Le renouveau industriel
Une urgence

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Loïc Le Floch-Prigent (*)
Dirigeant d’entreprises
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Si le grand public connait l’auteur, c’est surtout parce que son nom a été mêlé à de retentissantes affaires judiciaires. Mais ses démêlés avec les juges n’effacent pas sa compétence. Quand il prend la direction de Rhône-Poulenc, l’entreprise accumule les déficits, il la fait redevenir bénéficiaire. A la tête d’Elf-Aquitaine, il en double en quatre ans la production pétrolière. C’est au titre de chef d’entreprise de grande expérience qu’il s’exprime ici, avec véhémence.

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Depuis plusieurs mois, notre pays a fini par admettre sa désindustrialisation, la nécessité d’y mettre fin et donc de se réindustrialiser. Il reste encore bien des groupes qui professent le recours à la décroissance, mais, malgré le bruit qu’ils font, ils semblent rester minoritaires. On imagine alors que la France peut, de nouveau, s’engager dans la voie d’une augmentation de son secteur productif.

Lorsque l’on constate des effets négatifs engendrés par une politique, les premiers réflexes des médias sont de rechercher des coupables. Cela peut avoir un intérêt historique, mais ce n’est pas essentiel. Il vaut mieux passer du temps à examiner les causes de l’affaissement de notre industrie pour mieux définir les remèdes, et surtout les mettre en œuvre.

L’énergie
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Le premier élément à prendre en compte est la nécessité de disposer d’une énergie abondante, bon marché et souveraine. Pas une civilisation n’a échappé à ce principe. Celles qui l’ont négligé ont toutes  fini par disparaitre ou, du moins, par décliner. La France a souvent pris le bon virage en ce qui concerne l’énergie, et c’est une des grandes explications de son essor dans ce que l’on a appelé les « trente glorieuses », qui ont permis son positionnement en Europe et dans le monde.

Son effacement s’explique en grande partie par l’abandon de cette politique. Des gouvernements récents ont, en priorité, voulu obtenir un tassement des consommations par la régression de l’offre ! Hélas, les résultats sont là : un endettement colossal, une balance commerciale catastrophique et un déficit budgétaire persistant. Revenir à un effort prioritaire national afin de doter pour les cinquante ans à venir notre pays d’un outil énergétique abondant et pilotable est un impératif ! C’est le programme nucléaire qui va le permettre, aidé de l’hydraulique et des énergies alternatives stockables en priorité. Les énergies intermittentes comme le solaire, ou intermittentes et aléatoires comme l’éolien, ne permettront pas de traiter notre problème à l’échelon national.

Les premiers parcs éoliens en mer sortent de l’eau au large de la Bretagne et de la Normandie. Pour une consommation purement locale ? Photo DR

L’argent
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Après les annonces, il reste le plus difficile : « faire ». La mise en place de ces grandes infrastructures demande mobilisation de compétences et d’argent, ce qui, après deux ans de modifications de trajectoire,  parait un chantier encore en préparation. Les combattants paraissent prêts, mais il manque encore la mobilisation effective. Après les paroles, les actes !

Le deuxième élément de recomposition du paysage industriel est celui des fonds propres pour les entreprises, c’est-à-dire la mise à disposition de l’argent des investisseurs potentiels français vers le secteur industriel. Notre pays a trop eu recours uniquement  à l’emprunt pour son secteur productif. Il faut des investisseurs, et nos assurances vie sont très largement suffisantes pour soutenir notre industrie. Elles ne sont, en l’état actuel, ni mobilisées, ni mobilisables.

Pourtant notre prospérité a toujours correspondu à cet appétit des investisseurs  pour l’industrie, et non pas au recours à l’argent des étrangers qui en ont toujours  profité pour faire leur marché dans notre pays. Parler de l’ « attractivité » de notre pays et se réjouir de voir américains, chinois et autres racheter nos entreprises et se saisir de nos propriétés industrielles n’est donc pas raisonnable.

La volonté
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Mais la réindustrialisation nécessaire passe par l’étude des causes des délocalisations  qui se sont encore accélérés ces dernières années. Pourquoi les principes actifs pharmaceutiques viennent-ils presque tous d’Asie, alors qu’il y a vingt ans nous en produisions 80% en France ? Pourquoi 80% des investissements industriels financés par France Relance ont-ils bénéficié à l’industrie japonaise ou chinoise ? Sommes-nous devenus incompétents ou stupides ? Et comment revenir dans la plupart des filières sur ces pertes de technicité dans les matériels nécessaires à la production ?

