BILAN 2017 : MÉCANIQUES DU CHAOS1

Guillaume Berlat
15 janvier 2017

« Pour faire le bilan de ta propre sagesse, ajoute avec précaution la bêtise des autres » (Stanislaw Jerzy Lec).

Et, c’est bien de ce dont il s’agit lorsque l’on caresse le projet utopique de dresser le bilan d’une année écoulée dans le domaine des relations internationales. Quel bilan tirer à chaud de l’année 2017 qui fut riche en surprises : bonnes (quelques-unes) et mauvaises (trop nombreuses) ? L’idéal eut été d’élargir notre champ d’action temporel. Vingt ans, c’est une bonne mesure pour analyser les effets d’une crise économique asiatique : dévaluation brutale de la devise thaïe, le bath ; propagation d’une vague de défiance à la zone ; retrait des financiers : effondrement des monnaies, faillites des entreprises surendettés, emplois détruits par millions, gouvernements battus, humiliation des plans de sauvetage du FMI…

Deux décennies après, les leçons semblent avoir été tirées par les dragons et les tigres de l’Asie du Sud-Est2. Aujourd’hui, les inquiétudes viendraient plutôt du surendettement chinois. Dix ans, c’est une bonne mesure pour analyser les effets d’une crise économique mondiale : crise des produits financiers toxiques et de l’irresponsabilité de certaines banques. Sur le plan moral et politique, le bilan est très lourd. À l’exception de Bernard Madoff, emprisonné pour fraude, les responsables de la crise coulent des jours heureux. Enfin, la crise ouverte en 2007 explique en partie l’arrivée de Donald Trump aux États-Unis et la montée des populismes en Europe3. Mais une crise financière est toujours possible4. Un an, c’est peu et beaucoup à la fois. Qu’est-il de cette année 2017 dont le nouveau secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres souhaitait qu’elle fut une « année de paix » ?

Comme dans la pratique de la médecine, le temps du diagnostic est essentiel pour déboucher sur le remède idoine. Pour apaiser les tensions qui secouent la planète, il faut d’abord s’appuyer sur une analyse correcte du patient monde atteint d’une pluri-pathologie, puis développer une vraie vision pour le guérir de ses maux complétant habilement outils multilatéraux et bilatéraux.

LE PATIENT MONDE : UNE PLURI-PATHOLOGIE MÉCANIQUE ET FONCTIONNELLE

Le moins que l’on soit autorisé à dire est que l’année 2017 voit le monde poursuivre sa (ses) fracture(s) et son (ses) instabilité (s) contribuant ainsi à le rendre encore plus imprévisible et, par voie de conséquence, plus dangereux.

Un monde fracturé et instable

Le diagnostic est de plus en plus limpide. « Notre monde n’a jamais été aussi fracturé » déclare Emmanuel Macron lors du G20 à Hambourg (7-8 juillet 2017). Le fracture géographique s’élargit entre le nord et le sud, l’est et l’ouest, le nord et le sud de l’Union européenne, les Chiites et les Sunnites au sein du monde musulman5. Les tendances irrédentistes au sein même des États se multiplient comme en Catalogne6, au Yémen, en Ecosse, en Corse ( ?)… et pourraient s’étendre à d’autres régions du monde. La finance est chancelante (le bitcoin inquiète); la démocratie régresse (défiance croissante à l’égard des institutions de la démocratie, elle serait en recul dans 67 pays) ; la malnutrition et généralisée et la famine augmente7 (815 millions de personnes souffrent de sous-alimentation chronique8) ; 55% de la population mondiale vit sans protection sociale ; la population augmente ; partout les écarts de richesse se creusent9 ; la pollution tue 12,7 millions de personnes ; la température se réchauffe en dépit de l’accord de Paris (Cf. constat de 15 000 scientifiques à la veille de la COP23 de Bonn) ; le nombre des déplacés climatiques explose (on parle de plus d’un milliard avant la fin du siècle)10 ; les ouragans et autres phénomènes climatiques paroxystiques sont de plus en plus fréquents ; les phénomènes migratoires du Sud vers le Nord ne faiblissent pas (esclavage en Libye)11 ; le terrorisme s’inscrit dans la durée (500 morts dans un attentat à Mogadiscio) ; le Proche et le Moyen-Orient évolue de spasmes en spasmes (crise entre l’Iran et l’Arabie saoudite, au Liban, difficile retour à la paix en Irak et en Syrie sans parler du Yémen12 et de la Libye)13 ; les ventes d’armes retrouvent leur niveau de la fin de la guerre froide ; certains domaines des relations internationales sont privatisés (monde trouble du numérique)…

