La communication
dans un conflit de haute inetensité

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Il y a longtemps que nous n’avons pas ouvert note rubrique débat, en voici l’occasion. Dans notre précédente publication, numéro 159, le général Verna s’interrogeait : en cas de conflit de haute intensité, l’arrière risquerait-il de craquer ? Et il proposait quelques actions à mener pour permettre à cet arrière de tenir. Il boucle ici ses réflexions en abordant un domaine sensible, celui de la communication. Mais notre secrétaire de rédaction, Jean-Pierre Ferey, n’en a pas apprécié les propos, et le fait savoir, assez vertement. Contacté avant publication, le général Verna a évidemment réagi à la critique. Nous publions donc aussi l’essentiel de ses réactions, car elles enrichissent le débat. Sans le clore, bien sûr…Ce débat peut-il avoir une fin ?
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LA MANŒUVRE DE COMMUNICATION

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Jean-Tristan Verna (*)
Général de corps d’armée (2s)

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Dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité, il est un domaine qui relève du commandement, mais qui nécessite d’être bien compris par tous : les forces morales des armées, que certains baptisent volontiers « la capacité de résilience ».

L’objectif est de maintenir les soldats en dehors du débat sur la légitimité d’un engagement interétatique et les risques humains qu’il comporterait. Outre les seuls militaires, acteurs premiers, cet objectif concerne également ce que l’on peut appeler « leur environnement affectif », c’est-à-dire leurs familles élargies, voire leurs cercles d’amitiés.

En Algérie, le putsch des généraux a échoué,
 car le contingent n’a pas suivi. Photo DR

On se souvient que c’est l’accès à l’information via leurs « transistors » qui détermina en grande partie l’attitude des appelés pendant les événements d’avril 1961 en Algérie (le putsch des généraux). Tout récemment, lors de l’épisode de contamination par le Covid du porte-avions Charles De Gaulle, on a pu mesurer l’influence des réseaux sociaux et du lien numérique avec les familles dans la perception du risque par l’équipage, en concurrence avec l’action du commandement.

Isoler les soldats

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Dans l’hypothèse qui nous occupe, les militaires et leurs familles seront les premières cibles des actions de décrédibilisation et de dramatisation. Même à défaut de ciblage précis, ils constitueront un point de fragilité de la détermination politique à s’engager à tout prix.

Le commandement, à tous les niveaux, sait comment forger les « forces morales ». Les expériences récentes de combat de forte intensité, en Afghanistan et au Sahel, ont rappelé le rôle de la discipline, des procédures partagées, de l’autonomie à donner au chef sur le terrain. Elles ont permis de mieux maîtriser les risques inhérents aux unités composites et à l’effet de sidération puis d’excitation du baptême du feu. Toutefois, même sur ces théâtres d’opérations lointains et quelque peu marginaux aux yeux de l’opinion publique, on a pu voir lors de certains moments difficiles (aux étés 2008 et 2011 en Afghanistan par exemple) à quel point l’emballement médiatique et, déjà la désinformation, pouvaient fragiliser la détermination à aller de l’avant.

Donc, par-delà la constitution classique d’un « moral d’acier », il faut réfléchir à la nécessité de protéger les soldats en les isolant de ce risque d’emballement, quitte à prendre des mesures à contre-courant de tout ce qui a été fait depuis une quinzaine d’années, où l’on a favorisé le maintien du lien permanent avec les familles et l’accès à internet. N’oublions pas qu’aujourd’hui, le soldat engagé au Sahel peut faire une « visio » avec sa famille ou commander un DVD sur Amazon presque chaque soir !

Ne pourrait-t-on pas préparer nos soldats (de tout grade !) et leurs familles à un retour au courrier postal classique, par exemple en les y entraînant lors des activités de préparation opérationnelle loin de la garnison, ou à l’occasion des missions sur le territoire national. Nul doute cependant que des actions de ce type devront être bien présentées, et défendues vis-à-vis de tous les intervenants de la condition militaire, désormais nombreux et très actifs au sein et à l’extérieur des armées.

Un bureau de la Poste aux armées, près du front champenois en automne 1915.
Photo Musée de la Poste.

Protéger les familles

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Il va de soi qu’une telle politique d’isolement des soldats ne peut pas s’imaginer sans un accompagnement fort de leurs familles en garnison. Celles-ci seront soumises à un déferlement de rumeurs, de fausses nouvelles, voire à un harcèlement de la part de média qui, faute de disposer de renseignements suffisants, viendront chercher auprès d’elles des témoignages de terrain leur permettant d’alimenter leur flux continu de débats. Protéger les familles, et dans une certaine mesure pouvoir en maîtriser les réactions émotives, devient dès lors un impératif qui dépasse l’attention qui leur est portée aujourd’hui lors des opérations extérieures.