La réponse n’est ni dans les discours enflammés, ni dans les annonces de déblocages de fonds qui ne font qu’augmenter notre endettement. Elle est dans la définition de politiques de filières à partir de la volonté, ou non, des industriels concernés. L’élément décisif du succès ou de l’échec d’une politique industrielle, c’est l’existence de chefs d’entreprises qui ont envie de se développer, de prendre des risques, d’innover, de conquérir des marchés, qui ont une vision de l’avenir et qui sont prêts à s’engager corps et âme pour le succès des opérations envisagées. Ce n’est pas parce que des esprits brillants extérieurs auront imaginé une évolution technique ou un marché prometteur qu’il suffirait d’un appel et d’une sélection de candidatures pour réussir. L’industrie n’a jamais fonctionné comme cela. Il faut la volonté d’une personne entourée d’une équipe compétente pour connaitre des résultats satisfaisants. Les exemples ne manquent pas.

La nocivité de l’administration
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En tous cas, avant d’aller plus loin, il convient d’essayer de maintenir les entreprises existantes qui souffrent aujourd’hui de graves problèmes de compétitivité, à cause du prix de l’énergie ou de contraintes règlementaires. Des normes et règlements originaux appuyés par une bureaucratie hostile et tatillonne sont en train de faire disparaitre sous nos yeux un tissu industriel de milliers de PMI, qui voudraient survivre avant de pouvoir envisager de croitre !  Le Covid n’a pas encore été digéré, et les PGE non remboursés fragilisent de nouveau des milliers d’entreprises industrielles qui ont du mal à investir, alors qu’elles doivent se moderniser pour répondre mieux à leurs clients.

La bureaucratie prépare encore des formulaires et des contrôles auxquels les industries n’ont plus le temps de répondre ni même de les lire. Les contraintes, souvent contradictoires, s’accumulent avec les lois, les décrets et les circulaires, les entreprises doivent faire appel à des « traducteurs » pour comprendre les exigences de multiples fonctionnaires qui les assomment de demandes. Tout se passe comme si, en affichant une nécessité de réindustrialisation, les responsables demandaient en fait de préparer des délocalisations. Ainsi en a-t-il été dans la condamnation de l’industrie automobile, sommée pour sa partie thermique de se délocaliser Ainsi en est-il des chaudières à gaz, condamnées à court terme tandis que l’on encourage les agriculteurs à accélérer leurs installations de méthanisation. Ainsi en est-il de tous les secteurs de métaux exigeant des fours, qui semblent dès à présent perdus pour le pays. Avant donc de parler de réindustrialisation, parlons de la conservation de nos appareils industriels performants, et cherchons à en accélérer le développement.

Pour enclencher un véritable renouveau industriel, il va falloir agir sur les causes des délocalisations, c’est-à-dire sur les conditions culturelles, physiques et économiques des départs des vingt dernières années. En ne voulant traiter que les effets, on donne des coups d’épée dans l’eau, même si certaines annonces peuvent paraitre prometteuses. Ce sont les industriels eux-mêmes qui vont écrire les futures pages de notre histoire industrielle. Il faut que l’Etat leur permette de le faire, en revenant sur son catalogue de normes qui ne sont ni aux standards ni européens ni aux standards mondiaux, et qui freinent leur compétitivité. Il faut aussi que l’industrie devienne une grande cause nationale, que la culture des écoles, des universités et des administrations l’acceptent et s’obligent à la bienveillance à l’égard des directions et des personnels qui sont au cœur de la prospérité du pays.     

 

(*) Loïc Le Floch-Prigent est ingénieur et chef d’entreprises. Il a dirigé des sociétés françaises, privées ou nationales, parmi les plus prestigieuses. Il  a été directeur-général de Rhône-Poulenc, président d’Elf-Aquitaine, président de Gaz de France, président de la SNCF. Son parcours est marqué par des affaires judiciaires qui ont fait grand bruit et lui ont valu quelques années de prison. De cette expérience douloureuse, il a tiré deux livres : Une incarcération ordinaire (éditions du Cherche-Midi en 2006) et Repenser la prison (éditions Michalon en 2020). Auteur de treize ouvrages publiés, il est aujourd’hui consultant dans le secteur industriel et occupe plusieurs postes dans des syndicats patronaux.
Mais il écrit régulièrement sur des sujets qu’il connait bien en tant que chef d’entreprise ainsi POUR UNE FRANCE INDUSTRIELLE parue aux Éditions ELYREL

 

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