« La DST sur le front de la Guerre Froide »
Jean-François Clair, Michel Guérin, Raymond Nart
Mareuil 2022
N°203 – 16 décembre 2022
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Thème : Défense / Sécurité
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Guerre Froide,
la DST sur le front
Jean-François Clair (*)
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Oui, l’ex-DST (Direction de la Surveillance du Territoire), un des services secrets français, a décidé de communiquer. Trois anciens cadres principaux, Jean-François Clair, Michel Guérin et Raymond Nart, viennent de publier un livre. Ils y révèlent sans retenue le combat qui a été le leur et celui de leurs collaborateurs contre les actions de renseignement de l’URSS et de ses alliés du bloc de l’Est, pendant la guerre froide (1947 à 1991). Beaucoup d’ouvrages ont déjà été écrits sur tel ou tel aspect de ces actions, mais c’est la première fois que les acteurs eux-mêmes s’expriment sur l’ensemble de la période.
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Compagnon de la Libération, Roger Wybot était chef de la branche Contre – Espionnage du BCRA à Londres pendant la guerre. C’est lui qui crée la DST en novembre 1944, s’inspirant du modèle britannique, c’est à dire de son célèbre service de sécurité, le MI 5, tant pour l’organisation que pour les méthodes avec des règles très rigoureuses particulièrement efficaces
Wybot va reprendre la majorité des anciens du Contrôle Général de la Surveillance du territoire, qui existait avant la guerre avec des attributions moindres, et appeler auprès de lui quelques-uns de ses anciens subordonnés de la guerre. Ce dispositif et ces méthodes vont se révéler très efficaces, ils permettront en outre d’avoir toute la confiance des partenaires alliés de l’Ouest, sans lesquels d’ailleurs elle n’aurait pas mené une action aussi performante, et qui ont bénéficié réciproquement de ses apports
Wybot va rester le directeur jusqu’en 1959, soit pendant 14 ans, ce qui permettra de rendre pérenne le dispositif. Avec un personnel essentiellement policier, qui pour la grande majorité fera toute sa
carrière au service, la DST a acquis une expérience sans pareille. Des handicaps cependant, dont le premier était l’absence totale d’archives à sa création, celles du Contrôle Général ayant dû être détruites à l’arrivée des Allemands en 1940.
Un autre point à souligner, le service ne pourra pas se consacrer véritablement au Contre- Espionnage avant le tout début des années soixante en raison de missions prioritaires. Il s’agira d’abord du « règlement » des séquelles du conflit au niveau du renseignement allemand, séquelles d’autant plus nombreuses que les dénonciations, souvent fausses mais pas toujours, se sont multipliées. Ce sont des milliers d’interrogatoires et d’auditions qui ont été menés (opération dite « liqui »). Puis, à partir de 1954 et jusqu’en 1962, la guerre d’Algérie a mobilisé la grande majorité des ressources de la Direction. La DST sera très efficace dans la lutte contre le FLN des deux côtés de la méditerranée. Certains de ses fonctionnaires y perdront leur vie.
Le livre évoque la plupart des affaires les plus significatives, qu’il s’agisse du contrespionnage contre les soviétiques (KGB et son homologue militaire le GRU) ou des services civils et militaires des pays du bloc de l’Est (RDA, Pologne, Hongrie, Bulgarie, Tchécoslovaquie, Roumanie, plus Ex-Yougoslavie). La communauté de Renseignement de ces pays était bien naturellement dirigée et contrôlée étroitement par Moscou. Une certaine répartition du travail avait été instaurée. L’adversaire s’intéressait à toutes sortes de renseignements, militaire dont prioritairement l’OTAN et le nucléaire, mais aussi scientifique, industriel, diplomatique, politique. Un chapitre du livre est aussi consacré aux actions de désinformation.
Quel était le dispositif adverse ? Il comprenait des officiers en poste sous couverture diplomatique. Il s’agissait du « réseau légal », qui représentait en général 30% des personnels (les autres devant apporter leur collaboration en qualité de cooptés). Le dispositif comprenait également ce qu’on appelle des » réseaux illégaux », c’est-à-dire des officiers ou agents implantés sous légende et qui n’avaient aucun contact avec la représentation diplomatique.
La mission des services de sécurité occidentaux, dont la DST pour la France, était de mettre à jour ces activités et de les neutraliser (arrestation des agents manipulés, expulsion des « traitants adverses », le plus souvent bénéficiaires de l’immunité diplomatique). Comme le lecteur pourra le constater, il convenait d’abord d’identifier ces « traitants ». Sur ce point, la consultation des alliés pouvait aider (c’était fait systématiquement à chaque demande de visa). Il s’agissait ensuite de les surveiller et de mettre à jour leurs contacts avant de stopper leurs entreprises. La tâche n’était pas aisée.