Si la chaîne spécialisée de la condition militaire et le réseau associatif ont leur rôle à jouer, cela passe avant tout par la chaîne de commandement, depuis le niveau central où se déterminent les contenus, jusqu’à la garnison chargée du contact humain adapté à chaque situation. D’où l’intérêt de structurer à froid cette action, et de veiller à ce que, localement, les compétences soient entretenues et surtout maintenues lorsque l’engagement majeur drainera toutes les ressources vers le cœur de métier opérationnel.

Cependant, dans une armée professionnalisée dont la plupart des soldats sont de jeunes célibataires, la notion de famille va bien au-delà de leur garnison. Dans le passé récent, ce sont ces familles éloignées et isolées, souvent sans lien avec le milieu des armées, qui ont été le plus fortement ébranlées par les incertitudes ou les aléas des engagements opérationnels. Vouloir les toucher directement de façon régulière s’avère impossible. Leur information pertinente s’insère alors dans celle destinée à l’opinion publique dans son ensemble. Il faut donc, pour terminer, se pencher sur le modèle de communication « grand public » qui devrait accompagner l’engagement de nos armées.
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L’opinion publique

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Face à une société non préparée, confrontée à des médias qui, aiguillonnés par la concurrence, mêlent rapidement information peu vérifiée et investigation intrusive, les responsables politiques et militaires ont tout intérêt à prendre l’initiative et la conserver. L’exemple récent de la crise sanitaire montre à quel point, dans une situation « hors du commun », le poids des perceptions prend rapidement le dessus sur l’analyse raisonnée des évènements, tandis que chacun vit cette situation avec ses croyances et convictions antérieures, sans vision du contexte du moment et de l’intérêt général. Le fait que « l’action, ce sont des hommes soumis aux circonstances » n’est plus compris, ni admis, et rapidement un échec, même local ou temporaire, est vite transformé en erreur, puis en faute, surtout s’il y a des vies humaines à la clé. La recherche à chaud des responsables ad hominem suit logiquement.

L’information en continu se nourrit de tout ce qui lui tombe sous la main, et même la fausse nouvelle devient une opportunité, opportunité d’ouvrir sur un démenti, sur un débat « qui dit vrai ? », avant le prochain rebond… Dans le contexte d’une crise internationale, les influenceurs extérieurs, pilotés par l’adversaire, viendront alimenter cette mécanique infernale. Aujourd’hui, le monde économique est en première ligne face à ce phénomène. En 2019, les entreprises ont été l’objet de 45 millions de « fake news » (Le Monde, 3 juin 2020).

L’opinion publique devient une dimension du champ de bataille, une dimension stratégique mais surtout tactique, au jour le jour. C’est une réalité que les accidents industriels récents, et surtout la crise sanitaire, viennent de nous rappeler. Les responsables politiques et militaires doivent donc concevoir et préparer cette manœuvre pour conserver « les cœurs et les esprits » de nos concitoyens pendant toute la durée de guerre, puisque c’est d’une guerre qu’il s’agira.

L’opinion publique téléportée dans le champ de bataille.
Photo Gred Altmann-Pixabay

La manœuvre

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La communication politico-technique pendant la crise sanitaire fournit peut-être un modèle à méditer. Le point de situation quotidien du Directeur général de la santé, équivalent hiérarchique de nos plus hauts responsables militaires, a créé un lieu et un moment pour conduire cette manœuvre tactique de communication. Régulièrement renforcé par l’intervention directe des autorités politiques et illustré par celles d’opérationnels de terrain (les médecins en première ligne), il a permis de fournir des informations documentées et commentées, de contredire les fausses informations, de délimiter les zones d’incertitudes, une façon de montrer qu’elles sont maîtrisées, de « mettre de l’humain » dans le récit journalier des « opérations ».

Ce modèle doit être envisagé pour la communication officielle en amont et pendant un engagement majeur de nos armées. Reste à franchir l’obstacle du choix de qui « montera au pupitre », du Quai d’Orsay, des Armées, du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)… Mais là encore la crise sanitaire a montré l’exemple du travail d’équipe. Reste également à ne pas faire du Secret Défense le voile qui recouvrira toute la communication, au risque d’alimenter les flux de désinformation.