Parmi d’autres, les publications des « paradise papers »14 et autres « leaks » (automobile, sport…) constituent le signe inquiétant d’un mal profond actuel du phénomène de la mondialisation15 (reniée par son géniteur d’Outre-Atlantique au nom de « l’America First ») qu’on nous prédisait « heureuse », hier. Ainsi, nous mesurons les « désillusions de la liberté »16. Les questions d’identité, de liberté et de sens se posent donc à nouveau. La résurgence des nationalismes (entrée de l’AFD au Bundestag, des trois ministres du FPÖ dans le gouvernement autrichien17)18, le retour de l’obscurantisme religieux (propagé grâce au wahhabisme saoudien), l’essor de l’idéologie transhumaniste apparaissent de fait comme des réactions extrêmes à cette globalisation du monde, héritage de l’esprit des Lumières.

Les forces centrifuges l’emportent sur les forces centripètes. La confrontation le dispute à la coopération. Tel un espace géographique après le frottement des plaques tectoniques, les risques de tremblement de terre sont plus élevés. Les relations entre États sont loin d’être un long fleuve tranquille. Le retour de l’Histoire, du religieux, de la nation, de la région, la revanche de la géographie contredisent les prévisions « croquignolesques » de certains experts es-prévision des meilleurs « think tanks » de l’oncle Sam (encore vénérés en France par l’intelligentsia) après la chute du mur de Berlin. Ce serait plutôt la fin de l’hyperpuissance américaine19. La règle est bien connue des historiens : tout empire périra par fatuité et par orgueil. Les États-Unis ne sont pas l’exception qui confirme la règle.

La nature a horreur du vide, c’est bien connu, y compris dans la sphère des relations internationales. Le corollaire de cet état de chose, ces « hauts et bas du désordre mondial »20, est l’imprévisibilité et la dangerosité du monde de 2017.

Un monde imprévisible et dangereux

« Nous entrons dans l’avenir à reculons » (Paul Valéry). L’humanité traverse une crise planétaire tant elle est secouée par de multiples périls. Face à l’ampleur des défis qu’ils doivent relever, les dirigeants du monde semblent désemparés, comme déboussolés, voire frappés de sidération (la très fameuse « surprise stratégique » des internationalistes) alors qu’ils disposent de multiples instruments de prévision, de prospective21… voire de la contribution incontournable de l’intelligence artificielle (IA) qui nous est servie quotidiennement comme remède à tous les maux de la terre22. La prévision n’est toujours pas une science exacte. Le dirigeant nord-coréen, Kim Jung-un multiplie ses provocations (tirs de missiles balistiques intercontinentaux et explosions nucléaires à jet presque continu), mettant à mal le régime de non-prolifération au même moment où les États-Unis veulent remettre en cause l’accord nucléaire avec l’Iran du 14 juillet 2015.

Le prix Nobel de la paix 2017 est décerné à l’ICAN pour sa contribution à l’adoption d’un traité d’interdiction des armes nucléaires (qu’aucun État nucléaire n’a signé)23. Que reste-t-il des « révolutions arabes », sept ans après ?24 Si ce n’est des révolutions trahies, chose qu’il fut interdit de dire pendant plus de deux ans en Occident où sévissait le fantasme du Grand Soir arabe ? Défait dans son fief irako-syrien, l’EIIL s’exporte en Afrique (Libye, Sahel), en Asie (au Pakistan les islamistes sont de plus en plus puissants25 sans parler de l’Afghanistan26) et multiplie ses actions terroristes en Europe et en Amérique sans parler de la région concernée.

