Le peuple et le pouvoir
Un divorce durable
Gilbert Robinet (*)
Général de division (2S)
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Comme un feu qui se déclenche après avoir longtemps couvé, l’indignation doit jaillir au grand jour après avoir trop fermenté. Mais l’auteur ne la laisse pas exploser dans la rue avec cris et vociférations, son éducation et son sens de la responsabilité l’en empêche. Alors il prend la plume et nous livre une analyse bien construite et policée de ses désillusions et de ses désenchantements. Comme toujours dans cette rubrique, les propos n’engagent que leur auteur.
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Lorsqu’en cours de second mandat depuis près d’un an, le président de la République, a, le 17 avril dernier, supplié le peuple de lui consentir 100 jours d’apaisement pour que, d’une part, le pays retrouve une certaine sérénité et que, d’autre part, il puisse, lui, reprendre l’initiative, il a commis deux erreurs : une erreur politique et une erreur psychologique.
L’erreur politique a consisté à formuler sa demande à contretemps, hors des étapes normales du déroulement d’un mandat présidentiel, sous la forme d’un mini programme électoral qui fut pratiquement absent de sa campagne précédent sa réélection un an plus tôt. Demander une forme d’état de grâce tel que peut en bénéficier un président nouvellement élu, après un an d’exercice d’un second mandat, c’est reconnaitre implicitement que l’année écoulée a été vide de tout contenu.
Quant à l’erreur psychologique, elle est encore plus énorme. L’utilisation de l’expression « cent jours » renvoie obligatoirement à d’autres « Cent jours » qui se sont déroulés à la même période de l’année et se sont terminés par un désastre, à Waterloo, non pas un quatorze juillet date de l’échéance fixée par le président d’aujourd’hui, mais un 18 juin. Qu’il n’y ait pas eu un seul conseiller dans l’entourage du président pour attirer son attention sur cette malheureuse « coïncidence » est proprement stupéfiant.
Ecoute et respect
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Cette intervention est survenue après une longue séquence de plusieurs mois de grèves et manifestations dans le pays contre un projet de réforme des retraites peut-être pertinent, mais mal préparé et mal présenté. Le président a reconnu, lors de son allocution du 17 avril, que cette réforme, devenue loi promulguée, n’était pas acceptée par la majorité des Français mais qu’elle était nécessaire. Cela ne risque pas d’améliorer le climat général qui règne dans notre pays qui, depuis les gilets jaunes, enchaîne les crises de toutes natures et cela n’incite guère à croire que les cent jours s’écouleront dans des eaux tranquilles.
En effet, les citoyens veulent désormais être écoutés et, plus encore, respectés. Or, les essais de participation des citoyens à la vie publique tels que « le grand débat » ou les conventions citoyennes pour le climat ou pour la fin de vie se sont conclus par des illusions brisées et ont généré de grandes frustrations.
Ainsi, la déclaration présidentielle a été ressentie comme un nouvel affront qui s’ajoute aux dérives parlementaires causées régulièrement par des attitudes partisanes excessives qui interdisent de reconnaître qu’il peut y avoir du bon chez l’autre, voire même que l’on peut collaborer avec lui pour le bien commun. Trop souvent, les élus font passer l’intérêt partisan avant l’intérêt général des citoyens. Les 175 heures de débats relatifs à la réforme des retraites à l’Assemblée nationale en ont été la preuve criante en même temps que désolante. C’est ce que nos cousins du Québec appellent la « particratie », c’est-à-dire l’emprise des partis et de leurs relais sur les élus du peuple. En son temps, le général de Gaulle avait déjà dénoncé cette dérive et, sans le dire vraiment, pensait que les partis politiques, émanation de la liberté d’association, pouvaient être incompatibles avec la démocratie qui exige ouverture à l’autre, coopération et compromis entre les individus et les groupes représentants la cité.
Ethique et confiance
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Mais la raison première de l’éloignement du citoyen de la chose publique est la crise de confiance qui mine la relation du peuple avec ses élus, avec ce que l’on nomme sa représentation. Depuis de nombreuses années désormais, on observe des divergences croissantes entre représentants et représentés, entre élus et citoyens. On voit et on entend la population exprimer sa méfiance, son hostilité même, envers les membres de la classe politique, sinon envers la fonction politique et les institutions elles-mêmes qui forment pourtant l’ultime rempart de la démocratie. Les sondages d’opinion témoignent régulièrement du peu d’estime, du désabusement voire du mépris des citoyens envers les politiciens. À bien des égards, la crédibilité de ces derniers est quasi nulle.
A cela s’ajoute la colère citoyenne lorsque des manquements éthiques de membres de la classe politique sont dévoilés. Même si cette question a toujours existé, elle prend aujourd’hui une plus grande acuité. En effet, compte-tenu des contraintes qui pèsent sur les citoyens à qui l’on demande de plus en plus d’efforts, en particulier financiers, ceux-ci n’acceptent plus que les politiques bénéficient de faveurs particulières et aussi, parce que mieux éduqués et mieux informés, ils exigent de leurs représentants une moralité sans faille.
