Bienvenue dans le monde post …
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Vincent Gourvil (*)
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques
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« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » (Pascal Riché, Brutalisation. Histoire d’une notion, Le Monde, 5 juin 2025, p. 27.). Cette citation d’Antonio Gramsci est bien connue des experts des relations internationales. Elle l’est moins d’une majorité de dirigeants politiques adeptes de la diplomatie au doigt mouillé.
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Une chose est certaine, la page du XXe siècle est définitivement tournée alors que celle du XXIe s’écrit péniblement. Dans ce monde aussi chaotique qu’imprévisible, les paradigmes d’hier s’effacent chaque jour un peu plus au grand dam des pseudo-prophètes d’aujourd’hui. Et ils peinent à imaginer les principes cardinaux qui sous-tendent le monde actuel et qui gouverneront le monde de demain. Pourtant, les signaux faibles passés se sont transformés en signaux forts présents. La rupture avec les dogmes anciens est largement consommée. La réalité a repris ses droits. « Nous sommes bien face à un nouveau monde » (Fareed Zakaria). Quelles sont les principales caractéristiques de ce monde d’après, de cet étrange monde du post ? Nous en dénombrons principalement huit.
Un monde post-bisounours
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Seul compte la réalité d’un monde en proie à de multiples spasmes que les médecins Diafoirus qui les diagnostiquent ne parviennent pas à guérir durablement. Hier, dans la lignée du prophète américain, Francis Fukuyama, les bons samaritains du monde des bisounours nous annoncent fièrement la fin de l’Histoire, de la géographie, des États, des Nations (« Le nationalisme, c’est la guerre » proclame bravache François Mitterrand en 1995 devant le Parlement européen à Strasbourg), de l’indépendance, de la souveraineté, du patriotisme, des frontières, des murs, du protectionnisme … Horresco referens ! Trois décennies plus tard, c’est à n’y rien comprendre. Les concepts honnis sont de retour par miracle. Le monde du XXI siècle est celui des retours de l’Histoire, de la géographie, des États, des Nations, de l’indépendance, de la souveraineté, du patriotisme, des frontières, des murs, du protectionnisme … Au vu de l’expérience vécue, tous ces concepts issus du siècle dernier sont promptement réhabilités par les peuples avec le bon sens qui le caractérise, loin des théories fumeuses ambiantes.
Un monde post-démocratique
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Seul compte désormais le bon vouloir des peuples attachés, plus que jamais, à leur souveraineté pleine et entière. Peu leur chaut les accents lyriques des grandes théories sur la démocratie, l’état de droit, les valeurs … dans un monde frappé au sceau de la brutalisation[1], de l’instabilité et de l’insécurité. « Les Européens ne peuvent plus se bercer d’illusions sur la permanence des valeurs démocratiques qui ont défini l’après-seconde guerre mondiale [en Occident] » (Anne Chemin (propos recueillis par), Philip Gordon : « En frappant l’Iran, Nétanyahou a mis Trump au pied du mur », Le Monde, 15-16 juin 2025, p. 27.) Les résultats des dernières élections en Europe en sont la preuve vivante. Les citoyens semblent privilégier l’ordre, la sécurité par l’autorité au désordre, à l’insécurité par le droit. Et cette tendance, longtemps minimisée par les ayatollahs de la pensée unique, risque de se confirmer dans le futur (Franck Johannès (propos recueillis par), Patrice Spinosi : « Même les démocraties les mieux installées peuvent être dévitalisées par un leader populiste », Le Monde, 20 mai 2025, p. 27). Comme le reconnaissent certains, il ne faut pas confondre l’état du droit (la mise en œuvre au quotidien de la norme au plus près des réalités du terrain) et l’État du droit (les grands principes immuables) (Nicolas Truong (propos recueillis par), Laurent Fabius : « L’état du droit ne vaut que dans le respect de l’État de droit », Le Monde, 24 mai 2025, p. 25). Le moins que l’on puisse dire est que les mentalités ont rapidement évolué sur l’intangibilité d’un droit ressenti comme protecteur des délinquants et peu soucieux des honnêtes gens.