La paix est menacée par le phénomène du terrorisme islamiste radical27. Phénomènes que nos partenaires européens avaient tendance à négliger. Désormais, tout le monde est longé à la même enseigne de l’imprévisibilité et de la dangerosité. La puissance change de camp. Pour Joseph Nye (cofondateur avec Robert Keohane du concept de « soft power »), il y a deux mouvements qui se déroulent en même temps : une « transition de puissance » avec la Chine (puissance émergente) et les États-Unis (qui ont été la puissance dominante) et une « transmission de la puissance » des États vers des acteurs non étatiques (de plus en plus nombreux et de plus en plus puissants comme les GAFA pour les États-Unis et les BATX pour la Chine28).

Donald Trump est le premier président américain depuis 1945 à remettre en question le système des alliances créé après 1945 fondé sur des alliances, des institutions multilatérales et des valeurs normatives29. La régulation est supplantée par la confusion. En définitive, tous les problèmes internes et internationaux sont étroitement liés. Le président français, Emmanuel Macron a raison de dire qu’on « ne peut pas prétendre lutter contre le terrorisme si on n’a pas une action résolue contre le réchauffement climatique ». À monde global et globalisé, réponses globales indispensables et incontournables pour leur conférer toute leur efficacité. Seule une coopération globale assumée à travers une interdisciplinarité rénovée permettrait de sortir de l’impasse actuelle. Or, nous en sommes encore loin.

Comment réagissent les dirigeants de la planète, en particulier les plus puissants d’entre eux, face à un tableau clinique aussi sombre et préoccupant ? Le remède est-il à la hauteur du mal qui ronge le patient nommé monde ?

LES DIAFOIRUS À SON CHEVET : UNE MONO-MÉDICATION OU LE REMÈDE PLACEBO

Le retour des tensions internationales conduit immanquablement à une crise de la coopération internationale, une sorte d’épuisement du multilatéralisme que ne parvient pas à contenir la classique pratique de la diplomatie à savoir le bilatéralisme.

L’épuisement du multilatéralisme

L’effacement des instruments de régulation des relations internationales mis en place depuis 1945 est à la fois structurel (la montée de la défiance) et conjoncturel (les réticences de Donald Trump entre autres30).

Pour ce qui est du premier, la crise de confiance qui touche les relations entre les grands de ce monde n’a fait que s’accentuer au cours de l’année. Elle explique en grande partie leurs difficultés à s’entendre dans l’enceinte du Conseil de sécurité (multiplication de l’usage du droit de veto, échanges réguliers d’amabilités peu diplomatiques…). Elle explique le chacun pour soi et le cavalier seul de nombreux États. On prône le multilatéralisme à New-York et on pratique l’unilatéralisme chez soi. Or, il s’agit d’une tendance lourde qui ne s’inversera pas par un coup de baguette magique. En mai 2017, Angela Merkel qualifie de « quasiment révolue » l’époque où la confiance prévalait, dans une apparente allusion à la relation entre l’Europe et les Etats-Unis, mise à rude épreuve lors du voyage en Europe du président américain Donald Trump avec sa « diplomatie du chaos ». « L’époque où nous pouvions entièrement compter les uns sur les autres est quasiment révolue ».

En l’absence de confiance entre alliés occidentaux, comment rétablir la confiance avec ses autres partenaires (Chine, Russie…) pour s’écouter, se comprendre, s’entendre dans un cadre restreint (format dit P5) puis multilatéral pour résoudre les crises, voir, ce qui est encore mieux, pour les prévenir le plus en amont possible ? La relation entre Moscou et Washington pâtit de soupçons d’ingérence de Moscou dans la campagne électorale. Tant que ce minimum de confiance ne sera pas retrouvé sur le temps long, il y a fort à parier que le maillage multilatéral actuel (universel et régional) en soit réduit au rôle de la SDN avec la Seconde Guerre mondiale31. Une sorte de liturgie désuète. La communication et l’incantation font office de remède placebo pour soigner des maux importants.

Pour ce qui est de la seconde, les distances de plus en plus grandes et de plus en plus fréquentes prises par l’hyperpuissance américaine avec le multilatéralisme (retrait de l’UNESCO, de l’accord climat de Paris, du pacte mondial sur la migration, décertification de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, distances avec les principaux accords commerciaux conclus dans le passé avec plusieurs régions du monde)32 conjugués à l’extra-territorialité du droit américain (les condamnations contre des entreprises étrangères pleuvent à l’instar de celle qui attend Airbus et qui pourrait lui être fatale), ne font que compliquer la situation et affaiblir le système multilatéral que les États-Unis ont eux-mêmes contribué à mettre en place en 194533. Leur rôle de médiateur au Proche-Orient est contesté34.