Or, les sondages indiquent que les politiciens sont souvent vus comme des gens surtout intéressés à servir leurs intérêts personnels ou ceux de gens riches et puissants qui leur seraient affidés. Ce jugement sévère perdure alors que d’indéniables progrès ont été accomplis pour éliminer la corruption, la fraude électorale, le népotisme et le favoritisme. Mais malgré cela, les « affaires » de toutes natures continuent d’alimenter la chronique. Sans entrer dans le détail de chacune d’entre elles, contentons-nous d’en faire un mini inventaire à la Prévert sur un passé récent: Balkany, Cahuzac, comptes libyens, Bygmalion, Bettencourt, Benalla, Fillon, eurodéputés du Modem, etc. La mise au jour de tels « manquements » semble même plus fréquente que par le passé. Cela est peut-être du à une couverture médiatique plus percutante. Quoi qu’il en soit, il n’est pas étonnant d’entendre beaucoup d’électeurs ou de citoyens ayant définitivement abandonné les urnes dire que les « politiciens sont tous des pourris » et que « plus ça change, plus c’est pareil ».
Mais, si l’honnêteté est fondamentale quand il s’agit d’administrer les affaires publiques, le respect des engagements pris ou de la parole donnée l’est tout autant. Dans une démocratie, les mandataires ont non seulement l’obligation de ne pas voler les contribuables qui sont aussi leurs mandants, ils ont également le devoir de leur dire la vérité, d’agir dans la transparence et de rendre compte avec sincérité de l’usage qu’ils font des pouvoirs qui leur sont délégués. Ainsi, les citoyens n’acceptent plus la langue de bois, les demi-vérités, les exagérations outrancières, les faux-fuyants, les promesses remises au lendemain ou rompues.
Maitrise et carrure
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Outre les problèmes d’éthique, la crise de la représentation s’explique également par le fait que les citoyens sont de plus en plus conscients de la perte de pouvoir et d’influence qui affecte leurs élus. L’augmentation considérable du pouvoir ou de l’influence d’instances supranationales comme l’Union européenne, la Banque centrale européenne, le Fond monétaire international, l’interdépendance des économies qui a pour conséquence qu’une guerre aux confins de l’Europe renchérit le prix des énergies et des matières premières dans le monde entier, le poids des banques qui fait que lorsque l’une d’elle s’effondre, une crise monétaire mondiale survient, sont les preuves qu’à l’échelon national, nos gouvernants n’ont plus la maîtrise des événements.
Des grands barons de l’économie de marché et des patrons de grandes organisations syndicales, institutionnelles et associatives, ont aujourd’hui la prétention de former, sous une nouvelle forme, une élite de la représentation sociale et les citoyens ont le sentiment que leurs politiciens sont impuissants à forcer ces dirigeants corporatistes à œuvrer prioritairement dans l’intérêt supérieur de la nation. Pour eux, les arbitrages que leurs représentants doivent faire sont dictés non pas par le bien commun, mais par les rapports de forces entre les grands groupes d’intérêts socioéconomiques ainsi que par les liens privilégiés que ceux-ci entretiennent avec la classe politique. Alors qu’il était président de l’Assemblée nationale, Philippe Séguin disait : « il n’est donc pas surprenant que les citoyens et les groupes utilisent de plus en plus impunément tous les moyens imaginables, sauf les procédures parlementaires, jugées inutiles, pour en arriver à leurs fins».
Enfin, il existe une difficulté indépassable qui réside dans la persistance de l’ambiguïté sur le véritable rôle de nos politiques et, en particulier, de nos parlementaires. En effet, ceux-ci sont-ils d’abord et avant tout liés à leurs électeurs par l’obligation de prendre toutes leurs décisions en conformité avec leurs désirs ou leurs opinions ou, au contraire, sont-ils libres de voter selon ce qu’ils estiment être la meilleure décision pour l’intérêt général ? Si le premier terme de l’alternative l’emporte, alors les électeurs se sentent trahis. Quant aux citoyens qui accordent une grande marge de manœuvre à leurs représentants, ils exigent d’eux qu’ils exercent un véritable leadership social et qu’ils fassent preuve d’une forte personnalité, ce qui n’est pas toujours le cas.
D’aucuns prétendent que la a Ve République est aujourd’hui à bout de souffle et qu’il faut passer à une VIe. Il est vrai que notre Constitution a subi quelques « encoches », au premier rang desquelles le quinquennat, l’acceptation de la cohabitation et la question préalable de constitutionnalité (QCP) qui l’ont sérieusement dénaturée Mais si notre République fonctionne aujourd’hui moins bien qu’hier, c’est aussi et surtout parce que ses institutions ont été conçues par le général de Gaulle pour…le général de Gaulle ou pour des hommes de sa stature. Si deux des successeurs du général ont fait un bon usage de notre loi fondamentale, monsieur Georges Pompidou au mandat écourté et monsieur François Mitterrand qui après l’avoir combattue l’a trouvée parfaitement à son goût, les autres ont manqué singulièrement de la « carrure » que celle-ci imposait à ceux qui auraient la charge de la mettre en œuvre. Ce n’est pas la Constitution qui est mauvaise, mais ceux qui prétendent en être les garants.
(*) Gilbert Robinet, Ingénieur civil des mines, Saint-Cyrien de la promotion général de Gaulle, breveté de l’Ecole Supérieure de Guerre, a mené une carrière classique de militaire, alternant les temps de commandements et les postes d’état-major, notamment auprès du Chef d’Etat-Major des Armées. Il quitte le service actif avec le grade de général de division et rejoint l’Ecole Centrale à Paris comme inspecteur des élèves de deuxième année jusqu’en 2010. Il se consacre alors au monde associatif, et est secrétaire général de l’ASAF (Association de Soutien à l’Armée Française) pendant 10 ans. Il a rejoint aujourd’hui le directoire de l’Union française des associations de combattants et victimes de guerre (UFAC). Il est l’auteur d’un ouvrage, Le prof et le général ; ou les petits secrets d’une grande école française, aux Editions Velours. |
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