Si Franco avait cédé à Hitler en 1940 …
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Alfred Marmus(*)
Commissaire divisionnaire:
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;Cela aurait entrainé, sans doute, un bouleversement de la planification stratégique globale, estime l’auteur. C’est dans cette hypothèse que se place donc Alfred Marmus, en imaginant ce qu’il aurait pu advenir si Franco avait répondu aux attentes d’Hitler dans son plan d’action en Méditerranée et Afrique du nord.
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Il est de la compétence des Hauts Etats-Majors de planifier l’action des Forces armées en menant la réflexion nécessaire pour se positionner en vue de gagner la bataille envisagée. Sans entrer dans les détails de l’art militaire, il tombe sous le sens que dans la perspective du conflit qui devait, en Occident, opposer les Etats-Unis et ses alliés à l’Allemagne nazie, la planification stratégique a dû tenir compte des éventuels renforts que l’ennemi pouvait trouver dans le ralliement de pays non encore impliqués dans le conflit.
Il était donc d’une importance quelque peu déterminante pour le Haut Etat-Major allié de prévoir l’attitude de l’Espagne comme du Portugal, et de planifier ses opérations en tenant compte de ces données.
Rencontre à Hendaye
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On peut penser que le déroulement de la guerre, et par conséquent son issue, a pu se jouer lors de l’entrevue du général Franco et de Hitler à Hendaye, le 23 octobre 1940.
Tablant sur la reconnaissance du Caudillo pour le soutien conséquent que l’Allemagne avait apporté aux nationalistes espagnols, tant en hommes et instructeurs, qu’en avions de combat (Légion Condor) et blindés, le Führer a pu penser que Franco rejoindrait les Forces de l’Axe.
Le Caudillo, dont le pays sortait exsangue d’une guerre civile qui avait compté un million de morts et le laissait ruiné, opta pour la politique de l’esquive, après avoir laissé patiemment Hitler – qu’il n’appréciait guère – s’exprimer avec sa logorrhée habituelle et son attitude théâtrale.
La scène nous est rapportée dans ses Mémoires par Paul-Otto Schmid , interprète polyglotte officiel d’Hitler qui précise que c’est avec « une voix monocorde, rappelant celle d’un muezzin » que Franco réclama pour son entrée en guerre : un ravitaillement important pour son peuple, un équipement moderne pour son armée forte de 300 000 hommes, et le rattachement, à l’Espagne, de Gibraltar, de la majeure partie du Maroc français, du littoral algérien jusqu’à Oran comprise, et un agrandissement des colonies espagnoles en Afrique Noire.
Les historiens s’accordent à dire que le Caudillo était peu tenté par une participation de l’Espagne au « Plan Félix » que le Reich projetait pour interdire la Méditerranée aux Anglais par une prise de contrôle de Gibraltar et du littoral marocain, prévenant ainsi toute intervention en Afrique du Nord. En exprimant des exigences exorbitantes, Franco irrita fortement le Führer. Celui-ci, cependant, tenta une dernière manœuvre, infructueuse, par la voie de Mussolini, au cours d’une rencontre qui se tint en Italie entre le Duce et le Caudillo le 12 février 1941.
Pour sa part, l’auteur et historien britannique Richard Bassett soutient, dans son ouvrage, Hitler’s Spy Chief: The Wilhelm Canaris Mystery, paru en 2016, que l’amiral, Chef de l’Abwehr (service de renseignement de l’armée allemande), aurait conseillé secrètement au Caudillo de ne pas prendre part à une guerre dont il pensait qu’elle serait perdue par Hitler.
Nous sommes tentés de donner du crédit à cette affirmation quand on sait qu’après la mise à mort ignominieuse de Canaris, le 9 avril 1945, compromis dans l’attentat contre Hitler et diverses manœuvres occultes défavorables à Hitler et son régime, sa famille fut exfiltrée d’Allemagne vers l’Espagne par des officiers espagnols. Elle vécut ensuite sous la protection du Caudillo.
Regard espagnol sur l’Oranie
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C’est au retour de cette entrevue qu’eut lieu la rencontre de Franco et du maréchal Pétain à Montpellier, le 13 février 1941. Les deux Chefs d’Etat s’étaient connus lors de la campagne franco-espagnole du Rif, et revus l’année précédente, alors que le Maréchal représentait la France à l’ambassade de Madrid.