Par le jeu des vases communicants, la Russie se voit désormais en maître du monde arabe35. Le nouveau secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres est à la peine36 surtout après la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël37 et de menacer de mettre le machin à la diète budgétaire. Au sein de l’Union européenne, la machine tourne à plein (en termes de procédures tatillonnes comme pour la PESCO38) mais surtout à vide pour relever les multiples défis qui s’imposent à elle (crise migratoire, climat, défense, « brexit », dérégulation, dictature des GAFA et autres BATX, paradis fiscaux, harmonisation fiscale et sociale, glyphosates…) tant un minimum de confiance entre les 27/28 fait défaut. Le discours de l’État de l’Union prononcé le 13 septembre 2017 par le président de la commission européenne, Jean-Claude Juncker, en dépit de son elle ne va pas si mal et elle va compter dans le monde de demain, assène quelques vérités bien senties sur les maux structurels de l’institution bruxelloise39. L’Europe est à refonder radicalement40.

L’OSCE ne joue plus son rôle essentiel d’enceinte de dialogue sur les questions de sécurité en Europe. La stigmatisation permanente de Moscou depuis l’invasion de la Crimée est inefficace, voire contre-productive en termes de qualité de la relation entre ses membres. Ne favorise-t-elle pas le retour d’une nouvelle guerre froide ?41 La politique des sanctions est inefficace et inutile (Russie, Corée du Nord). L’Alliance atlantique, jugée « obsolète » par Donald Trump, se transforme en machine de guerre et en instrument d’invective contre la Russie au lieu de favoriser la discussion sur les sujets importants dans le cadre du conseil OTAN/Russie. L’Union africaine (UA) palabre toujours autant mais ne résout aucun des graves problèmes qui frappe le continent comme celui des migrations42.

Le Conseil de coopération des États du Golfe est désormais l’otage du conflit entre Riyad et Doha. Il pourrait bientôt exploser. Temple du libre-échange, l’OMC s’interroge sur sa raison d’être en raison des griefs américains et de son protectionnisme assumé43 mais doit faire face à des défis plus vastes. L’attitude de Donald Trump sert de révélateur à des dysfonctionnements plus larges44. L’OMS est accusée de réagir avec retard lors des grandes pandémies.

« En l’absence d’intérêts communs crédibles et fiables, avec pour seul recours des institutions internationales obsolètes datant des accords de Yalta, l’ordre international secouée par l’effondrement de l’URSS donne l’image d’un jeu d’improvisation ou de hasard »45.

Les limites du bilatéralisme

Aujourd’hui, nous assistons à un retour du chacun pour soi, d’une forme d’unilatéralisme. Il est des petites contributions, qui sonnent comme de grandes révolutions. Pendant que la Chine, à qui Xi Jinping promet une « nouvelle ère »46, trace lentement mais sûrement ses routes de la soie47 (à titre d’exemple, elle installe une base militaire à Djibouti et tisse sa toile en Afrique), les Occidentaux – Américains en tête – se sont volontairement mis hors-jeu dans le dossier syrien qui est désormais le monopole de la Russie48. Cette dernière fait cavalier seul à Sotchi et à Astana avec l’appui de l’Iran (dont les (prétendus) agissements servent de prétexte à MBS en Arabie saoudite) et de la Turquie (dont les positions inquiètent de plus en plus l’OTAN49). Vladimir Poutine en profite pour pousser ses pions au Moyen-Orient50. Le Japon saisit l’occasion des provocations de la Corée du nord pour repenser militaire51. Donald Trump a pour mot d’ordre « America First », une variante de l’unilatéralisme ou de l’isolationnisme.

En dépit de ses professions de foi européennes (Cf. son discours de la Sorbonne) Emmanuel Macron utilise rarement le levier de la diplomatie européenne pour faire triompher la paix sur la guerre52. Il ne fait que suivre en cela l’exemple éloquent d’Angela Merkel qui joue perso et allemand en priorité. À maints égards, le couple franco-allemand n’existe que sur le papier. Emmanuel Macron reçoit quotidiennement des chefs d’État et de gouvernement à l’Élysée, traduisant ainsi son réalisme et sa volonté de combler les lacunes du multilatéralisme par la pratique d’un bilatéralisme actif et volontariste.

