2022 :
Sursaut ou chaos ?
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Noël Dantec (*)
Docteur en Sciences Politiques
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« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ». Cette phrase du discours prononcé lors de sa réception du Prix Nobel de littérature par Albert Camus, le 10 décembre 1957, anime les réflexions de l’auteur qui, à l’évidence, s’impatiente de notre lenteur à imaginer le monde de demain. Comme c’est la règle, ses propos n’engagent que lui-même.
L’année 2021 fut une « annus horribilis ». Que nous réserve l’année 2022 ? Impossible défi pour les prévisionnistes ! Outre son premier semestre marqué par la présidence française de l’Union européenne et l’élection présidentielle, rien n’est certain mais tout est possible. Au-delà de ces réalités, comment trouver quelques clés de compréhension lors que l’avenir n’appartient à personne ? Elles nous sont rappelées par le général de Gaulle : « l’on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités ». Évidence que nos dirigeants semblent perdre de vue tant ils confondent diplomatie et communication, stratégie et tactique, court terme et long terme, partiel et global, diplomatie et bons sentiments.
Pire encore, la réalité virtuelle fait entrer le monde numérisé dans une nouvelle dimension déconnectée de la réalité objective. Alors que nous nous acheminons vers une « réorganisation du monde », un constat s’impose. La fin du monde d’hier s’accompagne des balbutiements du monde de demain. Quelle conséquence en tirer ? Doit-on nous contenter d’être les spectateurs passifs de l’obsolescence de l’ancienne gouvernance portée sur les fonts baptismaux en 1945 ? Ou bien prendre le problème à bras le corps, dans une démarche volontariste et réaliste, afin d’être les acteurs d’une nouvelle gouvernance ?
La fin du monde d’hier
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La crise sanitaire sert de révélateur aux fissures préexistantes du système international, la pandémie exerce un effet loupe sur l’impuissance des dirigeants à encadrer les bouleversements du XXIe siècle. Le multilatéralisme de papa est incapable de tenir ses objectifs. Il peine à résoudre les problèmes affectant la planète. Le concept de résilience n’est-il pas aussi cynique que dangereux en acceptant l’oppression ? Aujourd’hui, le monde parait incompréhensible faute d’avoir une vision globale spatio-temporelle. Dans le brouillard mondial, les enjeux sont loin d’être clairs.
Il faut réfléchir à la nature profonde de cette crise, aux outils spécifiques dont nous disposons pour l’affronter, et surtout, à ceux qu’il nous faudrait imaginer pour organiser le monde de demain. Comme nous le rappelle un proverbe chinois : « Beaucoup réfléchir et parler peu, c’est le moyen de tout apprendre ». Apprendre de nos erreurs, de nos échecs, de nos certitudes pour en tirer les leçons. Les Nations unies sont-elles condamnées à l’impuissance, pourquoi les institutions internationales mises en place pour préserver la paix et la sécurité semblent-elles si souvent inefficaces pour remplir ce rôle ?
Selon Mireille Delmas-Marty, l’enjeu consiste à « pacifier les humains sans les uniformiser ». À cette fin, « une gouvernance plurielle permettrait l’émergence d’un récit de l’humanité, comme une aventure commune, à la recherche d’un équilibre dynamique permettant de stabiliser les sociétés dans leurs rapports réciproques et sans les figer ». Telle est le sens de la crise du multilatéralisme, qui exige une réponse stratégique : la recherche d’une gouvernance pour le monde actuel.
L’une des plus récentes grand-messes internationales : la réunion du G7 en Grande-Bretagne, à Cornwall, en juin 2021.
Phopo PoolG7
Les balbutiements du monde de demain
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Faute de consolider durablement ou de rebâtir l’édifice, rien ne sera possible. Pascal Lamy propose d’opérer un glissement du multilatéralisme vers le « polylatéralisme »afin de repenser le concept de légitimité au prisme de l’efficacité. Plusieurs pistes de réflexion pourraient être explorées pour éviter de tomber dans le piège de « l’ambiguïté constructive » (s’accorder sur des mots et non sur des principes). Privilégier le coopératif au coercitif. Privilégier la confiance à la défiance. En finir avec la diplomatie d’exclusion pour privilégier la diplomatie inclusive. En finir avec les guerres qui, faute de traiter les racines du mal, conduisent les Occidentaux dans des impasses, exportant l’instabilité d’un État à une région. Pour nécessaire qu’elle soit, la réponse sécuritaire n’est pas suffisante. En finir avec l’inflation des grandes messes internationales, préférer la préparation méticuleuse à la communication. En finir avec la judiciarisation de la vie internationale qui aggrave plus qu’elle n’apaise les conflits.
Quel pourrait être le périmètre d’une nouvelle gouvernance mondiale alors qu’existe « une inadaptation croissante de la pensée juridique traditionnelle » face aux défis globaux ? Il importe de remettre la diplomatie sur les rails. La diplomatie qui travaille à la recherche du compromis. La diplomatie qui travaille dans la discrétion. La diplomatie qui remet les États au centre du jeu. Le mal de la gouvernance internationale doit se traiter à sa racine et non se limiter à agir sur certains de ses effets. Avant le retour des jours heureux, il faut optimiser les outils de l’ancien monde : diplomatie bilatérale, diplomatie à géométrie variable en fonction des thématiques, dialogue constant, conciliation, médiation, arbitrage, réconciliation, confiance, respect de l’autre pour mieux le comprendre, anticipation…
Mais c’est loin d’être tâche aisée dans un monde au conformisme ambiant, tant « notre esprit a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l’idée qui lui sert le plus souvent » (Henri Bergson). Comment définir les grammaires d’un monde post-Covid face aux contraintes du temps court ? En multipliant les angles, en donnant les clés pour mieux comprendre ce qui se cache derrière les stratégies et tactiques des uns et des autres.
Le Far-West des relations internationales
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« Les hommes politiques ont perdu le souffle de l’Histoire » écrivait Honoré de Balzac au XIXe siècle. Les choses ont-elles changé depuis cette date ? Une chose est sûre : le statu quo n’est plus une option soutenable dans une période dangereuse : « Les vieux monstres se meurent, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » (Antonio Gramsci). Nous avons besoin d’une capacité à « stratégiser », à définir une feuille de route réaliste traçant une perspective d’avenir crédible. Il ne s’agit ni de recourir aux déclarations grandiloquentes et au faux consensus, ni de céder à la tyrannie de l’instant.
Souvenons-nous de l’avertissement d’Émile de Girardin en 1852 : « Gouverner, c’est prévoir et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte ». On mesure ainsi les risques que nous courons à pratiquer la politique de l’autruche alors que s’impose la recherche d’un réalisme de rupture. Et cela semble d’autant plus difficile à réaliser que nous évoluons sous le règne de la langue de bois épaisse et des éléments de langage, nouvelle religion des temps modernes. Pour préparer l’année 2022, le choix est binaire : le sursaut ou le chaos ?
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(*) Noël Dantec est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en Sciences Politiques et expert en relations internationales
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