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La guerre en focale

Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf

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Depuis que la photographie existe – Nicéphore Niépce (1765-1833) en synthétisa les procédés mis au point à la fin du XVIIIème siècle et Louis-Jacques-Mandé Daguerre (1787-1851) témoigna de leur maîtrise en 1839 – les champs de bataille, les zones de combat et les populations en souffrance, victimes directes ou expiatoires des affrontements, n’ont jamais manqué d’intéresser des hommes et des femmes en quête de vérité, portés par le désir de témoigner, de relater et faire connaître.

Car, ne l’oublions pas, contrairement aux idées reçues, les femmes ont très tôt couvert les conflits, à l’instar des Américaines Jane Cazneau (1807-1878), qui plongea dans la guerre entre les États-Unis et le Mexique en 1846, ou Martha Gellhorn (1908-1998) qui commença par couvrir la Guerre d’Espagne (1936-1939) puis le front Ouest durant Seconde Guerre mondiale, à partir du débarquement de Normandie, et diverses opérations impliquant l’armée américaine dans les années 1980.

 

Entre 1940 et 1945, près de 120 femmes furent accréditées pour remplir la mission de reporters de guerre, même si presque toutes sont restées quasiment inconnues du grand public. D’autres, à l’inverse, sont demeurées sous les feux des projecteurs plus ou moins sporadiquement, à l’instar de Margaret Bourke-White (1904-1971), qui couvrit la guerre en URSS puis le front en Afrique du nord, en Italie et en Allemagne et, plus récemment Lee Miller (1907-1977), également pour les Etats-Unis, qui fut autorisée par l’armée américaine, à accompagner des unités depuis la Normandie jusqu’en Allemagne, non sans contourner les interdits et les traditions qui voulaient qu’aucune femme ne puisse accomplir un tel travail. On ne peut d’ailleurs que vous recommander le film d’Ellen Kuras consacré à Lee Miller, après 8 ans de préparation, avec Kate Winslet pour l’incarner à l’écran avec un tel réalisme de tous les instants que l’on pourrait croire en une réincarnation momentanée.

Margaret Bourke-White, pour Life, et Lee Miller, pour Vogue, ont en commun d’avoir été les première femmes reporters à pénétrer dans des camps de concentration au moment de leur libération en avril 1945 ; la première pour le camp de Buchenwald et L. Miller pour Dachau (Martha Gellhorn y fit également un reportage). Les photos qu’elles en rapportèrent furent en partie censurées ou, en tout cas, ne furent rendues publiques qu’au compte-goutte…

Car, au-delà des mots, les photos immortalisent les situations cauchemardesques, des drames individuels ou collectifs, susceptibles de briser – momentanément, sporadiquement ou définitivement – l’indifférence ou l’ignorance d’opinions publiques non impliquées. Comme l’aurait affirmé le sénateur américain Hiram W. Johnson (1866-1945), sénateur de Californie entre en 1917 et 1945 : « la première victime d’une guerre, c’est la vérité ».

Mais cela ne se fait pas non plus sans être moralement, psychiquement atteint. Combien de reporters de guerre, war correspondants, ont en effet développé des stress post-traumatiques. Lee Miller fut sans doute brisée par ce qu’elle avait couvert entre 1940 et 1945-1946, et qui venait s’ajouter à son propre fardeau personnel.

 

 

Ainsi, depuis la guerre américano-mexicaine (1846-1848) et surtout avec la guerre de Crimée (1853-1856), les war correspondents ou reporters de guerre n’ont cessé d’augmenter en nombre et de couvrir bien des conflits. Pour cela, ils ont payé le prix fort.

Durannt la seule Seconde Guerre mondiale, ce sont près de 69 journalistes qui sont morts. On en compta 63 pour la guerre du Vietnam… En 2022, Reporters sans frontières précisait que près de 1 700 journalistes étaient morts en 20 ans à travers le monde. Et pour la Syrie, entre 2011 et 2023, ce sont près de 725 journalistes qui y perdent la vie, dont plusieurs dizaines de femmes, parmi lesquelles Marie Colvin (1956-2012), à Homs au même titre que le jeune Français Rémi Ochlik, photographe de guerre qui l’accompagnait, victimes du blast d’un tir de missile qui les aurait délibérément visés.