Un monde post-géopolitique
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Seule compte désormais l’idéologie qui se substitue à la bonne vieille géopolitique d’antan. « Dans le tumulte des débats géopolitiques contemporains, une tendance regrettable prend de l’ampleur : celle de vouloir à tout prix assimiler des conflits distincts, aux dynamiques et aux enjeux foncièrement différents, pour servir des agendas idéologiques préexistants. Cette approche, particulièrement flagrante lorsque l’on tente de mettre sur le même pied les frappes israéliennes sur les sites nucléaires iraniens et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, non seulement obscurcit la compréhension des réalités, mais dessert également toute tentative d’analyse constructive »( David Saforcada, Quand la géopolitique cède à la géopolitique, www.lediplomate.media/2025/06/quand-geopolitique-cede-ideologie/david-saforcada/france/ , 16 juin 2025.) Cela est bien dit et traduit malheureusement une tendance lourde de notre époque. Elle atteint même les chercheurs prétendument indépendants dont la seule boussole stratégique devrait être la réalité des faits replacés dans un contexte spatio-temporel à l’abri des présupposés, des biais idéologiques. Ne parlons pas des politiques qui devraient se méfier comme de la peste de leurs émotions, de la tentation médiatique et autres médiocres préoccupations électoralistes ! Le décryptage de la scène mondiale mérite mieux que ces calculs mesquins.
Un monde post-libre-échangiste
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Seul compte désormais le bon vieux protectionnisme hormis pour les idiots utiles de l’Union européenne (la très puissante Commission européenne) qui persistent à chevauchent des chimères. Donald Trump donne le coup de sifflet du monde des portes ouvertes à tous les vents qui conduisent à la désindustrialisation, à la perte d’indépendance, d’autonomie de souveraineté économique. Finie la rengaine des gens heureux, des bienfaitrices chaînes de valeur qui nous enchaînent au lieu de nous libérer ! La crise du Covid 19 dessille les yeux des plus optimistes et fervents avocats du libre échangiste à tout crin qui démontraient, encore il y a peu, les nombreux bienfaits de la « mondialisation heureuse ». Elle met en évidence la sommes des impuissances de tous ceux qui se sont laissés berner par les sirènes d’un libre-échangisme débridé, sans contrepoids. À cet égard, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) basée à Genève, siège de feu la SDN, se montre impuissante à stigmatiser les fauteurs de trouble du commerce mondial à l’instar de la Chine. Quelle confiance peut-on désormais lui accorder ? La réponse est dans la question.
Un monde post-impérial
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Seul compte désormais le monde des États souverains à l’époque de la troisième décennie du XXIe siècle. Nous assistons à la chute inexorable des empires. « Tout empire périra » écrivait, il y a bien longtemps déjà, l’historien Jean-Baptiste Duroselle (Jean-Baptiste Duroselle, Tout empire périra : théorie des relations internationales, Armand Colin, 1981). Aujourd’hui, la règle est vérifiée. L’Amérique n’est plus aussi conquérante qu’elle ne l’a été dans le passé. Donald Trump refuse les aventures militaires extérieures dont on connait les résultats catastrophiques (Irak, Afghanistan). La Russie, elle aussi, n’est plus l’empire soviétique. Elle a pour objectif essentiel de protéger son étranger proche d’éventuelles menées extérieures comme celle de l’OTAN (Cf. la guerre qu’elle conduit difficilement en Ukraine). En dépit de sa puissance indéniable et des « nouvelles routes de la soie », la Chine n’est pas à l’abri d’une embardée à la faveur d’une crise économique, financière, sanitaire, politique imprévisible par nature. Après ses revers au Liban, en Syrie, en Irak, à Gaza et, plus récemment, dans le conflit avec Israël, l’empire des Mollahs chancelle, vacille. En même temps, le monde du multilatéralisme arrogant cède la place à celui d’un minilatéralisme larmoyant.
Un monde post-multilatéraliste
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Seul compte désormais le « pluri-alignement » pour reprendre la formule du premier ministre indien, Narendra Modi, voire les coalitions de volontaires. Faute d’un minimum de confiance entre les grandes puissances, le système multilatéral – onusien en particulier – est frappé d’obsolescence, d’inertie. Il se montre incapable de prévenir et, encore moins, de contribuer au règlement pacifique des conflits qui se multiplient aux quatre coins du monde. En dépit de son « état de mort cérébrale » (formule d’Emmanuel Macron sur l’OTAN), il multiplie les conférences inutiles sur tous les sujets dans l’air du temps comme celle sur les Océans à Nice dont il ne sort rien de concret, de tangible pour résoudre les problèmes posés. Les divisions au sein du fameux « machin » sont désormais exposées au grand jour. L’important est d’éviter les ruptures trop visibles entre le Sud Global et le Nord Global par des artifices de procédure qui ne trompent plus personne. Un sommet réussi est celui qui se conclut sans psychodrame et sans affrontement majeur. En définitive, le système multilatéral imaginé en 1945 ne joue plus son rôle d’amortisseur des chocs des plaques tectoniques.
