Arsenalisation de l’Espace : en avant toute !
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Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF
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Toujours davantage d’une année sur l’autre, la militarisation de l’espace, engagée dans les années 1950, ne connaît plus de limite avec le lancement continu et régulier de satellites de nouvelle génération dédiés à la navigation, la communication, la surveillance et le renseignement.
Depuis les années 1990, la militarisation se double d’une arsenalisation de l’espace qui se caractérise par la mise en orbite de satellites dotés de systèmes antisatellites. En clair, le déploiement d’armes dans l’espace extra-atmosphérique s’accélère dangereusement.
Les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie, mais aussi des pays européens, dont la France, se dotent en effet de moyens spatiaux conséquents, de plus en plus performants pour protéger leurs propres aires souveraines en anticipant le pire vis-à-vis d’adversaires réels ou supposés.
Ainsi, ce processus international montre combien la perception de l’utilisation du domaine spatial à des fins militaires semble désormais inaltérable.
À ce cela s’ajoute une course en faveur de l’exploration spatiale, avec des positionnements stratégiques sur la Lune, précurseurs d’une projection vers Mars et au-delà ; le tout motivé par la soif de minerais à très haute valeur ajoutée, et la quête de planètes habitables, en considérant que la Terre est arrivée à saturation et qu’elle est, à terme, condamnée.
Certes, l’exploration spatiale est reconnue par l’ONU et a même fait l’objet d’un Traité sur l’espace atmosphérique en 1967. Il y est notamment notifié que « l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique doivent se faire pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays et seront l’apanage de l’humanité tout entière » ; que « l’espace extra-atmosphérique ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation ni par aucun autre moyen ». Et, surtout, on y précise que « les États ne doivent pas mettre d’objet porteur d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive sur orbite ou sur des corps célestes, ni les placer dans l’espace extra-atmosphérique de quelque autre manière que ce soit », tout en spécifiant que « la Lune et les autres corps célestes doivent être utilisés exclusivement à des fins pacifiques. »…
En 1979, les Nations Unies avaient même adopté un Accord stipulant que la Lune et ses ressources naturelles appartenaient à l’humanité tout entière (« Traité sur la Lune » adopté par l’Assemblée générale (résolution 34/68) en 1979 et est entré en vigueur le 11 juillet 1984).
Pour autant, la Lune est devenue l’objet d’une concurrence internationale, les Russes, les Chinois et les Américains aspirant, chacun de leur côté, à y conforter leur propre assise stratégique.
L’arsenalisation de l’espace confirme que la guerre des étoiles est largement effective et rappelle combien le droit international est désormais bafoué tant l’espace extra atmosphérique n’est pas scrupuleusement utilisé à des fins pacifiques, dans une logique internationale apaisée et constructive. En soit, l’Initiative de Défense Stratégique (IDS), qu’avait mis en avant le président Ronald Reagan, en 1983, avait concrètement lancé le processus de « Guerre des Étoiles », coûteux mais jamais réellement abandonné, en dépit de mise en sommeil provisoires. Il fut repris par George Bush en 1991 via le projet Global Protection Against Limited Strikes (GPALS), portant sur le pré positionnement de 1 750 intercepteurs combinant des pas de tir au sol mais aussi à terre et dans l’espace. Bill Clinton, une fois à la Maison blanche, préféra suspendre ce type de programme. Mais depuis le premier mandat de Donald Trump, la relance de cette politique est flagrante. Le président américain a également accentué la militarisation de l’espace avec la création d’une Force spatiale en 2019.
Les États-Unis ont toujours été à la pointe de l’innovation spatiale, au profit de l’exploration civile comme des projets militaires. Les Etats-Unis, dont la surpuissance spatiale est avérée, savent pouvoir compter sur la Défense Advanced Research Projects Agency (DARPA) dont le rôle dans le développement de technologies spatiales militaires est de premier ordre. C’est ainsi que la DARPA a lancé le programme « Blackjack » en 2017, destiné à constituer une constellation de satellites militaires en orbite basse, pour renforcer les moyens de communication et de surveillance. Cette constellation devrait être pleinement opérationnelle pour 2030.
La Chine comme la Russie sont sur la même posture stratégique que les Etats-Unis. Les deux pays ont développé leurs propres systèmes de navigation par satellite (Beidou pour Pékin, Glonass pour Moscou) et ne cessent, depuis 15 à 20 ans, de les renforcer, sans compter la consolidation évolutive de leurs systèmes de défense antisatellites respectifs.
En Europe, si l’arsenalisation de l’espace est moins significative ou tonitruante, la question est toutefois traitée, la France s’étant même doté, en 2019, d’un Commandement de l’Espace dédiée à sa stratégie de défense spatiale.
Aujourd’hui, militarisation et arsenalisation de l’Espace sont donc clairement des enjeux d’envergure géopolitiques et géostratégiques majeurs pour les années 2030-2050. Chaque grand acteur fait valoir son potentiel d’autonomie stratégique, avec le développement de ses propres capacités militaires de dimension spatiale, sur fond de concurrence en matière de potentiel technologique. On retiendra ainsi que les secteurs mis en avant portent sur la Surveillance et le Renseignement, mais aussi sur les armes antisatellites, et les capacités de brouillage électronique et de cyberguerre.
