POUTINE :
PRIORITE AU CYBER

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Yannick Harrel (*)
Expert en Cyber stratégie

Deux discours fondamentaux du président Vladimir Poutine témoignent du positionnement de la Russie en matière de cyber stratégie. Un domaine qui, également, préoccupe vivement notre ministre des armées Florence Parly, . A  l’instar, d’ailleurs, de ce que l’on peut observer à l’échelle internationale.
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Les deux discours de Poutine, en date respectivement du 1er mars 2018 et du 20 février 2019, furent calibrés prioritairement à destination de la population russe, avec cependant des messages extérieurs à destination tant des alliés de la Russie que des Etats en friction avec elle. C’est d’ailleurs là tout l’intérêt de revenir sur ces deux tribunes, de pratiquement deux heures chacune, pour comprendre, plus qu’apprendre, ce que le Kremlin envisage pour l’avenir de son pays jusqu’à l’horizon 2024, date de fin de mandat de l’actuel président.

Chacune de ces déclarations peut être divisée en deux parties : la première d’orientation civile, la seconde d’orientation militaire. À souligner que la partie militaire pour l’édition 2019 a été passablement écourtée, se contentant de confirmer les dires de 2018.

Datamasse et intelligence artificielle
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Dans la tribune de 2018, le propos se veut assez rapidement critique : pas d’autosatisfaction malgré les progrès obtenus, suivi du rappel que des étapes sont encore à franchir et que tout succès n’est qu’éphémère. Un réalisme dans la droite ligne de la pensée poutinienne mais aussi l’occasion de rappeler qu’il faut un capitaine au gouvernail pour mener à bien les projets en cours et les objectifs à réaliser.

Sur le front des technologies numériques, le président cite deux axes de prédilection : l’intelligence artificielle et la datamasse. Plus encore, il associe ces deux axes à la production et au stockage électrique afin de tisser – même si le terme n’est pas employé – une grille intelligente (smart grid) à l’échelle nationale. La navigation aérienne, maritime et les drones sont en revanche nommés quant à l’utilité d’emploi de ces technologies du numérique. Point spécifique : la blockchain – ce protocole de certification et d’archivage des cryptomonnaies – est fournie en exemple à étudier et à employer à grande échelle.

Nous sommes ramenés plus en profondeur dans la prospective numérique avec l’évocation derechef de la datamasse, de l’intelligence artificielle, mais en sus des véhicules autonomes, du commerce électronique, de la 5G, de l’Internet des objets et de la robotique. Le président précise que la fibre optique sera d’ici 2024 supplée dans les zones difficiles d’accès par les réseaux satellites, afin d’atteindre l’objectif pour le moins ambitieux de couverture totale du territoire.

Cet exposé est à appréhender sous deux angles : l’angle interne et l’angle externe.
L’angle interne vise à rassurer le public russe, volontiers patriote mais inquiet pour son avenir proche et celui de ses enfants.

L’angle externe a pour objectif de gonfler les muscles vis à vis des États-Unis et de leur indiquer que l’équilibre des forces qui avait prévalu jusque dans les années 1980 est rétabli (partiellement à tout le moins). Il procède aussi d’une volonté de rassurer les partenaires de la Russie quant à sa capacité à les protéger (Arménie, Syrie) ou les assister (Chine, Inde).
Sur le plan du cyberespace, le propos est martelé à plusieurs reprises : le numérique – et toute sa grappe d’innovations – ne doit en aucune manière être négligé, et mieux, doit être accompagné dans tous les secteurs d’activité.

Numérique : l’avenir russe
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Le 20 février 2019, toujours devant l’Assemblée Fédérale, et cette fois assuré de sa réélection, Vladimir Poutine a tenu un discours plus apaisé sur le plan extérieur mais plus volontariste sur le plan intérieur. Ce qui est avisé au regard d’une grogne de plus en plus sensible au sein d’une population, aspirant au renouvellement du corps politique et mécontente de certaines réformes.

Sur le plan du cyber, le propos de cette édition 2019 est plus condensé mais non moins essentiel selon le président. Outre un rapide message concernant les technologies médicales avancées, il s’impatiente d’un raccordement Internet à l’ensemble des écoles et universités du pays. Amorcé en 2006, il expose qu’il faut viser 2021 quant à la généralisation du haut débit dans les établissements d’enseignement. Il glisse au passage un petit mot pour exprimer sa volonté d’échanges scientifiques avec l’étranger par ce moyen.

Il appelle à être plus audacieux dans le secteur des hautes technologies, et souligne que celles-ci sont un tremplin idéal pour des sociétés ambitieuses et talentueuses. Et de citer – sans surprise – quatre champs prioritaires : la robotique, l’Internet des objets, la datamasse et l’intelligence artificielle (un cinquième domaine, la 5G, est évoquée plus tard dans le discours). Il est recommandé aux parlementaires de faciliter et d’accélérer l’éclosion des entreprises du secteur de l’économie numérique (le terme est mentionné), non seulement par un cadre normatif incitatif mais aussi en aidant aux rapprochements entre celles-ci ainsi qu’aux levées de fonds.

Sur un plan plus factuel, le système de visas électroniques a été jugé satisfaisant et doit être reconduit.

En définitive, l’on ressent comme un appui réitéré aux propos de 2018 avec une insistance plus démonstrative sur le thème de l’économie digitale, énoncée à plusieurs reprises, assortie d’un focus appuyé sur les infrastructures. Si les axes sont identiques à ceux de 2018, quelques pistes de réflexions supplémentaires sont suggérées.

Si le cyber vient plus tard dans le discours, c’est qu’il se trouve dans la partie investissements futurs et compétitivité internationale, avec un avertissement sur les entraves législatives et administratives pouvant priver la Russie des fruits de ces innovations.

Les deux discours, appuyés par le principe de souveraineté jugé indissociable de la pérennité de la Russie, entendent maintenir un cap sur les valeurs fondamentales de la civilisation russe. Deux discours doublement bicéphales : tant civil et militaire que national et international où la place de la Russie dans le monde se joue sur de nouveaux enjeux technologiques. Elle doit y répondre présente pour ne pas avoir à revivre les affres de la décennie post-soviétique.

(*) Yannick Harrel

Expert en cyber stratégie et en géonomie.il a exercé en tant que chargé de cours pour des écoles de commerce et d’ingénierie informatique et en tant qu’intervenant pour les écoles Saint-Cyr, l’école Polytechnique et l’ENA. Il fut aussi responsable du Pôle Cyber pour le compte d’un groupe franco-allemand.

Il a étudié en Russie dans le cadre d’une convention universitaire entre Strasbourg et Veliky Novgorod, puis a travaillé à Saint Pétersbourg.

Il est le rédacteur de nombreuses analyses sur le cyberespace et les mobilités, au sein de plusieurs ouvrages collectifs et magazines spécialisés. Il est auteur en son nom propre aux éditions Nuvis de trois ouvrages: La cyber stratégie russe ; Cyber stratégies économiques et financières ; Automobiles 3.0.

Retrouvez le livre « La cyber stratégie russe » dans la rubrique LIVRES

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