MICHEL DUCLOS, BOUVARD ET PECUCHET…
Etienne Pellot
15 janvier 2018
Ex-ambassadeur de France en Syrie (2006 – 2009), avant d’être relégué à Berne, Michel Duclos est un multirécidiviste aggravé mais constant. Alliant, toujours avec un certain succès, l’ignorance à la certitude sensible, les contre-sens historiques aux prévisions de Nostradamus, il vient de nous remettre le couvert sur la Syrie1.
L’année dernière, il avait déjà livré un papier parfaitement délirant à la revue Commentaire sur le même sujet2, bravement intitulé Notre ami Bachar al-Assad. L’année précédente, il imposait une diatribe du même genre : mais qui est vraiment Bachar al-Assad ? – en reprenant les affirmations péremptoires du roman moyen de sa compagne Les Couleurs du sultan – dans la revue du Centre d’analyses et de prévisions du Quai d’Orsay (CAPS). En ce début d’année, il essaie de murmurer à l’oreille de Jupiter, lui conseillant de s’inspirer des Accords de Dayton (qui mirent fin à la guerre de Bosnie en 1995) pour trouver une solution à la guerre civilo-globale de Syrie.
Sans la moindre pudeur, l’ex-diplomate – qui n’a cessé de faire de la personne de Bachar al-Assad – la question centrale, essentielle et vitale – de la crise syrienne, annonçant régulièrement sa chute irréversible depuis l’été 2011… le même visionnaire – oui le même – ose aujourd’hui nous dire qu’il faut cesser de se focaliser sur la question personnelle de… Bachar al-Assad !!! Faut vraiment oser ! La contradiction est certainement l’un des droits de l’homme fondamentaux, mais à ce point-là, on tombe dans le reniement profond, la schizophrénie déclarée, sinon la haine de soi…
Ainsi, l’ex-diplomate s’étonne que Moscou « traite par le dédain notre proposition de groupe de contact », sans se souvenir – visiblement – de notre mépris (des pays occidentaux s’entend) après la proposition de Vladimir Poutine d’une seule et même coalition de lutte anti-terroriste, lancée depuis la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015. Ce bon Monsieur Duclos estime, bien-sûr, « qu’il faut se mobiliser sur le plan humanitaire » et « prendre les Russes aux mots » qui « font abstraction du processus de Genève… » Ramener Moscou à la raison en incitant les Nations unies à encadrer le processus de Sotchi. Diantre ! N’ayant visiblement plus accès au TD (Télégrammes diplomatiques), notre ex-diplomate a-t-il entendu parler de la libération d’Alep (décembre 2016) et de ses conséquences politiques à travers l’instauration du processus d’Astana, concrétisé par un « groupe de contact » plutôt inclusif avec les participations de la Turquie de l’Iran, de l’Egypte, de la Jordanie, etc. ?
Emmanuel Macron, lui, a vite compris la réalité des rapports de force et abandonné cette idée mort-née d’un « groupe de contact occidental » en cherchant d’autres solutions pour revenir dans le grand jeu oriental dont Alain Juppé nous avait exclu dès mars 2012 en fermant l’ambassade de France à Damas ! Michel Duclos devrait davantage écouter le président de la République et revenir aux réalités du terrain.
Ne devrait-il pas commencer – d’abord – par regarder les responsabilités des Etats-Unis, des pays européens et de l’Arabie saoudite dans cette obsession morbide à vouloir imposer des jihadistes, tueurs et coupe-jarrets patentés, en représentants d’une introuvable « opposition modérée, laïque et démocratique syrienne ». Il comprendrait mieux – alors – les difficultés de ce pauvre Staffan de Mistura (représentant de l’ONU pour la Syrie) qui fait le métier le plus difficile du monde.
