Que veut-on pour le Moyen-Orient ?
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Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF
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Le mois de juin 2025 restera dans l’histoire récente comme l’étape-clé d’une guerre ouverte – mais limitée – entre Israël et Iran, avec une intervention majeure des Etats-Unis, dans la nuit du 21 au 22 juin, après des décennies d’affrontements plus ou moins larvés, essentiellement sur le champ de la guerre de l’ombre et par proxys. Sans occulter, évidemment, une diplomatie pavée de chausses-trappes et de faux-semblants.
Dès lors que l’on peut considérer cette guerre comme finalement inévitable, une pseudo diplomatie, européenne, qui cherche à se convaincre de son poids international, répète qu’elle va intervenir pour négocier…
Négocier QUOI ?
L’acceptation du régime chiite à renoncer à la politique d’enrichissement d’uranium et à son aspiration à obtenir ainsi du plutonium pour disposer d’ogives nucléaires ?
Négocier pour obtenir la « promesse » des Mollah qu’ils se limiteraient, à l’avenir, à un pôle nucléaire dédié au domaine civil, strictement encadré par la communauté internationale ?
Négocier la démocratisation d’un régime qui, actuellement, serait soutenu par moins de 20 % des Iraniens, et qui ne cesse de réaffirmer, chaque année, sa volonté de faire disparaitre Israël et sa population de la surface de la Terre ?
Négocier pour que le régime fasse amende honorable du cadre policier et répressif qu’il impose au peuple iranien depuis 1979, et des multiples attentats qu’il a perpétrés ?
Si cela pouvait être vrai…
Les pétromonarchies sunnites du Moyen-Orient ne blâment pas, en tout cas, la fragilisation majeure du régime chiite iranien. Elles s’impatientent sans doute de le voir succomber sous les coups répétés que lui portent Israël et les Etats-Unis depuis ces dernières années, et davantage depuis les dernières semaines : assassinats ciblés de scientifiques et responsables des programmes de nucléarisation, de responsables hiérarchiques des structures paramilitaires des pasdarans, frappes missilières et destruction des pôles de direction des services de répression et de police politique, etc.
Incontestablement, la résistance intérieure iranienne est à l’œuvre en corrélation avec les équipes des spéciaux israéliens (et américains). A cela s’ajoutent les défections ciblées de membres du système politico-religieux iranien « retournés ». Un travail de longue haleine, à la fois minutieux et hautement périlleux, car les services iraniens n’ont jamais usurpé leur réputation pour contrer de telles opérations.
ET APRÈS ?
Dans l’immédiat, rien. Ou juste la confirmation que le régime des Mollahs est sensiblement amoindri.
Si les Israéliens et les Américains veulent aller jusqu’au bout de la logique géostratégique, et tiennent à ce que le régime s’effondre stricto sensu, gageons qu’ils aient préparé, en concertation étroite, avec l’opposition iranienne en exil, un dispositif crédible et recevable par la population iranienn pour faire valoir un processus politique de transition en vue d’organiser de nouvelles élections…sur fond de modification tangible de la Constitution et de déradicalisation de l’appareil d’Etat… Vaste programme. Et rien, pour l’instant, ne semble laisser à penser que tout est en place pour une réelle alternance.
La transformation du pays, si tant elle qu’elle intervienne dans l’année à venir, se fera sans doute dans un certain chaos, qui peut être relativement endigué à condition qu’un travail majeur de concertation avec toutes les grandes communautés constitutives du pays soit déjà entrepris…Car, à l’évidence, elles aspireront à reprendre leur avenir en mains et à participer activement à la prochaine vie politique de l’Iran.
Un challenge qui mérite d’être relevé. À condition, répétons-le, d’être bien anticipé.
Mais sur cette perspective, les avis dubitatifs voire très critiques ne manquent pas d’établir des parallèles avec l’Irak de Saddam Hussein, la Libye de Mouammar Kadhafi, qui, une fois déchus, donnèrent lieu à des crise sécuritaires et institutionnelles majeures…Crise qui, en Libye surtout, ne sont pas vraiment résolues.
Et surtout, on voit combien les avis et opinions se sont élevés pour condamner l’affrontement direct, prédisant le pire, en matière de flux commerciaux et pétroliers – sans oublier la hausse du prix du baril – préférant le statu quo, au prétexte qu’à défaut d’être la panacée, il s’agirait d’un moindre mal, pourvu que les rouages capitalistes restent intacts et hautement lucratifs.