Au passage, qu’il s’agisse d’intervenir au profit des membres de la communauté militaire ou de conduire cette manœuvre de communication plus politique, le besoin de conforter les « cœurs et les esprits » souligne le caractère délétère du débat récurrent sur les moyens, jugés toujours excessifs, que les armées consacrent à leur communication interne et externe. Pour une Nation multiculturelle, fortement connectée mais individualisée, et peu préparée à l’inconfort du risque non choisi, la désinformation constitue une agression systémique importante. Il ne faudrait pas qu’à un rythme viral, elle produise sur notre population l’effet que les bombardiers britanniques n’ont pas réussi à obtenir laborieusement sur « les arrières » allemands entre 1943 et 1945.

Ce texte est issu de l’article « Et si l’arrière craquait » du dossier n°26 réalisé par Le Cercle de réflexions du G2S « VERS UN RETOUR DU COMBAT DE HAUTE INTENSITE » publié en novembre 2020 et consultable sur : https://theatrum-belli.com/author/asso-g2s/

Le G2S , association selon la loi de 1901, est un groupe constitué d’officiers généraux de l’armée de Terre ayant récemment quitté le service actif. Ces derniers se proposent de mettre en commun leur expérience et leur expertise des problématiques de défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de partager leur vision des perspectives d’évolution souhaitables de la défense.
Groupe de liaison G2S – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07
Le G2S  est répertorié dans la rubrique THINK TANKS de la 
« Communauté Géopolitique, Économie, Défense et Sécurité » d’ESPRITSURCOUF


COMMUNIQUER OU INFORMER,
IL FAUT CHOISIR

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Jean-Pierre Ferey (*)
Journaliste

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On a beau se dire que le texte précédent répond à une logique, à une cohérence et au désir ardent de gagner, il n’empêche ! On se sent mal à l’aise à sa lecture.

Cela tient peut-être d’abord au vocabulaire. Parler de « manœuvre de communication », c’est faire naitre instantanément des soupçons de manipulation, de réalité travestie, de tromperie. Nos généraux ne sont pas des imbéciles, ils perçoivent sûrement le côté malheureux et nocif d’accoler ces deux mots, manœuvre et communication. Et pourtant, ils continuent d’employer cette expression, depuis l’école de guerre jusqu’aux plus hauts postes de l’état-major. Pourquoi ? Vraisemblablement parce qu’ils ne trouvent pas d’autre mot, eux pourtant inégalables dans l’art de créer des acronymes. Et s’ils ne trouvent pas d’autre mot, c’est parce que cette expression est celle qui convient, qui correspond le mieux à leurs pensées. Aussi, lorsqu’on lit « ciblage précis », « maitriser les réactions émotives », « l’opinion publique est une dimension du champ de bataille », le soupçon se fait plus insistant.
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Une société infantilisée

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Mais laissons là cette querelle sémantique pour livrer trois réflexions. La première concerne une certaine idée de la société. On peut lire dans le texte déjà cité : « dans une situation hors du commun…chacun vit cette situation avec ses croyances et convictions antérieures, sans vision du contexte du moment et de l’intérêt général ». C’est donc ainsi que des chefs militaires voient la société qu’ils sont censés défendre ? Quelle vision négative, quel dédain ! N’y a-t-il pas quelque part un sentiment de confiance envers ces Français, ces citoyens façonnés par les valeurs qu’ils partagent et qu’ils sont prêts à défendre si nécessaire, ils l’ont déjà montré.

Un exemple, avec la crise sanitaire plusieurs fois citée en référence. Que s’est-il passé pendant les deux confinements ? Les Français ont subi, en maugréant parfois, mais conscients du danger, ils se sont confinés avec discipline. Certes, il y a eu des dérapages, des excès, des Raves clandestines. Mais le nombre de personnes concernés par ces évènements est infime, totalement négligeable au regard de la population. Oui, les citoyens se sont bien comportés, ils ont tenu ! Leur action a d’ailleurs rencontré un succès souligné par la communauté scientifique.
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Haro sur la presse.

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Deuxième réflexion : le rôle de la presse. Force est de constater, là aussi, que certains chefs militaires en ont une vision très négative. On peut les comprendre, en se rappelant ce qui s’est passé pendant la guerre du Vietnam. La très grande liberté accordée aux journalistes leur a permis d’avoir accès à tous les lieux où ils souhaitaient se rendre. Ils ont donc raconté ce qu’ils ont vu, les combats, les pages de gloire, mais aussi les excès, les débauches, la souffrance de la population. L’opinion américaine s’en est émue, et des vagues de protestataires ont déferlé dans les rues de New-York, de Washington et de quasiment toutes les capitales des États américains. La guerre a perdu son soutien populaire, et les Etats-Unis ont perdu la guerre. Est-ce à cause des récits des journalistes, ou bien cette guerre, aux yeux d’une grande partie du peuple américain, était-elle aussi légitime que les trois présidents qui se sont succédé à la Maison Blanche pendant cette période voulaient le faire croire ?