Un monde post-occidental
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Seul compte désormais le poids respectif des divers acteurs de la scène internationale. Or, l’Occident ne dispose plus du monopole de la pensée, des valeurs, de la vision du monde au XXIe siècle. Il faut désormais compter avec le Sud Global, son poids démographique, économique intellectuel. Il refuse les Diktats d’Un Occident conquérant, pratiquant l’indignation à géométrie variable (Bruno Meyerfeld (propos recueillis par), Luiz Inacio Lula da Silva : « La division entre Nord et Sud n’a plus de sens », Le Monde, 4 juin 2025, p. 2). Il n’accepte plus l’ingérence d’antan dans les affaires intérieures. Il se veut le défenseur de la paix dans le monde, récusant les guerres. Comme le souligne justement, l’ambassadrice Sylvie Bermann : « Les grandes puissances émergentes revendiquent toutes aujourd’hui le principe de multipolarité pour défendre une diplomatie transactionnelle, refusant de se rallier à un camp » (Sylvie Bermann, L’ours et le Dragon. Russie-Chine : Histoire d’une amitié sans limites, Tallandier, 2025, p. 243). En un mot comme en cent, les États appartenant Sud Global réclament une réforme des institutions internationales pour disposer de la place qui leur revient à la grande table de l’organisation du monde (Benjamin Quénelle/Philippe Ricard, Pierre Vimont : « Poutine veut abattre l’ordre mondial tel qu’il a existé depuis 1945 » Le Monde, 8-9 mai 2025, p. 5). De ce fait, le temps d’un Occident sûr de lui et dominateur – pour reprendre la formule du général de Gaulle de 1967 à propos du peuple juif – est largement révolu.
Un monde post-Pacifique
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Seule compte désormais la puissance, la paix par la force. La paix par le droit – mantra de l’après Seconde Guerre mondiale – est remisée au magasin des antiquités. Il faut bien l’admettre. Les différents conflits en cours (Ukraine, Gaza, Iran-Israël …) en sont la parfaite illustration. Alors qu’on la croyait disparue à jamais après la fin de la Guerre froide et la chute de l’URSS, telle Zorro, la guerre est de retour. Alors que nous vivions dans le confort d’une fiction de paix perpétuelle, nous découvrons – sidérés pour les plus naïfs d’entre-nous – les méfaits de la guerre. Une guerre qui n’est plus seulement entendue au sens militaire, mais doit être également appréhendée dans son acception commerciale, financière, culturelle, religieuse, civilisationnelle … Une guerre totale qui pourrait voir le recours à l’arme nucléaire entre l’Inde et le Pakistan, entre l’Iran et Israël … débouchant sur un chaos mondial indescriptible. La seule certitude est que l’ordre international d’hier s’effondre et que celui qui doit le remplacer reste à construire. Vaste programme ! Qui seront les véritables hommes d’État aptes à relever le défi.
Le monde de demain
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« Notre monde, demain, sera ce que nous voudrons qu’il soit. Mais il faut le vouloir durement et longtemps » (Albert Camus). Or, nous n’en sommes pas parvenus là tant le conformisme de la pensée écrase tout sur son passage. L’ordre mondial imaginé en 1945 s’effondre comme un château de cartes. Il n’ait qu’à constater le chaos mondial pour s’en persuader. Cet angélisme, pour ne pas dire cet aveuglement incompréhensible de nos élites, ignorant la voix raisonnable des peuples, se paie aujourd’hui intérêt et principal. La seule certitude, c’est que nous devons désormais agir dans l’incertitude en n’étant plus prisonnier des paradigmes obsolètes et inefficaces d’hier. Nos dirigeants, qui multiplient les « brillants » sommets du vide (G7, OTAN, Union européenne …), gagneraient à comprendre les racines du futur pour mieux s’y préparer. Faute de quoi, le monde ira de mal en pis. L’idéal serait qu’ils luttent pour concilier un passé qu’ils ne peuvent oublier avec un futur qu’ils ne peuvent éviter (Thomas Young). D’ici là, ils devront se contenter de dire bienvenue dans le monde du post.
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
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(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques. |

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