Compte tenu de l’accélération tous azimuts de l’arsenalisation de l’espace, il est statistiquement probable que l’extension d’un conflit dans sa dimension extra atmosphérique aura bien lieu à partir des années 2030, venant ainsi parachever la notion de guerre hybride ou pluridimensionnelle.
On pourrait ne retenir que les aspects technologiques et géostratégiques qui sont d’ailleurs au cœur de tous les discours politiques et dynamiques de communication… Cela fait fantasmer les décideurs, les militaires et les ingénieurs… Mais n’oublions pas que ce sont bien des vecteurs de mort qui pèsent très lourdement sur le devenir à moyen terme des sociétés humaines. Sans parler de la pollution extra-atmosphérique : de plus de 7 500 satellites actuellement, nous devrions passés à plus de 100 000 satellites vers 2050, à l’échelle mondiale.
Ce 261ème numéro – le seul à paraître en juillet, période estivale oblige – porte un regard conséquent sur les questions spatiales. À noter, en premier lieu, que vous pouvez consulter, sur cette thématique particulière riche, le Dossier Espace créé en 2023 et mis à jour en juin 2025 (mettre un lien), il est consultable in extenso sur demande à secretariat@espritcorsaire.fr
Laure Fanjeau, pour approfondir les questions spatiales, vous propose quelques vidéos, un flash sur la première base aérienne dédiée à l’espace ainsi qu’un focus sur la dernière édition du Salon du Bourget. Parmi les vidéos proposées, vous trouverez la tenue de la Table ronde de juin 2023, qui s’est tenue à l’Assemblée nationale, avec le général de division aérienne Philippe Adam, commandant de l’espace, et Florence Gaillard-Sborowsky, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et auteure d’un ouvrage sur la géopolitique de l’espace paru en mai 2023. À cela, s’ajoute l’interview du général Philippe Adam, « La guerre dans l’espace a-t-elle déjà commencé ? » qui revient sur la préparation de la France en matière de guerre spatiale, dont la responsabilité incombe au commandement de l’espace français (rubrique LU, VU ET ENTENDU POUR VOUS).
De coutume, on pense toujours à la politique spatiale des pays occidentaux, de la Chine et de quelques pays dits émergents, sans insister davantage sur la situation prévalant en Afrique. Sarah Caron y remédie en abordant « Les enjeux du développement spatial en Afrique » (rubrique GEOPOLITIQUE).
Vous trouverez également, dans ce numéro d’ESPRITSURCOUF, le SEMAPHORE d’André Dulou : « Plus haut qu’Icare » avec un sujet d’histoire, la deuxième bataille de la Marne de juillet 1918, l’actualité des relations entre Trump et l’Europe, sans oublier quelques points d’informations sur les questions stratégique et géopolitiques.
Sur ce même thème spatial, nous vous conseillons un ouvrage récent consacré au domaine spatial de Xavier Pasco, directeur de la dirige la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) depuis 2016, membre élu de l’Académie internationale d’astronautique, reconnu pour son expertise sur les questions spatiales civiles et militaires. Le spécialiste rappelle combien la compétition est particulièrement intense entre les grandes puissances, tout en soulignant que le secteur privé, notamment américain, s’invite dans le jeu géostratégique inhérent à un espace extra atmosphérique en voie de saturation extrême, notamment en l’orbite basse, au regard du volume de satellites, actifs ou devenus obsolètes, qui polluent cette dimension aux portes de l’outer space. Xavier Pasco, La ruée vers l’Espace. Nouveaux enjeux géopolitiques. Paris, éd. Tallandier, coll. « Géopolitique », 2024, 368 pages. (rubrique LIVRES).
Tous les articles de ce nouveau numéro ne sont toutefois pas focalisés sur le domaine spatial. Comme en témoigne le papier de Vincent Gourvil attentif aux mutations de notre monde, qui sont loin d’être toutes réjouissantes : « Bienvenue dans le monde Post » (rubrique HUMEURS).
Xavier Raufer, au regard de la situation sécuritaire globale, réprouve la situation toujours aussi désastreuse de notre pays confrontée à une insécurité d’une ampleur quasi inédite, source de bien des interrogations et stupéfactions : « Pouvoir, sécurité : des mots, bien peu d’actes ». (rubrique SECURITE).
Bonne lecture !
Rendez-vous le 22 aout pour le numéro 262, le deuxième de l’été.
Merci pour votre Fidélité.
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Nous venons d’apprendre le décès d’un de nos auteurs Monsieur Loïc Le Floch-Prigent ingénieur et chef d’entreprises. Il a dirigé des sociétés françaises, privées ou nationales, parmi les plus prestigieuse Directeur-général de Rhône-Poulenc, Président d’Elf-Aquitaine, Président de Gaz de France, Président de la SNCF. Il nous avait, en particulier, en juillet 2023 déjà tiré une sonnette d’alarme dans une tribune consacrée au « RENOUVEAU INDUSTRIEL : une urgence ». Nous présentons à sa famille et à tous ses amis nos sincères condoléances. |
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(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF. Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF. |


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