Les visées annexionnistes de l’Espagne franquiste, notamment sur l’Oranie française, étaient une résurgence du rêve colonial se rattachant à ce lointain passé qui vit les troupes du royaume d’Espagne, menées par le Cardinal Francisco Cisneros, fonder à Oran un Préside qui dura de 1509 à 1792, sous la menace constante des Ottomans.
Une forte immigration d’origine hispanique constitua même la majorité du peuplement de la province d’Oran, dès la fin du XIXème siècle. Et bien que sur deux générations, l’intégration à la France et aux vertus de la République ait été effective, le nationalisme espagnol maintenait ses prétentions territoriales avec la même nostalgie revendicative que le monde arabe à l’égard de l’Andalousie.
Du début de la guerre civile espagnole au débarquement des troupes Alliées en Afrique du Nord, soit de juillet 1936 à novembre 1942, le régime espagnol n’eut de cesse d’envoyer en Oranie des agents propagandistes qui, sous couvert d’activité sociales ou culturelles, prônaient le rattachement à l’Espagne par voie de tracts, de réunions clandestines et de pétitions.
Le rédacteur de cette bien modeste vocation, qui eut, quinze ans plus tard, à combattre d’autres ingérences étrangères, a recueilli, auprès de ses aînés qui avaient participé à « l’Opération Cisneros », l’écho de leur lutte contre cet irrédentisme espagnol d’autant plus offensif que la France affaiblie se trouvait inféodée à l’Allemagne nazie ;
Cet épisode de notre Histoire ne semble pas avoir donné lieu à réflexion sur ce qu’aurait été le bouleversement stratégique si, faisant droit aux exigences du dictateur espagnol, l’Allemagne avait tenu Gibraltar et le Maroc, verrouillant ainsi cette zone stratégique dénommée, dans l’Antiquité, les « Colonnes d’Hercule ». Cela aurait rendu improbable le débarquement des Alliés en Afrique du Nord en novembre 1942 (opération Torch).
La Libération confortée
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C’est à partir de cette plateforme stratégique que s’organisera le Corps expéditionnaire français en Italie (CEF) opérant sous les ordres du général Juin. Après la Sicile et Naples, en novembre 1943, le CEF enchaîna les faits d’armes glorieux parmi lesquels les batailles de Monte Cassino (janvier-mai 1944), du Garigliano (mai 1944), ouvrant aux Alliés la route vers Rome.
Après cette marche victorieuse, qui vaudra à l’armée française la pleine reconnaissance des Alliés, et s’inscrira dans l’Histoire, le CEF rejoint l’armée du Général de Lattre de Tassigny pour le débarquement en Provence en août 1944 (Opération Dragoon). Ces troupes valeureuses, amalgame militaire fait de ceux qu’on appellera plus tard « pieds-noirs », d’évadés de France métropolitaine, de goumiers, tirailleurs marocains, algériens, sénégalais, communiant dans un même attachement à la France, permettront, par leur bravoure, que légitimement, le général de Lattre de Tassigny reçoive avec les Alliées la reddition de l’Allemagne..
Mais si…
.Pour avoir été concerné par les prétentions irrédentiste de l’Espagne, le rédacteur de ce survol historique se demande quel aurait été le sort des Français de l’Oranie française si les troupes espagnoles, à l’exemple des Allemands en Alsace Lorraine, leur avaient imposé leur régime et leur culture, étant entendu que l’exode vers la Métropole eut été impossible dans ce contexte de guerre ,en 1940. Aurions nous vu le drapeau sang et or se substituer au drapeau tricolore et l’hymne franquiste à la Marseillaise ?…. Aurions nous eu nos « Malgrés-nous » ?
Dans cet interrogation qui ne comporte pas de réponse, il émerge un souvenir qui témoigne d’une angoisse passée, c’est l’émotion ressentie lorsque notre instituteur nous lut, en un jour sombre de 1940, ce texte poignant d’Alphonse Daudet, « la dernière leçon », qui mettait en scène un instituteur alsacien en 1870 lequel , sur ordre de l’autorité allemande, donnait son dernier cours en Français.
(*) Alfred Marmus est commissaire divisionnaire, ancien président national de l’International Police Association (IPA). |
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