Chute d’un Président, déclin d’un Empire ?

Vincent Gourvil (*)
pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques

 

La décrédibilisation du président américain Joe Biden, superposée à la crise systémique que connaissent les Etats-Unis, suscitent une analyse critique de l’auteur, alors que se profilent les prochaines élections américaines, en décembre 2024. Les opinions exprimées ici n’engagent que lui.

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« Tout ce qui se passe n’est que symbole » nous rappelle fort à propos Johann Wolfgang von Goethe. Son jugement prend toute sa signification en cette période de grande fragmentation du monde. Le symbole de la chute – plus exactement des chutes régulières – du 46ème président des États-Unis ne signifie-il pas indirectement celui du début, voire de la poursuite du déclin de l’empire américain ? Même si une hirondelle ne fait pas le printemps, l’on peut raisonnablement se poser la question. De faux-pas en pas de clerc, les maladresses involontaires de Joe Biden ne constituent-elles pas le miroir d’une Amérique moins suivie, moins influente sur l’échiquier international et fracturée sur le plan intérieur ? Cette hypothèse d’école mérite d’être explorée à la lumière des leçons de l’Histoire. Un président diminué, comme l’est aujourd’hui Joe Biden, ne contribue-t-il pas, volontairement ou involontairement, à accréditer la thèse d’un empire américain affaibli ?

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UN PRÉSIDENT DIMINUÉ

« L’important n’est pas de guérir, mais de vivre avec ses maux » nous enseigne Albert Camus. L’impétueux Donal Trump nous avait mis en garde contre « Sleepy Joe » (Joe l’endormi) son concurrent à la dernière élection présidentielle américaine de 2020. Mais, la bien-pensance germanopratine n’y accorda pas la moindre importance même si Washington bruissait de rumeurs sur la « fatigue » du candidat démocrate. Mais les faits sont têtus. Au fil des semaines, des mois, le nouvel élu, au regard absent, multipliait les gaffes, les bourdes, les incohérences, les impairs, les chutes tant aux États-Unis qu’à l’étranger. À tel point que chaque sortie de Joe Biden devait être étroitement encadrée par sa garde rapprochée pour éviter qu’il ne chute (physiquement) ou qu’il ne fasse une bourde (oralement). Lors de ses entretiens avec ses homologues étrangers, il se borne à lire des notes préparées par ses conseillers. Indéniablement, Joe Biden président de la première puissance au monde s’apparente plus à un zombie, à un ectoplasme qu’à un dirigeant en pleine possession de tous ses moyens pour affronter les temps mauvais que traverse le monde du XXIe siècle (guerre en Ukraine, au Proche-Orient …) comme cela devrait être le cas dans un monde idéal. La Maison Blanche tente de nous rassurer en nous indiquant que Joe Biden souffre d’une apnée qui serait sous contrôle. Mais, rien n’y fait. Mais sous la pression de Barack Obama, il est contraint de renoncer à briguer un nouveau mandat.

Le chef de file du Nord est souvent à l’Ouest d’autant plus que le pays est fortement fracturé et affaibli économiquement, financièrement, socialement, culturellement. Cette situation n’est pas sans conséquence sur l’image de l’Amérique auprès du « Rest of the World ». Hier, objet de toutes les envies, de toutes les convoitises, aujourd’hui, sujet de toutes les critiques, de toutes les moqueries surtout des pays du « Sud Global ». Inutile de se bercer d’illusions, l’Amérique n’est plus et ne sera plus ce qu’elle fut pendant plus d’un demi-siècle. La fuite en avant n’est jamais la solution idoine pour soigner le mal. L’actualité internationale vient nous le rappeler régulièrement. Comme nous le souligne Bossuet : « Le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet ». Les vieilles recettes sont inappropriées. La relation entre situation intérieure (dégradée) et extérieure (fluctuante) est évidente. L’Amérique ne vit-elle pas la fin de ses illusions ? Elle semble inapte à agir dans le temps court, tout en étant à même de penser dans le temps long.

UN EMPIRE AFFAIBLI

« Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore » (Jules Romain). Ce qui vaut pour l’homme vaut aussi pour les empires. De moins en moins, les États-Unis apparaissent comme « la Nation indispensable » qu’elle fut dans le passé dans que cela ne fasse débat. Hier, médiateurs dans les principaux conflits qui secouaient la planète, aujourd’hui, marginalisés par d’autres comme le Qatar dans le conflit entre Israël et la Palestine. Si ce n’est ridiculisés comme lors de l’évacuation chaotique de Kaboul en août 2021 après deux décennies de présence dans « le cimetière des empires ». La Chine déroule patiemment ses « nouvelles routes de la soie ». Elle contribue au rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran. La Russie tire son épingle du jeu en Ukraine. Le bouillonnant prince saoudien Mohammed Ben Salman (MBS) s’émancipe lentement mais sûrement de la tutelle pesante de Washington depuis le Pacte du Quincy (14 février 1945) en diversifiant ses partenaires. Ce qui aurait été inimaginable, il y a peu encore. Le rêve américain ne fait plus rêver. Il aurait tendance à donner des cauchemars. Comment pourrait-il en être autrement dans un monde aussi incertain qu’imprévisible ? Aujourd’hui, le Sud prend ses distances. Il marque sa différence. Il s’émancipe en vertu des grands principes.

En un comme en cent, les États-Unis n’ont ni cap, ni boussole et encore moins de grand dessein pour imaginer l’organisation du monde de demain. L’Amérique navigue à vue au gré des circonstances. Il n’est plus question d’exporter la démocratie aux quatre coins de la planète. Le grand prescripteur de normes et d’injonctions morales n’est pas ou peu suivi. Washington semble peu ou pas préparé à s’adapter à la rupture de l’ordre mondial. Une internationale des « infréquentables » (Chine, Russie, Iran, Turquie, Corée du Nord …) saisit l’occasion pour avancer ses pions au détriment d’un empire américain moins sûr de lui et moins dominateur qu’il ne l’a été depuis 1945 et, également, après 1990 avec l’effondrement de l’empire soviétique. Dans ce tableau sombre, il ne reste aujourd’hui que les Européens pour jouer leur rôle préféré, celui « d’idiots utiles » de l’Oncle Sam à travers l’OTAN. Mais, jusqu’à quand ? Face à un avenir menaçant, le rêve américain n’est plus dirigé vers le futur, mais vers un passé idéalisé. Mais c’est là une vision irénique. Combien de temps l’illusion – celle dont Honoré de Balzac disait qu’elle « est un foi démesurée » – pourra-t-elle encore durer ?

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« Tout empire périra ». La formule de l’historien Jean-Baptiste Duroselle est connue des experts en relations internationales. La suite l’est moins mas mérite de s’y arrêter. « Et c’est justice. Car l’empire fruit de la volonté de puissance et de conquête, porte en lui le gouvernement par la force, la contrainte des peuples, la soumission, voire la terreur. Des constructions nées de la démesure, la destinée annoncée est la démesure ». Tel est le dilemme auquel est confrontée une Amérique qui est rarement saisie par le doute salutaire.  Madeleine Albright résumait parfaitement la problématique lorsqu’elle déclarait : « Si nous devons utiliser la force, c’est parce que nous sommes l’Amérique ; nous sommes la nation indispensable. Nous sommes debout et nous voyons plus loin … ». Tout est dit en quelques mots ! Or, cette vision du monde n’est plus d’actualité. Elle est dépassée par l’évolution d’un monde que l’Amérique peine à comprendre surtout avec, à sa tête, un président diminué à la tête d’un empire affaibli.


(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques.