POINTIS,
CORSAIRE DU ROI LOUIS XIV

par Christian Fournier (*)
Historien

« La prise de Carthagène par Pointis en 1697 (1ère partie) »

Jean-Bernard de Saint-Jean, baron de Pointis (1645 – 1707), chef d’escadre des armées navales, maréchal de camp des armées du roi Louis XIV, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, n’est pas un corsaire ordinaire ! Le plus clair de sa brillante carrière s’est déroulé dans les escadres du roi : Solebay, 1672 ; Schooneveld et Le Texel, 1673, Tobago, 1677 ; bombardement de Tripoli, 1681 ; bombardement d’Alger, 1682-1683 ; bombardement de Gênes, 1684 ; bombardement de Tripoli et Tunis, 1685, siège de Londonderry, 1689 ; Beveziers, 1690 ; Alicante et Barcelone, 1691 ; et plus tard : Malaga, 1704 ; siège de Gibraltar et Marbella, 1705, bataille où Pointis commande une escadre de 13 vaisseaux à bord du Magnanime lequel – après un combat héroïque – doit s’échouer à la côte et être incendié, ce qui marque la fin de la carrière de Pointis qui mourra peu après.

C’est seulement en deux occasions que Pointis a été corsaire : en 1696-1697 avec l’expédition dite « de Carthagène » et en 1701-1703 lorsqu’il a été nommé commandant de l’escadre de galères et vaisseaux rassemblés à Dunkerque pour « désoler les côtes anglaises » et capturer les convois des marchands anglais et hollandais.
Mentionnons brièvement la seconde occasion, où Pointis a surtout fait fonction d’organisateur pour la flotte des galères qui s’est attaquée aux convois, avec peu de succès il faut le dire. En 1704 les Hollandais ont même tendu un piège fatal aux galères du roi, en déguisant des vaisseaux de guerre en marchands de la VOC censés revenir des Indes la coque chargée de bernacles. Le combat – décrit avec beaucoup de talent par Jean Marteilhe dans les « Mémoires d’un galérien du roi-soleil » – a marqué, avec 250 morts français, le commencement de la fin pour les galères comme instruments de guerre navale dans la marine française.

La grande affaire de Pointis en tant que corsaire a été l’expédition de Carthagène, expédition extraordinairement fructueuse, qui lui a valu la faveur du roi et qui a eu un retentissement mondial.
C’est en 1796 que Pointis expose au roi et au ministre de la Marine (Pontchartrain) son projet mûri de longue date d’une expédition aux Antilles. Nous sommes vers la fin de la guerre de la Ligue d’Augsbourg qui oppose le royaume de France à tous ses voisins ; Seule la Savoie vient de faire la paix avec Louis XIV (Traité de Turin, juin 1696), mais ce traité laisse prévoir une paix générale (qui effectivement aura lieu en septembre 1697 par le traité de Ryswick). Les escadres de Château-Renault sont en cours de désarmement, et – pour un officier actif et ambitieux comme Pointis – la Course est la seule possibilité de continuer la guerre.

L’Espagne, au même titre que les autres nations d’Europe, est alors une ennemie et ce sont ses richesses dans la mer des Caraïbes que Pointis se propose de conquérir. Il obtient l’accord du ministre et de Louis XIV, et met sur pied un financement de l’expédition en recourant à des armateurs privés, principalement malouins. Conformément aux usages de l’époque, le roi fournit les navires et les équipages ; les armateurs privés fournissent l’armement des navires, les vivres et les munitions. Toutefois les rumeurs d’une paix prochaine tarissent les sources de financement, et – malgré une garantie par le roi que les armateurs seront remboursés de leurs fonds en cas de paix prématurée – Pointis doit se contenter d’une flotte moitié moindre que prévu. Il appareille de Brest le 7 janvier 1697, déjouant le blocus d’une flotte anglaise, et complète ses approvisionnements à la pointe du Raz par transbordements d’un convoi parti de Port-Louis qui, lui aussi, avait déjoué le blocus anglais en élongeant la côte ; Pointis prend le large le 9 janvier et parvient à Saint-Domingue le 4 mars.

A Saint-Domingue (ancienne Hispaniola), île occupée dans sa partie Nord-Ouest par les Français et dans sa partie Sud-Est par les Espagnols, Pointis trouve un lieutenant du roi (Daunou) et un gouverneur de la côte (du Casse). Le poste de gouverneur de la côte, plus important que celui de lieutenant du roi, établissait l’autorité royale sur les flibustiers, mi-pirates mi-corsaires, qui depuis 1640 s’étaient établis dans l’île de la Tortue puis au Nord-Ouest de Saint-Domingue. Le gouverneur délivrait des lettres de marque et recevait 10% des parts de prises, mais son autorité ne tenait pas à sa fonction : il fallait qu’il soit lui-même flibustier parmi les flibustiers, qu’il respecte les coutumes de cette population, et qu’il les dirige par l’exemple.

