Vie et mort du plateau des Glières

Rémy Porte (*)
Docteur en Histoire

Quand civils et militaires résistent ensemble…Le récent déplacement du chef de l’Etat sur le plateau des Glières pour ouvrir le cycle des commémorations du 80ème anniversaire des débarquements et de la libération correspond à une tradition qui remonte aux lendemains de la Seconde guerre mondiale.

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Dès 1946, Vincent Auriol inaugure, comme président de l’Assemblée nationale, le cimetière militaire de Morette-Glières, où ont été regroupés les corps des résistants morts sur le plateau, et il affirme, dans un vibrant discours en 1947, désormais président de la République : « C’était d’abord une communauté de pensée, la volonté de libérer la France de la domination de l’ennemi, et cette seule volonté avait rassemblé des hommes et des jeunes gens de toutes conditions, de toutes les religions, de toutes formations, de toutes vocations ».

Tout en revenant rapidement sur la chronologie des événements, il peut être intéressant de rechercher ce que la presse collaborationniste disait des combats des Glières en 1944, et comment les faits sont présentés par la presse de la résistance.

Le maquis des Glières

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Installé sur le plateau haut-savoyard du même nom, à près de 1 500 m. d’altitude à l’est d’Annecy, il naît à l’hiver 1943-1944 lorsque s’y rassemblent les résistants de Savoie, sensiblement renforcés en février et mars par des réfractaires au Service du travail obligatoire (STO), des Francs-tireurs partisans (FTP), des républicains espagnols et des militaires en rupture de l’armée d’armistice

Fin janvier en particulier, le lieutenant Tom Morel, officier des chasseurs alpins, a rejoint le maquis avec 120 hommes. Il s’agit alors de s’organiser pour pouvoir entreprendre des actions de plus grande envergure, de récupérer les armes et le matériel massivement parachutés par les Alliés, de s’instruire car la plupart des hommes n’ont que de très faibles notions du combat d’infanterie, et de préparer la libération de la Savoie.

Rapidement, les accrochages se multiplient avec les forces de maintien de l’ordre de Vichy, en particulier les GMR (Groupe mobile de réserve) et les miliciens locaux. D’autre part, les Allemands ayant remplacé les Italiens dans ce secteur, la répression s’accentue sensiblement. A la fin du premier trimestre, lorsque les Allemands et la Milice lancent leur grande offensive, l’effectif total du maquis atteint les 500 hommes.

Saint-cyrien passé dans la résistance active en 1942, ancien chef de la section d’éclaireurs-skieurs du 27e bataillon de chasseurs alpins, Tom Morel et le capitaine Anjot, également saint-cyrien ayant choisi de servir dans l’infanterie, s’efforcent d’assurer au mieux la formation de leurs hommes afin d’accroître la capacité opérationnelle du maquis, auquel ils donnent la devise « Vivre libre ou mourir ». Mais le temps leur manque. Tom Morel est tué le 10 mars 1944, à l’âge de 28 ans, alors qu’il mène l’attaque du PC du GMR Aquitaine, à Entremont. Anjot lui succède au commandement du maquis, alors que la menace se précise.

Le 12 mars, les positions du maquis sont bombardées par la Luftwaffe (selon les archives, ce sont les Français qui ont demandé l’intervention de l’aviation allemande) et, le 23, le massif est encerclé par quatre bataillons de chasseurs de montagne allemands et quelques 2 000 hommes de la Milice et des forces de l’ordre de Vichy, soit au total plus de 6 000 combattants.

L’assaut est donné le 26 mars. Menacés d’être submergés, les maquisards tentent de s’exfiltrer. Sur un peu moins de 500 hommes, environ 300 sont faits prisonniers dans les jours qui suivent. Ils seront fusillés ou déportés. La défaite militaire n’empêche toutefois pas une victoire morale et politique : les Glières sont érigées en symbole par la radio de la France Libre et la presse de la résistance.

La mémoire conservée du maquis, outre le souvenir de Tom Morel et du capitaine Anjot, qui ont chacun donné leur nom à une promotion de Saint-Cyr, met en valeur l’intégration entre militaires d’actives et civils de toutes origines, entrés en résistance ainsi que le soutien de la population des environs. Depuis 1973, un monument national à la résistance complète la nécropole militaire et permet d’entretenir le souvenir du maquis.

Les Glières et la Collaboration

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Les tenants de la collaboration réagissent très vite aux événements de Savoie mais en travestissant la réalité et, paradoxalement, en rendant parfois un hommage bien involontaire aux maquisards.

