AL-QAÏDA
TENTE DE RECUPERER
LE HIRAK
Tarek Hafid (*)
Journaliste
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Le 22 février 2019, à l’annonce qu’Abdelaziz Bouteflika, vieillard impotent, briguait un cinquième mandat de Président de la République, une contestation populaire sans précédent s’est spontanément levée en Algérie. Tous les vendredis, des foules immenses de manifestants ont déferlé dans les rues d’Alger et des principales villes du pays. C’est ce qu’on a appelé le Hirak, un mouvement qui a pour but de changer, sans violence, le régime politique.
Aujourd’hui, l’Algérie a beau avoir un nouveau Président, Abdelmadjid Tebboune, son système de gouvernance n’a pas changé. Réprimé par l’armée, le Hirak a perdu sa vigueur, faute de résultats convaincants, et à cause de la Pandémie du Covid 19. Mais il perdure ! Depuis février, des manifestations ont repris, notamment pour commémorer les deux ans du mouvement. L’auteur de cet article, qui habite Alger, donne l’alerte : Al- Quaïda essaie de prendre le contrôle du Hirak.
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Il faut « parachever le Hirak afin de se débarrasser du pouvoir et d’instaurer la charia ». Ce sont des termes publiés dans un document daté du 17 janvier et rendu public le même jour. Intitulé « Communiqué sur les évènements djihadistes et politiques récents en Algérie », ce document porte le logo d’Al Andalous, le média de propagande d’Al-Quaïda au Maghreb Islamique (AQMI), l’organisation terroriste d’Abou Ouadda Youcef el Annabi. Son origine a été authentifiée par le Jihadology, un centre américain d’études et de documentation sur le terrorisme, qui fait référence, réputé pour son sérieux et sa rigueur.
Il faut reconnaitre que le texte ne laisse place à aucune ambiguïté. Avec le vocabulaire et l’emphase propres à la nébuleuse crée par Ben Laden, il appelle la population d’Algérie à la reprise des manifestations (les marches pacifiques), et au soutien de ceux qui ont pris les armes contre l’issaba (gang mafieux, c’est-à-dire le pouvoir à Alger). L’affaire est donc claire : AQMI s’est lancé dans une opération de récupération politique du Hirak, comme le prouve cet extrait du document :
«Message aux personnes libres en Algérie : l’histoire a démontré que les peuples qui mènent une révolution inaboutie ont plus à perdre que ceux qui restent inactifs. […] Les revendications légitimes de la révolte (Hirak) se sont limitées à la réforme du système de gouvernance mais pas au déracinement du système. Inspirée par les démons des contre-révolutions appartenant à l’axe du mal du Golfe, avec à leur tête Mohammed Ben Zayed et Mohamed Ben Selmane, la issaba criminelle a compris que la révolte ne représentait pas un danger existentiel et ne menaçait pas ses intérêts ».
Aveux de faiblesse
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Plus loin, s’adressant à l’opinion publique, l’organisation terroriste précise avoir suspendu, dès le début du Hirak, toute activité qui aurait pu être utilisée par la issaba militaire comme prétexte contre la population.
Djalil Lounnas est professeur en relations internationales à l’université américaine Al Akhawayn à Ifrane, au Maroc. Pour ce spécialiste des groupes terroristes en Afrique du Nord et au Sahel, cet argument de la trêve engagée depuis le début du Hirak est un aveu de faiblesse. «C’est une façon de justifier leur incapacité à mener des actions sur le terrain. Nous constatons qu’AQMI est sur la défensive et n’a pas les moyens de mener des opérations armées d’envergure.»
Le professeur fait remarquer que depuis sa désignation pour remplacer Abdelmalek Droukdel, le chef d’AQMI éliminé le 3 juin dernier par l’armée française au nord du Mali, Abou Oubaïda Youcef el Annabile, le nouveau chef, fait profil bas.
Et il voit une nouvelle preuve de faiblesse de l’organisation terroriste dans un autre communiqué publié par Al Andalous, où AQMI reconnaît avoir subi des pertes dans ses rangs ces derniers mois. « Les tyrans militaires ont intensifié leurs opérations dans plusieurs régions montagneuses. Durant ces campagnes, un certain nombre de soldats du gang criminel ont été tués et quelques moudjahidines sont morts en martyrs dans les montagnes de Jijel, Tipaza et Khenchela.
Or s’il est vrai que des opérations militaires ont mis à mal les maquis d’AQMI à Jijel et Khenchela, la principale offensive de l’armée algérienne en janvier 2021 visait Messelmoune dans la wilaya (département) de Tipasa (150 kilomètres à l’ouest d’Alger). Les services de renseignements algériens y avait localisé des survivants de Djound el Khilafa, un groupe armé affilié à l’État islamique (aussi appelé Daech, une dissidence d’Al-Qaïda). Les terroristes éliminés lors de cette opération de grande envergure étaient des combattants de Daech.
«À travers cette annonce », explique Djalil Lounnas. « AQMI fait de la récupération politique et de la récupération djihadiste. C’est typique de la démarche d’Al-Qaïda, qui n’hésite pas à s’approprier les attentats commis par d’autres organisations terroristes. Elle s’en approprie aussi les martyrs. C’est un aveu de faiblesse ».
Le sceau de l’Islamisme
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Et il ajoute que l’objectif d’AQMI est d’entretenir la confusion sur la nature même du Hirak, d’y apposer une étiquette islamiste et de faire croire que la tendance djihadiste a pris les rênes du mouvement citoyen. Pour preuve, il cite un autre passage du document du 19 janvier.
«Vous êtes sortis « sur le chemin de Dieu » faire votre révolution contre l’injustice, il est nécessaire d’aller jusqu’au bout, d’envahir les palais des tyrans et d’extirper les racines de ce système de gouvernance…Il faut se révolter comme un seul homme, celui qui peut faire le djihad doit s’y atteler car c’est un devoir. Vos frères moudjahidine se sont révoltés contre le régime depuis plus d’un quart de siècle, vous devez les soutenir en étant dans leurs rangs, les autres doivent organiser des manifestations. Par la résistance pacifique et armée, nous recouvrirons nos droits ».
Cet appel au soulèvement peut-t-il trouver un écho en Algérie ? Ce n’est pas sûr, car il s’oppose aux principes pacifiques portés par le Hirak depuis sa création.
Les éléments essentiels de cet article ont paru dans le numéro 322 de Proche et Moyen Orient, il a été complété par des recherches menées par Johann Airieau d’ESPRITSURCOUF
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(*) Tarek Hafid est journaliste algérien installé à Alger. Il a fait un long passage au Soir d’Algérie, rédaction au sein de laquelle il a réalisé une série d’investigations sur des sujets politiques et économiques. Tarek suit la scène politique algérienne ainsi que la situation sécuritaire au Maghreb et au Sahel.
Le site « Proche et Moyen Orient » est répertorié dans la rubrique Revues et Lettres de la “Communauté Géopolitique, Économie, Défense et Sécurité” d’ESPRITSURCOUF.
Bonne lecture et rendez-vous le 05 AVRIL 2021
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