Si bilatéralisme il y a et il devrait y avoir pour compenser l’inertie du multilatéralisme, il se fonde sur des « coopérations inégalitaires » (professeur Serge Sur). Les Occidentaux doivent parler avec Donald Trump, maintenir le dialogue avec lui afin de refréner ses instincts destructeurs. Les Occidentaux – Européens en premier lieu – doivent parler, cela serait une erreur fondamentale de ne pas le faire, avec la Russie53, la Chine, l’Iran et autres pays dénoncés par nos moralisateurs à la petite semaine… pour éviter de nous ramener dans un monde dans lequel chaque pays ne se préoccupe que de lui-même. Il leur faudrait un minimum de flair politique et pragmatique pour gérer avec intelligence les situations les plus conflictuelles. Souvenons-nous des déclarations invraisemblables de Laurent Fabius sur Bachar al-Assad à l’été 2012 et de ses idées fausses, faute d’un minimum d’humilité ! Regardons ce que fait la diplomatie vaticane du pape François avec discrétion mais avec une certaine efficacité au cours de ses voyages à l’étranger ! Il se refuse à prononcer le mot de « Rohingya » (minorité musulmane de Birmanie)54 tout en condamnant les atteintes au droit de l’homme mais il s’évertue à parler à tous pour donner sa chance à la diplomatie. L’invective n’est jamais le meilleur levier de la diplomatie surtout dans la sphère bilatérale pas plus que la menace du recours à la Cour pénale internationale qui n’a jamais permis le moindre processus de réconciliation interne ou externe.

Dans un contexte géographique et historique enveloppé par le brouillard de l’incertitude, les diplomates n’ont pas trouvé de meilleure solution que de revigorer le très classique dialogue bilatéral. Instrument que privilégie Emmanuel Macron dans sa pratique quotidienne de la diplomatie comme nous l’avons souligné plus haut, avec un certain succès, reconnaissons-le ! Il constitue le seul moteur de nature à rétablir un minimum de confiance entre les acteurs du concert international. Le retour du bilatéralisme aura manifestement marqué de son empreinte l’année 2017 dans la conduite des relations internationales. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? À défaut de gouvernance mondiale efficace, le bilatéralisme est au moins nécessaire si ce n’est suffisant pour tenter de recréer le minimum de confiance pour prévenir les tensions, les conflits, voir les guerres de toutes natures.

En un mot, pour faire mentir l’adage selon lequel le seul vrai principe de gestion des affaires internationales, c’est le rapport de forces. Redonner à la diplomatie toute sa place dans la régulation internationale en lieu et place d’un chevauchement inutile de chimères ! Tel est le défi que devront relever les chefs d’État et de gouvernement des principaux acteurs du concert de nations – refusons l’emploi de « communauté internationale », mot-valise qui n’a aucune consistance réelle – en 2018 s’ils ne veulent pas que le désordre mondial s’installe durablement avec toutes les conséquences imprévisibles que l’on peut aisément imaginer pour l’avenir de la planète. Qu’ils cessent de nous faire prendre des vessies pour des lanternes après de somptueuses conférences internationales qui brillent par la vacuité de leur contenu dont personne n’est dupe ! Qu’ils acceptent de dépasser cette ère du vide !

« Toute politique est autorisation de l’avenir » (Denis de Rougemont). Pourvu que l’année 2018 ne tourne pas au désastre. Trop de signes inquiétants émaillent l’année qui s’achève. L’espoir tourne souvent à la déconvenue. La réalité reprend le dessus. La gouvernance mondiale mise en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ajustée après la chute du mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, semble épuisée face aux dérèglements de toutes natures qui frappent la planète en cette fin d’année 2017. La diplomatie apparaît de moins en moins comme le mode de règlement privilégié des conflits. Le « hard power » le dispute au « soft power ». Et les Américains y ont leur part (Cf. leur rôle de pyromane sur la question du statut de Jérusalem après la décision de Donald Trump du 7 décembre 2017). Une tempête fait rage55. Le confort stratégique est fini. Le vieux monde s’écroule et est en partie renversé. Mais, le monde nouveau n’est pas encore né et ses contours ne sont pas bien nets56.