Jean-Baptiste du Casse (souvent orthographié Ducasse, °1646 – +1715) – l’autre homme-clef de l’expédition de Carthagène – était un tel homme ! Il avait commencé sa carrière vers 1663 à la Compagnie des Indes occidentales où rapidement il commande des navires ; puis en 1677 il avait dirigé la Compagnie du Sénégal (commerce d’esclaves de Gorée aux Antilles) et était devenu l’un des plus riches planteurs de la Martinique. Entré en 1686 dans la marine royale comme lieutenant de vaisseau, il s’était distingué dans plusieurs combats contre les Hollandais, les Espagnols et les Anglais – au Surinam, au Cap Vert, à Saint-Christophe, à La Barbade, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Capitaine de frégate depuis 1689, il avait été nommé gouverneur de la côte de Saint-Domingue en 1691 en raison de son intrépidité et de sa parfaite connaissance de la région et de ses pirates, boucaniers et flibustiers. C’est donc à un homme bien en place que Pointis rend visite à son arrivée au Cap François (aujourd’hui Cap Haïtien). De mauvaises nouvelles l’attendent : Desauguets, avec deux gros vaisseaux et près de 1’000 hommes, a récemment appareillé pour la France sans attendre Pointis ; et du Casse se prévaut d’ordres reçus de maintenir à Saint-Domingue des effectifs suffisants pour défendre la colonie, de sorte qu’il n’offre à Pointis que 400 flibustiers au lieu des 1’600 attendus. Par ailleurs, du Casse préfèrerait de beaucoup que Pointis utilise ses forces à attaquer les Espagnols au sud-est de l’île pour que le roi de France soit entièrement maître de Saint-Domingue.
Pointis se fâche ; il réquisitionne les flibustiers et menace de brûler les navires de ceux qui se dérobent ; il offre à du Casse le commandement de l’un des navires de son escadre, mais du Casse refuse de servir directement sous ses ordres. Finalement, la raison prévaut. Du Casse embarque en tant que simple volontaire, à la tête d’un corps de 1’100 hommes : 650 flibustiers, 110 habitants de Saint-Domingue, 170 soldats des garnisons locales, et 180 ‘nègres’ (soldats noirs, esclaves affranchis). Ce corps est à bord de huit « frégates flibustières », allant de 24 à 8 canons. L’escadre royale est forte de sept gros vaisseaux (de 84 à 60 canons) augmentée de six frégates (44 à 24 canons), et huit petits bâtiments (corvette, galiote à bombes, flûtes et barques traversières). Ses effectifs sont de 110 officiers, 55 gardes-marine, 2’100 matelots et 1’750 soldats, soit un peu plus de 4’000 hommes.

Avant l’appareillage, Pointis a réfléchi très sérieusement aux objectifs de la campagne. L’objectif principal est l’une des deux flottes de galions qui appareillent tous les ans vers l’Espagne, chargées d’or et d’argent : celle de Vera Cruz, et celle de Portobello qui fait escale à Carthagène des Indes. Mais il y a une grande incertitude sur la date du départ des galions (entre mai et août) et une interception en mer est très aléatoire. Pointis considère que Vera Cruz est trop bien défendue, et par ailleurs la cargaison des galions – conservée à plusieurs dizaines de lieues de la ville – n’est embarquée qu’au dernier moment. Portobello est éliminée parce que les fonds sont tels que si Pointis attaque les galions ceux-ci peuvent être coulés à fond pendant l’engagement, sans que la cargaison puisse être récupérée avant l’arrivée d’une flotte de secours.

Aussi il ne reste comme objectif important que Carthagène, qui présente l’avantage d’être une ville riche qui fournira un butin substantiel si l’on manque la flotte des galions. Par ailleurs, Pointis dispose de plans des fortifications de Carthagène, fournis par un ingénieur anglais. Les 5’000 hommes et plus dont il dispose pour attaquer la ville ne seront pas tous disponibles, car il faudra garder des équipages à bord des vaisseaux pour repousser une éventuelle escadre espagnole ou anglaise. L’affaire de Carthagène semble toutefois faisable et le départ est fixé au 18 mars. Mais une tempête disperse l’escadre et l’appareillage n’a finalement lieu que le 30 mars. La veille seulement, Pointis a annoncé à du Casse, aux flibustiers, et à ses équipages que l’objectif est Carthagène.

Figure 1- Carthagène 2019

Carthagène est située entre une rade au Sud bien défendue par le fort de Bocachica qui protège un canal, unique entrée dans la rade [nb : la configuration de la rade en 1697 est différente de celle d’aujourd’hui], et une zone marécageuse au Nord bordée vers l’océan par une langue de terre de 20 km. Le projet initial de Pointis est de débarquer sur cette langue de terre, afin de prendre les défenses de la ville à revers ; mais il effectue avec du Casse une reconnaissance de la zone de débarquement et manque de se noyer : les récifs et les vagues de l’océan ne permettent pas le débarquement.


– Pointis se résout à attaquer le fort de Bocachica. Le 14 avril, l’escadre passe devant Carthagène qu’elle bombarde. Le 15 elle mouille dans une baie abritée à la fois de la houle et des tirs du fort ; dans la nuit, un corps de flibustiers est débarqué pour reconnaître les abords.
Tout étant tranquille autour du fort, Pointis fait débarquer un corps de 3’000 hommes. Les grenadiers et les nègres prennent dans le canal une pirogue espagnole, par laquelle l’on apprend que l’escadre des galions est attendue incessamment à Carthagène. Le gouverneur du fort refuse de capituler sans combat. Pointis avec ses troupes régulières et du Casse avec ses flibustiers attaquent le fort. Du Casse est blessé ; la garnison de 300 hommes se rend. Pointis et du Casse ont perdu 50 hommes. La flotte de Pointis et des flibustiers peut se faire touer dans le canal et, dès le 17 avril, tous les vaisseaux sont dans la rade de Carthagène.

Figure 2 – Rade de Carthagène 1697

– La seconde étape est l’attaque du fort Sainte-Croix, premier ouvrage défendant Carthagène. Pointis désigne un commandant pour les flibustiers en remplacement de du Casse, blessé. Les flibustiers refusent un commandant qu’ils ne connaissent pas.

Pointis fait saisir l’un des meneurs et ordonne son exécution, accordant sa grâce au tout dernier moment !
Les flibustiers acceptent de mauvais gré leur nouveau commandant et sont envoyés, en contournant Sainte-Croix, reconnaître un second ouvrage : N.D. de la Poupe. Cet ouvrage n’étant pas défendu, les flibustiers l’occupent sans peine. Pointis, avec ses troupes régulières, investit Sainte-Croix et l’occupe, se rendant compte que ce fort n’est pas davantage défendu. Pointis se trouve maintenant devant les remparts de Carthagène, où le gouverneur de la place a résolu de mener la véritable défense.
Nous sommes maintenant au 19 avril. Pointis fait chercher un endroit convenable d’où attaquer les remparts : ce sera au pied du fort Saint-Lazare à l’est de Carthagène, le troisième des ouvrages avancés. Pointis rassemble ses troupes régulières sous le fort Saint-Lazare et l’investit sous un feu nourri ; les Espagnols, attaqués sur trois côtés craignent d’être entourés et se retirent avec 9 tués ; il y a 6 tués du côté français.
La voie est libre désormais pour attaquer les remparts de Carthagène.

Fin de la première partie.
La seconde partie décrira l’assaut des remparts et la prise de la ville, le départ de la garnison espagnole, les péripéties accompagnant le rassemblement du butin, et enfin le retour à Brest de l’escadre de Pointis.

……………………………………………………………(*)Christian Fournier

Ingénieur [EP (X’64) et GM (’69)] , une des dernières promotions du Génie Maritime avant fusion dans le corps de l’Armement., MBA Harvard Business School ‘71).
Sa carrière professionnelle s’est déroulée principalement dans l’offshore pétrolier, dans la société EMH qui concevait des « colonnes articulées » [pour le chargement des pétroliers ou le brûlage d’urgence du gaz], lesquelles ont été utilisées principalement en Mer du Nord (champs de Beryl, Frigg, Brent, Statfjord, Maureen).
Dans les dernières années de sa carrière, Responsable de la « Diversification civile ». de la DCN qui obtient le marché de la construction à Brest (1998-2000) de deux plateformes offshore semi-submersibles : Sedco Express et Sedco Energy. 
Depuis sa retraite, il participe à des séminaires d’histoire moderne (XVI°-XVIII°s.) à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV)  où il a obtenu en 2009 un master en histoire. 

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