embarquant un hélicoptère, 1 patrouilleur, 1 vedette de la gendarmerie maritime, des équipes de protection de fusiliers marins en unité tournante), 2 avions de surveillance maritime Gardian Falcon F200 de la flottille 25F détachés de Polynésie ; – une composante aérienne déployée sur la base aérienne 186 Paul Klein à la Tontouta (escadron de transport ET52 avec deux avions de transport tactique Casa CN 235 et trois hélicoptères de manœuvre Puma). |
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A SUIVRE, dans un prochain numéro :
LA FRANCE DE L’OCEAN INDIEN
et les Nouvelles routes maritimes de la soie…
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(*) Joseph Le Gall a servi 27 ans comme officier de renseignement. Il a occupé diverses fonctions en France, outre-mer et à l’étranger. De 1999 à 2005, il est Délégué général de l’ACORAM (association des officiers de réserve de la Marine). De 2006 à 2015, membre de la rédaction de la revue MARINE & Océans éditée par l’ACORAM, il est l’auteur de plusieurs articles sur la défense, le monde maritime et le renseignement. Il est actuellement président déléguer de l’ANASSA (Association Nationale des Anciens des Services de Sécurité des Armées). Joseph Le Gall est l’auteur de « 1914-1918 : La Guerre secrète » publié dans le cadre du Centenaire (2015) et de « L’Histoire des services de renseignement et de sécurité de la défense, du SR Guerre (1872) à la DRSD » (2016). et « KENNEDY, la CIA et CUBA : L’histoire secrète » (2020). En préparation : « Le renseignement français durant la Seconde Guerre mondiale – L’action clandestine des SR, du BCRA et des agents de la France Libre – La Sécurité navale et le Réseau « Édouard ». Il est membre de l’UPF (Union de la presse francophone). |
Bonne lecture et rendez-vous le 01 novembre 2021
avec le n°176
D’ici là, pour une bonne santé, prenez soin de vous.
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Distanciation, port du masque …
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