À court terme, cela semble la voie retenue puisque les Etats-Unis auraient imposé un cessez-le-feu à Israël comme à l’Iran.
Espérons que le peuple iranien ne soit pas, une fois de plus, abandonné à son triste sort alors qu’il n’aspire qu’à recouvrer la liberté.
Que veut-on finalement pour le Moyen-Orient ? La fin d’une ère des faux-semblants, des jeux de dupes et de diplomatie d’affaires mesquins, avec le spectre constant de discorde majeure ? Ou veut-on écrire une nouvelle page d’histoire, où l’on verrait la fin de l’Iran des Mollahs comme un évènement aussi déterminant que le fut, comme l’estime Gilles Kepel, la fin de l’Union des républiques socialistes soviétiques ? (cf Le Figaro magazine, interview de Gilles Kepel par Alexandre Devecchio : « L’effondrement du régime des mollahs serait un évènement comparable à la chute de l’URSS »)
En tout cas, il faut bien admettre que cela nécessitera une phase de transitions et d’adaptations qui laisse la place au champ de tous les possibles, pas nécessairement des plus sombres. À condition d’en accepter un certain prix, de relever le défi et de ne pas être paralysé par la peur en prédisant le pire.
Dans l’immédiat, l’Iran subit une guerre silencieuse mais terriblement efficace : la guerre financière, avec le siphonage de cryptomonnaies, que le régime utiliserait pour détourner les embargos et sanctions financières. Plusieurs plateformes iraniennes ont ainsi été piratées ; telle Nobitex qui représenterait près de 60 % du marché des cryptomonnaies iraniennes. Certaines sources font état de la disparition de 82 millions de dollars de cryptomonnaies ne serait-ce que sur ce seul site. Le système bancaire iranien est également visé, en l’occurrence la banque Sepah. L’asphyxie économique et financière du régime, elle, ne connaît pas de répit.
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Pour notre 260ème numéro, nous avons fait le choix d’insister sur la situation qui prévaut don au Moyen-Orient. La stratégie d’Israël vis-à-vis des menaces environnantes n’a pas échappé à Renaud Girard : « Les risques de la guerre préventive d’Israël » (rubrique HUMEURS).
Laure Fanjeau, en complément de notre thématique majeure, revient sur le régime des Mollah, en vigueur en Iran depuis 1979 : « Les Mollahs au Moyen-Orient depuis 1979. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs actions et répercussions de ces dernières … » (rubrique LU, VU ET ENTENDU POUR VOUS).
Pour autant, les thématiques autres ne sont pas occultées. Ainsi, Héloïse Herbreteau nous propose la synthèse d’une conférence qui s’est tenue récemment, mettant en lumière la place centrale des femmes au cœur des questions environnementales et climatiques, tant comme victimes qu’actrices déterminantes pour faire évoluer les mentalités : « Genre et Climat : Inégalités de genre et transition écologique » (rubrique GEOPOLITIQUE). Nous vous proposerons d’ailleurs, de temps à autre, des comptes-rendus de conférences.
En Amérique centrale, la place des mafias est cruellement prégnante dans le quotidien des populations. C’est particulièrement criant au Salvador. L’Etat, dans l’absolu, y est dépassé par la criminalité organisée, même si les réseaux mafieux sont, aujourd’hui, violemment réprimés. Nathan Vauthier signe ainsi une étude sur le sujet : « Salvador : face aux mafias » (rubrique SECURITE)
Vous trouverez également, dans ce numéro d’Espritsurcouf, la nouvelle REVUE D’ACTUALITE d’André Dulou dont une part est accordée au conflit israélo-iranien avec une réflexion en guise d’accroche : « Comment être Persan ». Vous y trouverez également des éléments de référence à la dimension économique de l’OTAN, à travers le marché de l’armement, et à la problématique la question éminemment stratégique du réarmement européen.
Enfin, dans le domaine de l’édition, nous mettons en avant une étude majeure que Max Schiavon et François de Lannoy ont dirigé pour livrer, une première en France, une somme d’informations portant sur tous les généraux français qui ont joué un rôle particulier entre 1939 et 1945. Pour cela, près d’une trentaine d’historiens ont fouillé divers fonds d’archives afin de constituer cette riche étude qui servira assurément à bien d’autres chercheurs à l’avenir : Max Schiavon et François de Lannoy (dir.), Dictionnaire des généraux français de la Seconde Guerre mondiale. Ed. Pierre de Taillac, 2025, 1 200 pages. (rubrique LIVRES).
Bonne lecture !
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(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF. Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF. |
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