Parallèlement, il fallait entretenir des contacts réguliers avec les objectifs potentiels (armées, universités, laboratoires, entreprises sensibles, etc…) pour les sensibiliser et les amener à nous signaler les cas et contacts suspects. D’autres actions étaient menées en vue de recruter des sources dans le dispositif adverse. Le livre évoque également les principaux transfuges encore appelés défecteurs (responsables ou officiers des services adverses demandant l’asile politique dans un pays occidental). C’étaient toujours des cas délicats à traiter, mais surtout des sources d’information capitales. Une des questions essentielles était de déterminer si l’adversaire n’avait pas recruté des sources dans les services français (les fameuses taupes).
Les résultats ont été concluants : nombreuses condamnations pénales, expulsions (183 officiers soviétiques sans compter ceux des pays de l’Est). Cependant il a fallu batailler à plusieurs reprises pour se faire comprendre des dirigeants politiques ou d’administrations, tel le ministère des affaires étrangères, et même des milieux que la DST avait vocation de protéger. La culture du renseignement est venue très tardivement à s’imposer en France, Et il a fallu attendre le livre blanc de 2008 pour lui reconnaitre une place à part entière au sein de la Sécurité Nationale.
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Ce n’était pas le cas pendant la guerre froide. Les fautes de sécurité au quai d’Orsay étaient nombreuses. Des cas concrets sont évoqués dans le livre. Les condamnations prononcées par les juridictions pour des affaires de trahison et d’espionnage ont rarement été sévères, et des mesures de grâce ont été parfois accordées.
La DST était souvent considérée comme un empêcheur de tourner en rond, accusée d’agir à l’encontre de la politique. Elle a même, a, à l’occasion de l’une de ses plus belle affaire (Farewell), été accusée de faire le jeu des Américains, alors qu’elle a d’abord rendu service au gouvernement de l’époque, accusé de jouer le jeu de l’autre camp, car comprenant des ministres communistes. Cette affaire a pourtant apporté des éléments concrets et certains qui ont permis à l’ensemble des alliés de mesurer la faiblesse de l’appareil militaro-industriel de l’URSS, et d’avoir une vue exacte des pillages qu’elle pratiquait à l’Ouest, permettant en particulier aux USA d’aller de l’avant en vue d’affaiblir durablement le bloc de l’Est.
Un autre point qui a posé un problème, concernait le petit nombre de politiciens, et non des moindres qui ont été approchés et certains recrutés par des services soviétiques et des pays de l’Est. La DST les a mis à jour, l’ouvrage les évoque.
Pour conclure, la fin de la guerre froide a-t-elle mis fin à l’espionnage venant de l’Est ? Certes les services des pays ex-satellites ont soit disparus, comme le MFS avec l’ex RDA soit ont été complétement transformés. Mais la Russie continue plus que jamais ses activités clandestines. Avec l’évolution de la situation internationale, la mission de contre-espionnage de la DGSI, héritière de la DST, est plus prégnante que jamais.
Le pays, et en premier lieu ses dirigeants, sont devenus plus conscients des enjeux et plus coopératifs. Le coordonnateur du Renseignement, poste crée en 2008 et situé auprès de la présidence de la République, en est une illustration concrète.
(*) Jean-François Clair, Inspecteur Général honoraire de la Police Nationale, a passé la grande majorité de sa carrière (35 ans) à la DST, où il a été à la tête de la branche antiterroriste de 1983 à 1997 avant d’en être le Directeur Adjoint. Titulaire d’un DESS de droit public, auditeur de l’IHEDN, il a enseigné à Sciences Po dans le Master de Relations Internationales et donné des cours à l’IRIS (Institut de Recherches Internationales et Stratégiques). Il est coauteur avec deux collègues, Raymond Nart et Michel Guerin, du livre « la DST sur le Front de la guerre froide », qui vient de paraitre aux éditions Mareuil |
FICHE D’IDENTITÉ DU LIVRE
Titre : « La DST sur le front de la Guerre Froide »
Auteurs :
Date de parution : 27/10/2022
Editeur : MAREUIL EDITION
Format : 14.2 x 2.2 x 21.6 cm
Pages : 300 pages
ISBN-10 : 2372542664
ISBN-13 : 978-2372542661
Prix : 21€
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