Le reste
Contre l’ouest
.
Renaud Girard (*)
Journaliste
.
Lorsque Xi Jing Ping serre dans ses bras Vladimir Poutine, c’est pour l’auteur, même s’il ne veut pas employer le mot, un bras d’honneur que le chinois adresse à Joe Biden et aux occidentaux. Mais ce qui l’irrite vraiment, ce n’est pas tant que de plus en plus d’habitants de la planète approuvent ce bras d’honneur, c’est le fait qu’ils n’ont pas tout à fait tort.
Fréquents adeptes du wishful thinking, les grands médias occidentaux ont souligné à l’envie que rien d’important, ni contrat de vente d’armes, ni déclaration de soutien à la guerre en Ukraine, n’avait été signé lors de la visite que le président chinois fit à son homologue russe à Moscou, du 21 au 23 mars 2023, et que c’était donc un flop pour Vladimir Poutine.
Mais les occidentaux ne comprennent pas qu’en géopolitique le symbolique prime toujours sur le matériel. Xi Jinping n’est pas un homme qui pratique le tourisme diplomatique. Quand il se rend à Moscou et qu’il étreint un Poutine qui vient tout juste de se faire inculper pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale (CPI), c’est qu’il veut faire passer un message puissant à ses rivaux occidentaux.
C’est un message de défi. De refus d’une quelconque primauté morale que détiendrait l’Occident par rapport au reste de l’humanité. « Vos principes démocratiques et votre justice internationale à géométrie variable, vous pouvez les garder ! », semble vouloir dire aux Occidentaux le dirigeant chinois. Xi Jinping a peu apprécié les menaces à peine voilées exprimées par l’Amérique au cas où il renforcerait son alliance avec la Russie. « Je m’allie avec qui je veux, comme je veux et quand je veux », est la réponse de Pékin à Washington.
C’est une position qui est beaucoup plus répandue sur la planète qu’on ne le croit. Elle est suivie par la plupart des Etats d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Elle permet à la Chine de se présenter comme le héraut d’un monde multipolaire, par opposition au monde unipolaire conduit par les Etats-Unis d’Amérique.
Les leaders de la jeunesse urbanisée des pays qu’on qualifiait naguère du Tiers-Monde sont de plus en plus nombreux à taxer d’hypocrite le catéchisme démocratique venu d’occident. Le Sud-Africain Julius Sello Malema, né en 1981 dans un bantoustan, en est un bon exemple. Après avoir été le président de la ligue de la jeunesse de l’ANC, il a rompu avec le parti au pouvoir, pour créer son propre mouvement, Economic Freedom Fighters, qui ne cesse de grandir. Dans une vidéo qui a beaucoup tourné en Afrique, il dénonce ce qu’il estime être le deux poids, deux mesures, de la Cour internationale de La Haye. La CPI a inculpé le président russe mais ne s’est jamais intéressée aux leaders occidentaux ayant détruit deux Etats, l’Irak et la Libye, par des interventions militaires non autorisées par l’ONU.
Julius Sello Mallema, la nouvelle voix de l’Afrique du Sud. Photo EFF
Le président américain s’est réjoui de l’inculpation de Vladimir Poutine par la CPI, et a déclaré : « Nous devons rassembler les informations et avoir un procès pour crimes de guerre ». La jeunesse du reste du monde juge hypocrite cette attitude, dans la mesure où l’Amérique n’a jamais ratifié le Statut de Rome et n’est donc pas partie à la CPI (comme la Russie ou la Chine d’ailleurs). Les crimes de guerre commis à Boutcha, en Ukraine, par l’armée russe, sont avérés. Mais ceux commis à Abou Ghraïb, en Irak, ne le sont pas moins. Or aucun dirigeant de la Coalition occidentale ayant envahi l’Irak en 2003 n’a été pour le moment inquiété par la justice internationale.
Les occidentaux expliquent que leurs interventions militaires sont désintéressées, et qu’elles se font dans le cadre d’une lutte contre le mal (la dictature) et pour la promotion du bien (la démocratie). Ce mantra manichéen, qui a pu être véhiculé par les médias de masse, passe déjà moyennement auprès de la jeunesse occidentale. Mais il ne passe plus du tout auprès des jeunesses politisées africaines, latino-américaines, asiatiques.
L’Amérique prend conscience de ce phénomène. Voilà pourquoi la vice-présidente américaine, Kamala Harris, a, le 26 mars 2023, entamé une tournée en Afrique (Ghana, Tanzanie, Zambie). Washington considère que ce continent, où l’âge moyen est de vingt ans, représente l’avenir de l’humanité. Les Américains veulent y contrer la percée de la Chine et de la Russie, ces deux grandes autocraties qui ne cessent de se rapprocher depuis vingt ans.
Cependant, les jeunesses politisées du reste du monde s’intéressent moins à la pureté proclamée des intentions de l’Occident qu’au résultat final de ses interventions militaires. Elles constatent qu’il a détruit, puis abandonné, deux Etats pétroliers du tiers monde qui fonctionnaient, à savoir l’Irak et la Libye.
Le jour où un armistice entre Moscou et Kiev sera en vue, l’Occident demandera aux Russes de présenter leurs excuses pour leur agression militaire du 24 février 2022. Mais s’il veut être appuyé par le reste du monde dans cette démarche, l’Occident serait bien avisé de balayer d’abord devant sa porte. Et de présenter auparavant ses excuses pour les graves déstabilisations du Moyen-Orient et du Sahel, qu’il a provoquées par ses guerres d’Irak (2003) et de Libye (2011).
(*) Renaud GIRARD, diplômé de l’Ecole Normale Supérieure et de l’ENA, est journaliste et a couvert la quasi-totalité des conflits de la planète depuis 1984. Il est éditorialiste de politique étrangère au Figaro depuis 2013. Auteur de sept livres consacrés aux affaires internationales, il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Bayeux des correspondants de guerre pour son reportage « l’OTAN dans le piège afghan à Kandahar ». Il est également professeur de stratégie internationale à Sciences-Po. |
Laisser un commentaire