« France arrogante, France déclinante »

Vincent Gourvil (*)
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques

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La situation est manifestement des plus négatives, même si les médias télévisés n’en font guère état. Seuls quelques journalistes à l’international et des diplomates, dont le présent auteur, de par leurs contacts transfrontaliers, dressent un constat désolant.

« La France qui tombe ». Ce constat posé par Nicolas Baverez en 2013 demeure d’une actualité criante. L’épisode de la non-reconduction dans ses fonctions antérieures du commissaire français, Thierry Breton par Ursula von der Leyen et son remplacement par Stéphane Séjourné, agit tel une piqûre de rappel. Au sein de l’Union européenne comme ailleurs sur la scène internationale, la perte d’influence de la France est indéniable. La parole de notre pays n’est ni attendue, ni entendue et encore moins suivie en dépit des rodomontades d’Emmanuel Macron. Comment un pays, qui brille au firmament du grand échiquier international depuis 1958 jusqu’au début des années 2000, en est-il arrivé à pareil déclin ? Il s’agit du résultat du passage d’une France qui gagne au prix d’une double constance à une France qui perd en raison d’une double inconstance.

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Forte d’une situation intérieure enviable, la France dispose d’une parole crédible à l’extérieur.

À l’intérieur : une situation enviable. « Glücklich wie Gott in Frankreich » (Heureux comme Dieu en France). Cette formule résume parfaitement la situation de notre pays. Durant les quatre dernières décennies du XXe siècle, la France présente à l’Europe et au monde une situation politique stable favorisée par le système mis en place par le général de Gaulle – président soutenu par une majorité parlementaire – ainsi qu’une situation économique et sociale enviable même si, après le premier choc pétrolier de 1973, le déficit budgétaire ne cesse de croître. Nul ne peut prétendre que la France est l’homme malade de l’Europe. Elle y est présentée en exemple d’une démocratie qui possède tous les titres à faire entendre sa voix indépendante et singulière à l’extérieur. Les chefs d’État et de gouvernement étrangers se pressent à Paris.

À l’extérieur : une parole crédible. Fort de ce solide socle hexagonal, la France peut se projeter sur les scènes européenne et mondiale avec une voix qui porte. Et cela d’autant plus qu’elle observe une saine délimitation entre politique étrangère et diplomatie. La première, qui définit le cap pérenne de notre action internationale (la stratégie), relève de la compétence du président de la République. La seconde, qui trace la route du paquebot France (la tactique), est mise en œuvre par l’outil diplomatique dirigé par le ministre des Affaires étrangères. Qui plus est notre message est clair et intelligible ! Un pays indépendant, dont la relation étroite avec l’Allemagne constitue le moteur de la construction européenne ; un pays allié des États-Unis mais pas aligné pouvant dialoguer avec l’URSS et la Chine ; un pays ayant une politique arabe et un dialogue régulier avec l’Afrique. Nul besoin de communiquer pour rappeler ce qui est clair et limpide. La voix de la France est aussi audible que crédible.

Mais, si l’on n’y prend garde, les meilleures choses peuvent avoir une fin. « Quand la France n’a plus de politique, la France va à la dérive » (Thierry Breton).

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La situation intérieure problématique de la France conduit à son effacement à l’extérieur.


À l’intérieur : une situation problématique. Jamais la situation de notre pays n’a été aussi problématique. Tous les principaux clignotants sont au rouge. Démocratie malade ;pays ingouvernable fracturé en trois blocs ; président dépassé par le chaos qu’il a lui-même créé ; Parlement transformé en cirque par une partie de députés remuants ; niveau abyssal du déficit budgétaire ; mauvaise gestion de la dépense publique ; économie chancelante ; désindustrialisation irréversible ; décrépitude des services publics ; crise de l’autorité ; insécurité croissante ; criminalité galopante ; émergence d’un narco-État ; forte hausse des actes antisémites ; difficulté d’intégration d’une partie de la population étrangère ; progression inquiétante du communautarisme ; contestation de la prééminence de la loi française ; immigration incontrôlée, dévoiement du droit d’asile … Tels sont les principaux symptômes du malade France. Ce diagnostic emporte des conséquences négatives sur notre marge de manœuvre extérieure.


À l’extérieur : une parole démonétisée. Ce n’est donc pas une surprise si la diplomatie française est la risée de toutes les chancelleries. Et cela d’autant plus qu’Emmanuel Macron, qui n’a aucune politique étrangère crédible, fait de la diplomatie en se passant des conseils avisés du Quai d’Orsay. Avec la transformation de l’ENA en INSP, il met fin à la spécificité du corps diplomatique. Après sept années, le tableau est peu flatteur. Le maître des horloges se transforme en spectateur du sablier qui a pour nom monde. À Bruxelles, on parle anglais et on pense allemand, signe du déclin de la diplomatie d’influence française. L’ancien commissaire français, Thierry Breton en fait l’amer constat. Avec la réintégration du commandement intégré de l’OTAN par Nicolas Sarkozy en 2009, la France perd une part importante de ses marges de manœuvre. Au Sahel, notre pays est congédié tel un laquais. Au Liban, la France ne compte plus. Les échanges du président avec le chef du gouvernement israélien laissent rêveurs. Jupiter est un professionnel de la diplomatie de la parole primant la diplomatie de l’action. La communication, marque de notre impuissance, mange l’action. La tactique remplace la stratégie, le court terme remplace le long terme. Emmanuel Macron évolue entre injonctions contradictoires et prophéties auto-réalisatrices, se repliant sur l’international en guise d’antidote de ses déconvenues intérieures.

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« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ».
Cette citation de Nicolas Boileau résume les causes de l’effacement de la France sur la scène internationale. Si l’on y ajoute une diplomatie du en même temps, le tableau est clair. Tant que nos dirigeants n’auront pas remis de l’ordre dans la Maison France – et ce ne sera pas tâche aisée -, rien ne sera possible dans le grand bouleversement du monde. Ni la diplomatie de la communication, ni celle du gadget ne parviendront à nous faire retrouver notre place dans le concert des nations. Et encore moins nos coups de menton à jet continu, notre suffisance qui agacent nos alliés, nos adversaires. Nous sommes confrontés au réel. Il est loin d’être réjouissant sauf improbable sursaut (Cf. titre du dernier ouvrage de Nicolas Baverez). Plus la France sera arrogante dans lemonde, plus elle apparaîtra comme une France déclinante !

Vincent Gourvil (*)
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur

(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques.