Pierre Hentic (1917–2004)
Renseignement et contre-guérilla



Anne Alexandre
Fille de Pierre Hentic
Ancienne analyste financière

Dans ce deuxième volet, l’auteure met en lumière l’implication de Pierre Hentic dans les deux guerres de la décolonisation, en Indochine puis en Algérie. Il remplit diverses missions de renseignement et combattit en appliquant les principes de la contre-guérilla.
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Pierre Hentic fut apprécié pour ses rôles en première ligne des conflits auxquels participa la France durant le XXème siècle : au cœur des dispositifs de renseignement alliés pendant la Résistance puis comme officier engagé auprès des populations locales durant les guerres d’Indochine et d’Algérie.

L’appel de l’Extrême-Orient

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Démoralisé par la société de l’immédiate après-guerre et attiré par l’Extrême-Orient, Pierre Hentic s’engage dans l’armée française au 1er bataillon de choc avec une équivalence de lieutenant et embarque pour l’Indochine, en février 1947. Dès juin, son goût pour comprendre les populations et ce qui les motive, ses antécédents au sein des services spéciaux le portent à être désigné officier de renseignement du bataillon.

Au Tonkin (Nord Vietnam), la pacification du canal des Rapides fut un cas d’école de retournement des populations. Cette action prouvait que les locaux – protégés par la présence de l’armée et loin de lui être hostiles – étaient prêts à prendre les plus grands risques en collaboration avec les Français, à fournir de nombreux volontaires, très utiles dans la lutte contre le Vietminh.

Trois mois après l’arrivée des éléments du 1er bataillon de choc dans une région qu’ils avaient trouvée désertée, le Haut-Commissaire Bollaert reçoit un accueil enthousiaste des villageois. Des documents saisis aux Vietminhs prouvent leur impuissance face aux œuvres du bataillon.

Mais aucune directive n’émanait des échelons supérieurs quant à la façon de se comporter tant en tactique opérationnelle qu’en termes de pacification. Aussi, huit mois après le départ du bataillon du canal des Rapides, leur travail de ralliement fut réduit à néant..

Lors de l’opération « Léa », premier saut sur Bac Kan le 7 octobre 1947, Pierre Hentic manque de peu la capture d’Ho Chi Minh mais saisit son « trésor » : opium et trois-cents millions de fausses piastres destinés à des missions d’achat vietminhes. Condamnant l’exécution en son absence d’un important prisonnier vietminh qu’il était en train de rallier, il quitte le 1er Choc. Affecté au Service de Documentation et de Contre-Espionnage (SDECE) à Saïgon en mars 1948, il s’intéresse particulièrement à l’action subversive du parti communiste contre les Français.

En mai 1951, il rejoint le Groupement de Commandos Mixtes Aéroportés (GCMA), qui vient d’être créé par le général de Lattre pour encadrer les minorités ethniques montagnardes favorables aux Français. Désormais capitaine, Pierre Hentic va créer les Forces Hrées Libres autour de Kontum, combinant instruction militaire des tribus Hrées et œuvres sociales très appréciées. Appuyé d’une poignée d’Européens seulement, il réussit à donner une impulsion nouvelle à mille deux cents partisans fatigués, livrés à eux-mêmes et pour certains au bord de la dissidence.

Trois arbalétriers Hrés

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De grands raids sont organisés dans la jungle jusqu’au Laos, en plein cœur de territoires vietminh. Durant l’une de ces missions, une large voie camouflée dans la forêt est repérée pour la première fois : il s’agit de la « Piste Ho-Chi-Minh » qui deviendra fameuse, permettant, plus tard, aux Chinois de soutenir le Vietminh contre les Américains.

La Revue des Deux Mondes, datée du 15 septembre 1953, revint sur cet épisode, relaté de la manière suivante :

« Trente-sept jours, ils tinrent la brousse, s’infiltrant partout dans une région jusqu’alors domaine exclusif des rebelles. Ils marchaient dans le lit des rivières avec de l’eau jusqu’au ventre. Ils se faufilaient à travers l’épaisseur des branches, des rideaux d’épines, d’herbes qui coupent comme des lames, dans l’humide végétation, où guettent sur chaque feuille, foule minuscule douée pour l’attaque, les sangsues filiformes […]

Mais l’effet de ce raid fut foudroyant. […] Cette tactique neuve jeta le désarroi parmi les communistes, Vietnamiens de la plaine pour la plupart, déjà dépaysés dans ces montagnes où ils marchaient mal, et dont le climat impaludé les fatiguait. Ils mirent en marche des bataillons entiers pour dépister ces assaillants véloces, d’une férocité moqueuse, qui ne laisseront pas une proie entre leurs mains. ».

Implication en terre d’Algérie.

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Suite à une blessure mal soignée, Pierre Hentic doit être rapatrié sanitaire le 17 juillet 1953 à l’hôpital militaire du Val de Grâce à Paris. Rétabli, il est affecté en Algérie pour prendre en charge la préparation militaire parachutiste. Mais, à la Toussaint 1954, se déclenchent les « événements » d’Algérie. Réputé désormais pour ses tactiques de guerre non conventionnelle, il se voit confier par le commandement des missions spéciales.

Acceptant de prendre en charge l’opération « Oiseau Bleu », aussi appelée « Affaire K », au printemps 1956, Pierre Hentic dévoile le double jeu de certains chefs kabyles armés naïvement par la France pour lutter soi-disant contre le FLN. Il participe lui-même aux combats qui s’ensuivent et dira de ces ennemis inexpugnables : « On pouvait admirer ces combattants dont nous ignorions tout. Ils méritaient notre respect. »

Au contraire, alors que les Harkis sont prêts à se battre pour la France, Pierre Hentic déplore que le commandement français n’engage pas suffisamment de moyens pour les encadrer :  « 1957 : Expérience faite, j’ai acquis la conviction que le Bachaga Boualem et sa harka représentent, en puissance, une des meilleures cartes que nous puissions avoir pour garder l’Algérie.  La meilleure preuve en est fournie par l’agressivité accrue des HLL au cours des dernières semaines contre ce douar. La défection de ces éléments ne pourra venir que de nos faiblesses et de nos abandons. […] Nous sommes engagés militairement et moralement avec ces populations, nous leur devons tout notre soutien. […]

Pourtant nous n’avons pratiquement rien fait pour soutenir et développer ce mouvement. Faute d’y prendre garde, la lassitude et le découragement peuvent s’emparer des Harkis. La guérilla ne vit que dans le mouvement.

1959 : Deux années se sont écoulées maintenant depuis la rédaction de ces rapports. Pas une compagnie légère digne de ce nom n’a été créée. Le douar Beni Boudouane perd de plus en plus confiance, notre prestige disparaît un peu plus chaque jour. […]

J’ai fait en 1957 le maximum pour le Goum Boualem malgré le peu de moyens accordés. Les résultats acquis le furent au prix d’efforts et de risques qui méritaient au moins qu’on en tire un enseignement.

N’ayant aucune envie de faire carrière dans les entreprises de fourniture d’armes et de munitions aux rebelles et considérant que ma seule présence dans l’affaire Boualem n’en changera pas l’issue si les moyens nécessaires ne sont pas fournis, je demande à ne pas être affecté au sous-quartier des Beni Boudouane. »[1]

Pierre Hentic fut aussi affecté à Khalloul, Miliana en juillet 1958, où il fut blessé au visage lors d’un guet-apens par des membres du Front de libération national (FLN) qui firent exploser sa jeep. En mars 1961, il est au quartier frontière avec la Tunisie, où les positions françaises sont attaquées toutes les nuits. Il doit être hospitalisé pour phlébite d’abord localement avant d’être finalement soigné en métropole, fin novembre 1958.

Commandant Hentic défilant à Alger à la tête de sa Harka

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acheva sa carrière militaire au grade de Lieutenant-Colonel en septembre 1966, après des postes d’entrainement de montagne (Barèges) et parachutiste (Pau). Dans le civil, il se consacra à la formation sportive des jeunes au centre préolympique de Font-Romeu puis à La Grande Motte.

Si l’on essaie de tirer un enseignement des guerres dites « de décolonisation », laissons Pierre Hentic le faire ; lui qui fait partie de ceux dont la profonde humanité fit l’admiration de ses troupes comme de ses adversaires :

« Puis vinrent l’abandon et l’exil… Si les regrets sont vains, si seuls ceux qui gagnent sont adulés et peuvent faire croire qu’ils avaient raison, que le bon droit et la vertu n’appartiennent qu’à un seul camp, que nous reste-t-il ?

D’abord le sentiment de fidélité aux engagements pris. Vous en êtes l’exemple, Monsieur le Bachaga. Puis l’indéfectible amitié qui lie ceux qui ont combattu sans restriction, passionnément mais sans haine, lucides, comptables de la vie des autres, prodigues de la leur, toujours prêts à payer le prix de l’aventure et du risque constant. Ceux qui appartiennent à cette confrérie sont de toutes les races et de toutes les confessions, ils viennent de tous les horizons, ils ont combattu côte à côte ou face à face et se connaissent bien car ils restèrent debout quand les autres étaient couchés. Ils ne portent pas d’insignes mais ils s’identifient entre eux à la flamme du regard et au tressaillement de joie profonde et pure qu’ils éprouvent en se rencontrant comme s’ils retrouvaient un frère bien-aimé. »[2]

[1] Extrait du rapport de démission des Béni Boudouane de Pierre Hentic – 1959
[2] Extrait de la lettre de Pierre Hentic au Bachaga Boualem, publiée dans Historia Magazine du 29 octobre 1973

 

Pour la lire la première partie de cet article, publié le 17 mai 2024 dans le numéro 235 , cliquez ICI


(*) Anne Alexandre est l’une des quatre enfants de Pierre Hentic. Aujourd’hui retraitée, elle vit à Londres depuis 1993, où elle a travaillé comme Equity Analyst à la City.

 Elle a contribué à faire publier les mémoires de son père en 2007

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