Comme le soulignait Antonio Gramsci, nous avons déjà connu de semblables périodes qu’il qualifiait de « claires-obscures » pendant lesquelles « le vieux monde se meurt, alors que le nouveau tarde à apparaître, et dans lesquelles surgissent des monstres ». Résultat : un chaos extraordinaire dans l’esprit des millions de personnes. Les hommes politiques tacticiens portés sur le temps court et médiatique ont remplacé les hommes d’État stratèges guidés par le temps long et historique. « La hâte engendre en tout l’erreur, et de l’erreur sort bien souvent le désastre » (Hérodote). Aujourd’hui, on s’attache plus aux faits, à leurs conséquences, mais peu à leurs causes. La communication tient lieu de stratégie. La lâcheté remplace le courage de la vérité. En dernière analyse, ne serions-nous pas les témoins incrédules d’un monde durablement confronté aux mécaniques du chaos ?

 

Guillaume Berlat

1 Daniel Rondeau, Mécaniques du chaos, Grasset, 2017.
2 Marie de Vergès, Comment l’Asie a tiré les leçons de la crise, Le Monde, 23-24 juillet 2017, p. 10.
3 Éditorial, 2007-2017 : les leçons d’un désastre, Le Monde, 4 juillet 2017, p. 23.
4 Jean-Michel Naulot, « Une crise financière est toujours possible », Le Monde, 10 août 2017, p. 23.
5 Le nouveau désordre international, Questions internationales, mai-août 2017, n° 85-86, La documentation française.
6 Sandrine Morel, En Catalogne, les indépendantistes remis en selle face à Madrid, Le Monde, 23 décembre 2017, pp. 1-2-3-19.
7 Audrey Garric, La malnutrition n’épargne plus aucun pays, Le Monde, 5-6 novembre 2017, p. 6.
8 L’inextinguible faim de la planète, Supplément du Monde, 15 décembre 2017.
9 Inégalités, une menace planétaire, Le Monde, Économie & Entreprise, 15 décembre 2017, pp. 1-2-3-4-5.
10 Philippe Douste-Blazy, « Le réchauffement climatique va accroître le risque de famine », Le Figaro, 11 décembre 2017, p. 24.
11 Simon Roger, Le climat entraînera un afflux de migrants en Europe, Le Monde, 23 décembre 2017, p. 7.
12 Collectif, Mille jours de guerre : le Yémen ne peut plus attendre, Le Monde, 19 décembre 2017, p. 24.
13 Alain Frachon, Le Moyen-Orient post-djihad, Le Monde, 20 octobre 2017, p. 20.
14 Paradise Papers. Les 350 milliards de l’évasion fiscale, Le Monde, 7 novembre 2017, pp. 1 à 10.
15 Éditorial, « Paradise Papers », l’envers de la mondialisation, Le Monde, 7 novembre 2017, p. 24.
16 Pierre Bentata, Les désillusions de la liberté, éditions de l’Observatoire, 2017.
17 Blaise Guaquelin, En Autriche, l’extrême droite en force, Le Monde, 19 décembre 2017, p. 3.
18 Michel Foucher, Le nouvel âge des nationalismes, Le Monde, Idées, 21 octobre 2017, p. 7.
19 Pascal Bruckner, « Le XXIe siècle ne sera pas américain », Le Monde, 15 décembre 2017, p. 21.
20 Sylvie Kauffmann, Hauts et bas du désordre mondial, Le Monde, 19 octobre 2017, p. 24.
21 Voir l’indigence du numéro hors-série (été-automne 2017) des Carnets du Centre d’analyse et de prospective et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) pompeusement intitulé : « Les mondes de 2030 » comportant un avant-propos (hors de propos) du ministre Jean-Yves le Drian.
22 Véronique Chocron, L’intelligence artificielle va bouleverser les banques, Le Monde, Économie & Entreprise, 3-4 décembre 2017, p. 4.
