De Bournazel,
L’homme au burnous rouge

Rémy Porte
Docteur en Histoire

L’auteur rappelle combien Henri de Bournazel marqua les esprits, notamment dans l’entre-deux-guerres, au sein de la société militaire française. Mais l’image de l’homme est aujourd’hui quasiment plongée dans l’oubli.

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Parmi les personnages emblématiques de la prestigieuse Armée d’Afrique, la figure du lieutenant, puis capitaine, de Bournazel se distingue et va faire rêver plusieurs générations de jeunes officiers, en modèle du jeune officier de l’entre-deux-guerres.

Issu d’une famille de militaires, Henri de Lespinasse de Bournazel est engagé volontaire en 1916 et intègre la promotion 1917 de Saint-Cyr, dont la scolarité, du fait de la guerre, fut particulièrement brève. En sortant d’école, il fait le choix de la cavalerie, comme son père et se distingue au cours des dernières semaines de la Grande Guerre. A l’issue, il s’ennuie rapidement en occupation en Allemagne, et la vie de garnison lui pèse.

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Il demande avec insistance à être affecté au Maroc, où la pacification se termine et débarque en janvier 1921 à Casablanca. Dès lors, sa vie change. Il s’attache avec passion au pays et devient un véritable symbole pour ses hommes, et sa carrière va se confondre avec les dernières années de la pacification : réduction de la tache de Taza, guerre du Rif, prise du Tafilalet et ultimes opérations du Sagho.

Affecté au 8e, puis au 22e Spahis marocains, il est chef du poste de Bab Morouddj, en territoire des Branès et y lève un contingent de supplétifs. Il est rapidement engagé dans la réduction de la tache de Taza, zone frontalière avec l’Algérie et restée insoumise au sultan. Dans un environnement montagneux particulièrement difficile, toujours à l’avant-garde, il se distingue lors des combats d’El Mers en mai-juin 1923, qui se terminent souvent à la baïonnette et au corps à corps. Ses hommes comme ses camarades sont stupéfaits de le voir charger en chantant, ce qui deviendra en quelque sorte sa signature. Le général Boichu se souvient : « On le disait remarquablement courageux, sans folle témérité pourtant : à la fois coeur chaud et tête froide ». Remarqué, il est fait chevalier de la Légion d’honneur et la citation qui accompagne cette décoration précise : « Officier de la plus haute valeur morale, belle figure de soldat français ».

…sur fond de bravoure exemplaire

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Pour la seule année 1925, il participe à quatorze engagements et c’est à cette époque qu’il gagne la réputation de bénéficier d’une chance exceptionnelle (la fameuse baraka) et devient connu comme « l’homme rouge », inspiré par la couleur de sa tenue de spahi. Comme l’écrira l’académicien Henri Bordeaux dès 1933 : « Au lieu d’aller au combat en tenue kaki, comme tous les officiers d’Afrique, Bournazel poussait la coquetterie à arborer la vareuse rouge des spahis. Cette manière de se vêtir avait sans doute l’avantage de faire de lui, pour ses hommes, un point de ralliement admirable ». Il rapporte d’ailleurs cette rumeur qui court dans les tribus révoltées : « Les partisans d’Abd el-Krim s’en aperçurent bientôt et … une légende s’accrédita : Quand un tireur, disaient-ils, avait l’audace de faire feu sur l’Homme rouge, la balle ricochait sur sa vareuse écarlate et venait tuer celui qui l’avait envoyée ». Il est alors à nouveau plusieurs fois cité, en particulier pour les combats du mois de mai contre les partisans d’Abd el-Krim : « Chef de partisans de grande valeur qui a fait preuve de beuacoup d’autorité et de courage dans toutes les actions auxquelles il a participé ». Pour ses chefs, « parmi ceux qui firent plier les jarrets au rebelle, Bournazel sera au premier rang ».

En 1926, trois nouvelles citations à l’ordre de l’armée viennent sanctionner sa participation aux dernières opérations contre le chef rifain. Le 11 janvier, pour avoir avec ses partisans « bousculé après un combat acharné un parti rifain ». Le 22 février, car il « vient de donner, une fois de plus, la preuve de sa maîtrise dans le maniement des forces supplétives ». La citation du 6 septembre, qui parle de ses « magnifiques qualités de soldat », est tout particulièrement élogieuse : « Chef de partisans d’une valeur légendaire, mordant, enthousiaste et brave. Fait l’admiration de tous par son attitude au combat, son sang-froid, son mépris absolu du danger ».

