MOURIR
POUR TAÏWAN
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Vincent Gourvil (*)
Docteur en Sciences politiques
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Il n’aura pas échappé à nos lecteurs que la Chine occupe une place de plus en plus importante dans nos colonnes. L’actualité aidant, nos auteurs n’ont que trop l’occasion de souligner les effets de la politique de Xi Jinping Ici, Vincent Gourvil pose, crûment, une bonne question. Ses propos n’engagent évidemment que lui-même.
« Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera » prophétisait Alain Peyrefitte dès 1973. Cinquante après, nous y sommes. Pékin utilise tous les ressorts de sa puissance pour accroître son influence à l’étranger, dénigrer le modèle libéral. Un défi que les démocraties commencent à prendre au sérieux. Le tempétueux Donald Trump s’était rapidement emparé du problème. Force est de constater que Joe Biden enfourche les bottes de son prédécesseur sur ce sujet. C’est un nouveau paradigme auquel il va falloir désormais s’accoutumer. L’idéal serait de procéder à une analyse globale du phénomène, à l’anticiper pour mieux s’y préparer.
La réalité est plus triviale tant le court-termisme constitue trop souvent cap et boussole de nos dirigeants et autres folliculaires. Sur fond de tensions sino-américaines croissantes, Pékin pourrait se saisir de l’occasion pour traiter la question taïwanaise. Dans cette hypothèse de plus en plus probable, la communauté internationale, donc l’Occident, pourrait se limiter à quelques borborygmes diplomatiques.
La montée des tensions
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Depuis plusieurs mois, les experts s’interrogent sur l’existence d’une nouvelle guerre froide entre la Chine et les États-Unis. Les indices d’une montée aux extrêmes se multiplient : durcissement de la guerre commerciale, recours fréquent à la guerre des mots ; accroissement des tensions dans la région Indopacifique, démonstrations aériennes dans le ciel de Taïwan, collision récente d’un sous-marin nucléaire américain avec un objet inconnu en mer de Chine du Sud, conclusion du pacte tripartite de sécurité Aukus, poursuite de l’entrisme décomplexé de Pékin dans les organisations internationales (occupant le vide laissé par Washington), diplomatie des otages (à l’instar de la dirigeante de Huaweï libérée contre deux ressortissants canadiens embastillés en Chine) …
Seule lueur d’espoir dans ce tableau, l’annonce d’une éventuelle rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping avant la fin 2021. Sachons raison garder en nous souvenant qu’une hirondelle ne fait pas le printemps et que nous ne sommes pas encore sur la voie d’un dégel bilatéral à échéance raisonnable ! Les nouvelles routes défrichées, avec constance et détermination, par le régime chinois ont plus l’odeur de la confrontation que de la coopération, de la poudre que de la soie.
Force est de constater que Pékin regarde de plus en plus vers Taipeh avec les yeux de Chimène.
Une fenêtre inespérée pour une Chine conquérante
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Nous assistons à une multiplication de signaux mi-faibles mi-forts sur Taïwan. Pékin procède à une escalade de déclarations belliqueuses et de démonstrations de force à proximité de l’Ile, unique objet de son ressentiment. Un constat d’évidence s’impose. Aussi habile stratège que tacticien, le président Xi Jinping multiplie les références à la réunification Tout en promettant qu’elle sera pacifique, il multiplie les incursions de son aviation dans la proximité de l’ile.
La présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, qui n’en peut mais, se pose en défenseuse de la démocratie. Les adversaires se toisent. Le 9 octobre 2021, le chef de l’État chinois soufflait le chaud et le froid. D’un côté, il a rappelé que la « réunification » de la Chine et de Taïwan « devra être réalisée et le sera » et que les « sécessionnistes sont le principal obstacle à la réunification avec la mère patrie, et un risque sérieux pour le renouveau national ». Pour lui, Taïwan, en tant qu’entité politique, a été « le résultat de la faiblesse et du chaos de la nation chinoise et sera, à coup sûr, résolu lorsque le renouveau national deviendra une réalité ». « Ceux qui oublient leurs ancêtres, trahissent la patrie ou divisent le pays sont condamnés. Ils seront définitivement rejetés par le peuple et jugés par l’histoire », a-t-il conclu. La mise en garde est on ne peut plus claire.
Si l’affaire devait se conclure, quelles pourraient être les réactions envisageables de la communauté internationale ?
Vraisemblable inertie
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Après la déroute américaine en Afghanistan et les déboires internes de Joe Biden, Pékin estime, vraisemblablement, que le fruit taïwanais est mur pour être cueilli à brève échéance. Imagine-t-on le 46ème président des États-Unis se lancer dans une énième aventure militaire avec ou sans l’appui d’une Alliance atlantique déboussolée ? La réponse est dans la question.
Imagine-t-on l’Aukus se mettre en branle pour aller guerroyer avec l’Empire du Milieu ? La vaste blague. Imagine-t-on le Conseil de sécurité de l’ONU s’accorder sur une résolution condamnant l’intervention chinoise ? Impossible en raison des vétos chinois et russe. Ne parlons pas de l’Union européenne qui a d’autres soucis à gérer dans ces temps de dérèglement chronique de la structure ! Imagine-t-on la France bander ses muscles dans la zone dans le contexte actuel ? Rions sous cape.
Tout au plus, la Chine devra affronter les quolibets d’un Occident en déclin, les fausses injonctions de l’improbable communauté internationale, voire quelques menaces de sanctions à l’exemple de Hong Kong, ou de réelles sanctions comme ce fut le cas pour la Crimée avec la Russie.
Maîtriser l’incertain
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« Les grandes âmes ont de la volonté, les faibles n’ont que des souhaits » nous rappelle fort à propos un proverbe chinois qui n’a pas pris la moindre ride. À Pékin, l’on oppose le permanent de l’Orient au temporaire de l’Occident. La diabolisation de l’adversaire constitue la marque des États incapables de penser les mutations du monde du XXIe siècle.
Car au-delà du simple épisode diplomatique, c’est l’affrontement entre deux mondes qui surgit. Qui sait, la suite des évènements apportera peut-être la confirmation de notre hypothèse d’une reprise en main de Taïwan par Pékin en application du principe de la « Chine unique ». La conclusion de ce futur épisode des relations internationales pourrait revenir à Georges Brassens lorsqu’il chantait : « Autour des échafauds, mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente. D’accord, mais de mort lente ».
Dans la conjoncture actuelle, nous n’imaginons pas qui voudrait mourir pour Taïwan, y compris de mort lente ?
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(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un Haut fonctionnaire. |
Bonne lecture et rendez-vous le 29 novembre 2021
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