Mais surtout, surtout ! l’ex-diplomate a-t-il entrevu que Moscou a gagné la guerre en Syrie ? Avec l’armée gouvernementale syrienne, ses alliés iraniens et du Hezbollah libanais, Moscou a, bel et bien gagné la partie militaire en Syrie et en retire aujourd’hui – très logiquement – les dividendes politiques. Alors, on peut blablater dans tous les sens et jusqu’à la fin des temps… La réalité stratégique du terrain demeure têtue : la reconstruction politique et économique de la Syrie s’effectuera sous la tutelle de la Russie, en partenariat avec la puissance économique chinoise.
Et ce n’est pas la recherche improbable d’une quelconque paix de Dayton (comme le propose notre ex-diplomate) qui y changera quelque chose. En l’occurrence, on ferait mieux de s’inspirer de la Paix de Westphalie (24 octobre 1648), qui mit fin à la guerre de Trente ans, de revenir sur les Accords de Taëf (22 octobre 1989) qui rétablirent le Liban après 15 ans de guerre civile ou d’examiner à la loupe la Concorde civile, instaurée en Algérie par le président Abdelaziz Bouteflika après la Décennie sanglante (1988 – 1998), qui causa plus de 200 000 morts. Evidemment, cette curiosité intellectuelle n’est pas vraiment politiquement correcte !
En dernière instance, chacun – un tant soit peu au fait des réalités balkaniques – sait quoi penser des accords de Dayton : cette pax americana a légalisé la purification ethnique dans la région (nos amis serbes en savent quelque chose) ; elle a installé au cœur de l’Europe un micro-Etat criminel et mafieux, financé par les contribuables de l’Union européenne. Cet Etat mafieux (c’est bien le terme approprié) s’adonne aujourd’hui aux trafics d’armes, de drogues, d’êtres et d’organes humains. Enfin, les Accords de Dayton ont transformé des criminels de guerre – comme par exemple le chef de bande Hacim Taçi (dont la secrétaire Madeleine Albright était tombée amoureuse) – en de soi-disant respectables responsables gouvernementaux… Par conséquent, comme modèle diplomatique et conceptuel, on devrait pouvoir trouver mieux.
Sans du tout esquisser le plus petit début de cet état des lieux et afin d’accréditer son étrange proposition d’une « sorte de Dayton syrien », « pour traiter de la dimension régionale et internationale du conflit dans tous ses aspects » (ouf !), l’ex-diplomate appelle en renfort… les Etats-Unis de Trump, qui viennent d’instaurer unilatéralement Jérusalem en capitale d’Israël, la Grande Bretagne qui continue à s’empêtrer dans son Brexit, et l’Allemagne, toujours à la recherche d’une improbable coalition gouvernementale. C’est sûr, la conjoncture est favorable et c’est gagné d’avance… De plus, avec la géniale proposition de Michel Duclos, on reste bien OTANIENS, entre Occidentaux et Occidentalistes comme il faut, sans chercher d’autres formats, cadrages et médiations. Il n’est pas assuré que ce soit la meilleure façon de « prendre les Russes au mot… », mais Michel Duclos semble y croire !
Franchement niais, cet enthousiasme a un moins un mérite : nous ramener au génie de Gustave Flaubert qui sut tellement – à travers les émerveillements et les désillusions successifs – de Bouvard et Pécuchet, restituer la quintessence de la bêtise humaine et de l’ignorance, qui produit organiquement et proportionnellement, l’arrogance d’ex-diplomates au champ.
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Dans tous les cas de figures, Le Monde – déjà moribond – ne grandit pas sa crédibilité en publiant ce genre de papier inutile, bourré de Fake News, d’idées reçues et d’a priori moraux, en définitive plutôt risibles. Décidément, après la dernière livraison de Michel Duclos, il est opportun de lire et relire Bouvard et Pécuchet… ici au moins on touche au sublime !
1 Le Monde, 4 janvier 2018.
2 Le 24 septembre 2017, prochetmoyen-orient.ch publiait : « Syrie – Réponse à Michel Duclos », article repris par une dizaine de sites spécialisés.