Vers les derniers barouds

En 1927, il rentre brièvement en France, devient officier d’ordonnance du gouverneur de Strasbourg et prépare l’Ecole supérieure de guerre. Il est nommé capitaine au choix et reçoit la rosette d’officier de la Légion d’honneur. Il s’ennuie toutefois dans l’hexagone, les grands espaces, ses spahis et ses goumiers, l’odeur de la poudre lui manquent. Il demande à repartir pour le Maroc, où les combats recommencent dans le sud, et devient chef du bureau des Affaires indigènes du Tafilalet, dernière grande région à pacifier. Il y fonde le bureau des Affaires indigènes de Rissani. De l’automne 1931 au début de l’année 1932, « Bournazel va jongler avec la bravoure étourdissante et la gloire ». Outre ses qualités de soldat, ses talents d’organisateur et d’administrateur trouve ici à s’exprimer et les populations locales se placent progressivement sous sa protection. Une dernière citation lui rend hommage en avril 1933, pour les opérations de novembre 1932 : « A la tête des 28e et 46e goums, a forcé, par une marche de dix heures en pleine montagne, un dijch important qu’il a anéanti ».

Entre temps, pendant la campagne du Sagho, de Bournazel tombe mortellement blessé sous les balles le 27 février, en montant à l’assaut d’un réduit rebelle. Comble du hasard, ce jour-là exceptionnellement, à la demande expresse du général Giraud, il n’avait pas revêtu sa tunique rouge mais la tenue kaki ordinaire. La légende reposait peut-être sur une certaine réalité … Sa dernière citation, à titre posthume, résume cette carrière fulgurante : « Magnifique officier dont les exploits légendaires au Maroc ne se comptent plus … Son nom restera comme celui d’un des plus purs héros de notre histoire africaine ».

A l’heure où naissent les premières divisions blindées, les chevauchées dans l’Atlas à la tête de supplétifs indigènes auraient pu paraître dépassées, Dominique Rivet, dans son ouvrage sur Lyautey et l’instauration du protectorat français au Maroc, lui consacre pourtant quelques belles lignes : « De 1920 à 1926 puis de 1931 à 1933, il est au Maroc, toujours à la pointe de la ‘pacification’, se ruant au baroud comme d’autres patriciens désenchantés se jettent, en ces ‘années folles’, dans la course automobile, l’aviation ou le dilettantisme révolutionnaire sur fond de nihilisme. De la tache de Taza au sud saharien, s’impose une mystique du chic et de la bravoure à la Bournazel, une manière crâne d’aller au combat en sifflotant un air de fox-trot et en provoquant, par sa tunique rouge d’officier spahis ostensiblement déployée, les Martini et les Lebel des Chleuhs ».

…et l’entrée dans la légende

Il est « Mort pour la France », mais la légende est en marche. Intervenant quelques semaines plus tard devant le conseil de Paris pour qu’une rue de la capitale soit baptisée du nom d’Henry de Bournazel, Henri Bordeaux en fait l’égal des plus grands : « Dans la légende glorieuse, il mérite sa place avec Bayard, La Tour d’Auvergne, Hoche, Bara ; il était digne d’être leur compagnon d’armes ; il rejoint Guynemer et Roland Garros dans la lignée des héros français ». Les hommages ne manquent pas et la promotion suivante de Saint-Cyr prend son nom, ce qui est tout à fait exceptionnel :

« Et c’est pourquoi, le jour sacré de leur baptême,
Les officiers de la promotion Bournazel
Ont prêté le serment, front nu devant le ciel,
De vivre comme lui et de mourir de même,
Puisque Bournazel est mort au champ d’honneur ».

Devenu une référence en termes de valeurs individuelles et d’exemplarité du comportement pour des générations de jeunes officiers, la vie du capitaine de Bournazel a inspiré auteurs de livres et réalisateurs de films. Son nom, pourtant, est aujourd’hui presque tombé dans l’oubli.

 

Pour aller plus loin :

Bournazel, G. de, Henry de Bournazel, le cavalier rouge, France-Empire, 1979 ;
Bordeaux Henri, Henry de Bournazel, l’épopée marocaine, Plon, 1935.
Esme, Jean de Bournazel, l’homme rouge, Flammarion, 1952.
Paluel-Marmont, Bournazel, l’homme rouge, Denoël, 1942.


Rémy Porte est Docteur en Histoire, ancien officier d’active, spécialiste de la Première guerre mondiale, et ancien officier référent ‘Histoire’ pour l’Armée de terre.

Il est le créateur du Blog Guerres et conflits.
http://guerres-et-conflits.over-blog.com

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