La plupart des journaux se contente de reprendre assez sobrement les communiqués officiels de Vichy, comme le conservateur Journal des Débats : « Les forces du maintien de l’ordre ont effectué de nombreuses reconnaissances offensives couronnées de succès sur tout le front d’investissement du plateau des Glières ». Le quotidien grand public Paris-Soir explique simplement : « Il [le maquis] a été enlevé en moins de 24 heures par les forces de l’ordre qui ont mené leur attaque avec des moyens d’action considérable ». La presse collaborationniste par contre en rajoute dans l’excès. Le Matin du 7 avril s’efforce de déconsidérer les résistants : « En loques, sales, mal nourris, indisciplinés, cruels. Tels étaient les maquisards qui durent, en Haute-Savoie, se rendre aux forces de l’ordre ». Le même journal revient sur le sujet avec les mêmes arguments le 12 avril, avec ce qui est présenté comme le témoignage d’un franc-garde ayant participé aux opérations : « On nous avait parlé de plusieurs milliers d’hommes, ils étaient à peine 500 ; on nous avait vanté leur artillerie, ils avaient tout au plus quelques petits mortiers. Leur installation était des plus sommaires, leurs vêtements en loques. Ils étaient sales, pouilleux : une véritable troupe de gitans, une cour des miracles ». Lu en creux, et en tenant compte de la volonté de propagande, le journal nous indique toutes les difficultés de la vie au maquis, la précarité des installations et les rigueurs du climat. Autant d’éléments à l’honneur des maquisards. L’Oeuvre, organe de Marcel Déat, chante victoire et annonce d’autres opérations : « Si cette difficile performance a pu être réalisée, il n’y a désormais plus aucune raison pour que les autres maquis ne soient pas méthodiquement forcés et liquidés ». Remarquons qu’à aucun moment il n’est fait référence à la présence de troupes allemandes, pourtant deux fois plus nombreuses et bien mieux équipées que la Milice (qui connaît un échec dans son secteur lors de l’attaque du plateau) et les forces de l’ordre de Vichy.

Philippe Henriot, chroniqueur sur Radio-Paris devenu en janvier 1944 secrétaire d’Etat à l’Information et à la Propagande, atteint l’ignominie lorsqu’il évoque la figure de Tom Morel, qualifié de « renégat » et de « rebelle » : « Voilà le héros du speaker de Londres … Un officier traître à sa patrie, prenant le maquis en compagnie de francs-tireurs et d’assassins, en compagnie d’étrangers, puisqu’il avait avec lui sur le plateau des Glières deux compagnies d’Espagnols rouges ». Ce venin est à comparer avec la citation qui accompagne la croix de Compagnon de la Libération, décernée à titre posthume : « Déjà fait chevalier de la Légion d’honneur à 24 ans pour avoir capturé une compagnie italienne sur le front des Alpes en juin 1940 … Devenu chef du bataillon des Glières, a été l’âme de la résistance du plateau, son chef et son organisateur … Restera dans l’épopée de la Résistance une incarnation du patriotisme français et l’un des plus prestigieux martyrs de la Savoie ».

 

Les Glières et la Résistance

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La propagande est également à l’œuvre du côté de la Résistance, car il s’agit de glorifier au plus vite les combats des Glières. Dans Défense de la France, organe du Mouvement de la libération nationale, du 5 avril, les effectifs des assaillants sont considérablement augmentés : « 5000 gendarmes, 5000 GMR, 3 régiments de Waffen SS français encadrés par des Allemands et 5000 miliciens ont été envoyés par le délégué d’Himmler en France, Darnand, contre les patriotes du maquis », et le journal clandestin termine par un appel aux Alliés : « Les combattants du maquis meurent pour que vive la France. Ils combattraient mieux encore s’ils étaient mieux armés. Il faut leur donner des armes. Ils en ont besoin. Ils y ont droit ». De son côté, Franc-Tireur, organe des Mouvements unis de la Résistance, donne le 6 mai des chiffres tout aussi fantaisistes sur les pertes de l’ennemi : « 350 Allemands tués, 350 Allemands blessés, 150 miliciens hors de combat », alors qu’elles n’ont été que de quelques dizaines au total. Et le journal de conclure : « Non M. Henriot, non M. Darnand, le maquis n’est pas vaincu. Le plateau de Glière n’est qu’un épisode de la grande bataille menée par les patriotes de France. Cette bataille, elle continue, plus ardente que jamais, vous avez déjà pu vous en rendre compte depuis vos chants de victoire prématurés ». Pour sa part, Résistance répond le 30 avril aux diffamations de Vichy et prend la défense des maquisards de Savoie : « Il est abject et faux de présenter les troupes françaises comme un ramassis de hors-la-loi. Les gars du maquis, ce sont vos enfants, gens de France, vos enfants qui ont préféré l’incertitude de la lutte à armes inégales à l’esclavage doré que leur proposait l’Allemand. Laisserez-vous longtemps Philippe Henriot les injurier et les traiter de criminels, alors que vous savez que c’est leur sens de l’honneur et leur patriotisme clairvoyant qui les a poussés vers les hauts monts des Alpes, où s’est réfugiée la tradition militaire des vainqueurs de 1914-1918 ».  

Quelques mois plus tard, lors de la libération définitive de la région, Franc-Tireur titre, le 14 septembre 1944 sur « La revanche des Glières » : « Des armes tombent du ciel et les FFL, dans un élan irrésistible délivrent seuls du joug allemand toute la région savoyarde ». L’exemple des Glières était porteur.

Parmi les survivants du maquis, l’abbé Truffy, qui en fut l’aumônier, est cité à l’ordre de l’Armée secrète à la fin de la guerre : « A assumé la pleine mesure de ses sentiments ardemment et courageusement patriotiques, lors des opérations de maintien de l’ordre en Haute-Savoie, servant de guide aux chefs de la résistance, camouflant maquisards, armes et matériel à son domicile ». A travers lui, c’est toute la population civile des environs qui est mise à l’honneur pour l’aide multiforme apportée au maquis.

 

Devenu dès 1944 l’un des principaux symboles de la résistance armée à l’occupant, le maquis des Glières mérite que son souvenir soit entretenu.


Rémy Porte est Docteur en Histoire, ancien officier d’active, spécialiste de la Première guerre mondiale, et ancien officier référent ‘Histoire’ pour l’Armée de terre.

Il est le créateur du Blog Guerres et conflits.
http://guerres-et-conflits.over-blog.com

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