Ainsi, faisant fi de leur propre devenir, les reporters de guerre, portés le plus souvent par une quête de la vérité, manifestent une ardeur jusqu’auboutiste pour tenter de rapporter des affreusetés d’un monde dont la culture de la violence semble intimement liée à l’Histoire et ne cesse de traverser les générations, de tuméfier nos sociétés humaines, sur fond d’une certaine fatalité. Car, la violence, d’ailleurs, connaît depuis quelques années, un nouveau pic d’intensité.

 

Des prix ont été créés pour récompenser celles et ceux qui, au péril de leur vie, rapportent leurs récits et leurs clichés. Citons notamment le prix Albert Londres (1884-1932), créé 1933 en hommage à celui qui fut lui-même reporter de guerre. Le Prix Albert Londres récompense d’abord pour les reportages écrits, puis, à partir de 1985, les reportages filmés. Et depuis 1994, le prix Bayeux Calvados-Normandie prime, chaque année, des correspondants de guerre.

Pour sa 31ème édition (octobre 2024), les lauréats sont Mahmud Hams, photographe gazaoui de l’Agence France Presse (AFP), dans la catégorie photo, Andrew Harding, de BBC News, dans la catégorie radio, pour son reportage sur les migrants traversant la Manche, Mohammed Abu Safia et John Irvine, d’ITV News, pour la télévision, et Rami Abou Jamous, d’Orient XXI, pour la presse écrite, sachant que l’essentiel de l’attention se portait sur la Bande de Gaza.

 

La guerre au Proche-Orient…il en est notamment question dans notre nouveau numéro d’Espritsurcouf (N°243). Renaud Girard, lui-même Grand reporter international et reporter de guerre, y consacre un article en soulignant la dimension complexe de cette réalité conflictuelle, qui confronte Israël à une coalition d’acteurs aux intentions les plus funestes (rubrique GEOPOLITIQUE : « Ne pas se tromper d’adversaire au Moyen-Orient »)

Puisque nous mettons à l’honneur les correspondants de guerre, Laure Fanjeau a sélectionné vidéos et podcasts sur ce thème, à travers notamment le témoignage de Dorothée Olliéric, et deux portraits respectivement consacrés à Lee Miller et Patrick Chauvel (rubrique VIDEOS/PODCASTS).

En focus national, Xavier Raufer dresse un état des lieux glaçant quant aux délits qui écrasent nos concitoyens à travers tout le pays (rubrique SECURITE : « Pillés, menacés, apeurés : le triste quotidien des Français ‘d’en bas’ »).

Vous retrouverez par ailleurs l’AGENDA qui vous permettra d’identifier des évènements, des conférences qui pourraient retenir tout votre intérêt. André Dulou, pour sa part, établit pour vous une nouvelle REVUE D’ACTUALITE.

Une lecture, enfin, à vous conseiller ; elle porte sur le dernier ouvrage de George-Henri Soutou qu’il vient de publier aux éditions Tallandier : La grand rupture 1989-2024. De la chute du mur à la guerre d’Ukraine. Ed. Tallandier, 2024, 368 pages, 22.90 €). Remarquable spécialistes de l’histoire des relations internationales, Georges-Henri Soutou, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, dont la qualité des ouvrages n’est pas à démontrer, offre une prise de hauteur salutaire en s’inscrivant dans une approche historique de la réalité d’une Europe orientale, tourmentée à travers les questions de nationalités, qui ont ressurgi après la Seconde Guerre mondiale puis la Guerre froide. Après 1989, la démocratisation de la Russie n’a pas vraiment lieu tandis que la gestion des relations avec l’Occident, depuis la Chute du Mur, témoigne d’un amateurisme sidérant et de clivage dogmatique qui ont conduit à une nouvelle phase de chaos (rubrique LIVRES).

Bonne lecture

Pascal Le Pautremat

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseig.
né à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.

 

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