23 Béatrice Fihn, « Les conséquences des armes nucléaires ne sont pas gérables », Le Monde, 3-4 décembre 2017, p. 17.
24 Martine Gozlan, Révolutions arabes, révolutions trahies, Marianne, 21-27 juillet 2017, pp. 70 à 73.
25 Julien Bouissou, Au Pakistan, les islamistes de plus en plus puissants, Le Monde, 3-4 décembre 2017, p. 25.
26 Julien Bouissou, Le pouvoir afghan fragilisé par les talibans et l’EI, Le Monde, 27 octobre 2017, p. 5.
27 Pierre de Villiers, Soyons fiers de nos armées françaises, Le Figaro, 14 juillet 2017, p. 17.
28 BATX acronyme de Baidu, Alibaba, Tencent et Xiamoi.
29 Joseph Nye, « Le siècle américain n’est pas fini », Le Monde, 25 juillet 2017, p. 26.
30 Éditorial, Seul contre tous, Le Monde, 8 décembre 2017, pp. 1 et 25. 
31 Serge Sur, Défis et avenir de la coopération internationale. Usure ou fin du multilatéralisme ?, Ramsès 2018, Dunod, pp. 62- 67.
32 Renaud Girard, L’escalade américaine contre le multilatéralisme, Le Figaro, 17 octobre 2017, p. 17.
33 Nicolas Baverez, Bilan de Trump : « China First », « America out », Le Figaro, 20 novembre 2017, p. 25.
34 Renaud Girard, La fin de l’arbitrage américain au Proche-Orient, Le Figaro, 12 décembre 2017, p. 19.
35 Pierre Avril, La Russie est-elle le nouveau maître du monde arabe ?, Le Figaro, 11 décembre 2017, p. 21.
36 Rémy Ourdan, Antonio Guterres au chevet d’un monde imprévisible, Le Monde, 15 novembre 2017, p. 4.
37 Jérusalem, le tournant diplomatique de Trump, Le Monde, 8 décembre 2017, pp. 1-2-3-4 et 25.
38 Federico Santopinto, La défense européenne entre Doctor FED & Mister PESCO, Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, 14 décembre 2017.
39 Éditorial, Des ambitions réalistes pour l’Europe, Le Monde, 15 septembre 2017, p. 27.
40 Etienne Balibar, « Refonder radicalement l’Europe », Le Monde, 17-18 novembre 2017, p. 26.
41 Andreï Gratchev, Un nouvel avant-guerre ? Des hyperpuissances à l’hyperpoker, Alma, 2017.
42 Emeline Wuilbercq, L’UA veut rapatrier des migrants de Libye, Le Monde, 9 décembre 2017, p. 5.
43 Marie de Vergès, Perturbée par l’attitude des États-Unis, l’OMC en quête d’identité, Le Monde, Économie & Entreprise, 10-11 décembre 2017, p. 6.
44 Éditorial, L’OMC est morte, vive l’OMC !, Le Monde, 13 décembre 2017, p. 25.
45 Andreï Gratchev, précité, Alma, 2017, p. 290.
46 Brice Pedroletti, Xi Jiping promet une « nouvelle ère » pour la Chine socialiste, Le Monde, 19 octobre 2017, p. 4.
47 Alain Frachon, Et pendant ce temps, la Chine…, Le Monde, 24 novembre 2017, p. 23.
48 Isabelle Lasserre, Syrie : les Occidentaux mis sur la touche par la Russie, Le Figaro, 22 novembre 2017, p. 14.
49 Jaap de Hoop Scheffer, « La Turquie pose un sérieux problème à l’OTAN », Le Monde, 24 octobre 2017, p. 22. 
50 Isabelle Mandraud, Poutine pousse ses pions au Moyen-Orient, Le Monde, 13 décembre 2017, p. 2.
51 Renaud Girard, Le retour du Japon à la puissance, Le Figaro, 24 octobre 2017, p. 17.
52 Dictionnaire de la guerre et de la paix, PUF, 2017.
53 Renaud Girard, L’absurdité du divorce Europe-Russie, Le Figaro, 21 novembre 2017, p. 17.
54 H. TH., 6700 Rohingya tués en Birmanie, Le Monde, 15 décembre 2017, p. 6.
55 Thierry de Montbrial, Vivre le temps des troubles, Albin Michel, 2017.
56 Hélène Carrère d’Encausse, Introduction, Le général de Gaulle et la Russie, Fayard, 2017, pp. 13-27.

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