Il est facile de tirer sur les chaines d’information en continu. Leurs approximations et leurs emballements sont trop souvent insupportables, c’est vrai ! Mais il est stupide de dénaturer le rôle des journalistes. La presse professionnelle est utile et indispensable aux citoyens. Allons plus loin, en affirmant qu’en cas de conflit la présence de correspondants de guerre sur le terrain, aux côtés des soldats, pour vivre leur combat, est nécessaire (à condition évidemment que cette présence ne nuise pas aux déroulés des opérations). Ces reporters racontent la réalité du moment, et engrangent pour l’Histoire.

Un exemple, très paradoxal, puisqu’il s’agit d’une affaire où la presse n’était pas présente. Cela se passe en Nouvelle-Calédonie, en avril et mai 1988. Des rebelles indépendantistes capturent des otages et se réfugient dans une grotte, sur l’atoll d’Ouvéa. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Pons, et l’autorité militaire locale, le général Duval, décident de lancer l’assaut. Mais, pour ne pas être « gênés » dans une opération à hauts risques politiques, ils interdisent l’accès de l’ile à tout journaliste. L’attaque a lieu le 5 mai, et se solde par une vingtaine de morts. Suit alors une confusion extrême, où certains affirment que les forces de l’ordre se sont livrées à des exécutions sommaires. Y a-t-il eu bavures ? Les autorités militaires l’ont toujours nié, tandis que leurs adversaires produisaient sans cesse de nouveaux témoignages étayés, créant un climat infernal de suspicions, de rancœurs et d’invectives.

Aujourd’hui, le débat est clos : il y a bien eu bavures. On le sait depuis que Michel Rocard, nommé premier ministre six jours après l’assaut, a révélé en 2008, au micro de France-Culture, que « deux indépendantistes blessés ont été achevés à coups de bottes par des militaires, dont un officier ». Questions ! Si des journalistes avaient été sur les lieux, ces bavures se seraient-elles produites ? Si des journalistes avaient été sur les lieux, la situation ne se serait-elle pas éclaircie plus rapidement, l’abcès n’aurait-il pas été crevé plus vite, au lieu de perdurer en un cloaque pourri qui aujourd’hui encore entache l’image des armées.

Après l’assaut, les rebelles encore vivants sont au sol, menottés. Malgré la mauvaise qualité de la photo, on distingue leur leader, Alphonse Dianou, allongé sur une civière, blessé à la jambe. Les gendarmes attendront plus de six heures avant de l’évacuer vers un hôpital. Il n’y arrivera pas vivant.
Photo prise par un gendarme.

Informer, c’est dire la vérité

J
La troisième réflexion est pour exprimer un étonnement. Toujours dans l’article ci-dessus, à aucun moment n’apparait le mot « informer ». Selon la définition du Larousse, communiquer, c’est donner connaissance, faire partager quelque chose à quelqu’un. Et en premier lieu partager les renseignements élémentaires qui permettent de savoir de quoi on parle. Qui, quoi, quand,  où ? Ce sont les quatre réponses primaires que le communiquant de défense doit apporter à son interlocuteur. Cela s’appelle informer. Le mot « vérité » n’apparait pas non plus. Dire la vérité ne serait donc pas la loi première de la communication militaire ?

Encore une histoire de bavure, elle a son intérêt. Le 13 mai 2005, des éléments français de la Force Licorne appréhende dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire un nommé Firmin Mahé. Il est connu des services de renseignements. C’est un coupeur de routes, comme on appelle là-bas les bandits de grand chemin. On lui attribue des vols, des viols et des meurtres. Mahé est blessé, il faut l’hospitaliser. Le véhicule des Français prend alors la direction du CHU de Man, la capitale régionale. En cours de route, un ordre tombe sur la radio du bord : il faut éliminer Mahé. Disciplinés, les soldats tuent leur prisonnier par privation d’oxygène, en lui enfonçant la tête dans un sac plastique scotché autour du cou. C’est un assassinat. Mais tous les protagonistes de l’affaire, depuis l’équipage du véhicule jusqu’au commandant de le Force Licorne, le général Poncet, mettent leurs mouchoirs par-dessus et n’en soufflent mot à personne.

Seulement, quelques mois plus tard, dans les garnisons, l’histoire commence à fuiter. Un bruit, qui devient rumeur, qui enfle suffisamment pour arriver aux oreilles du chef d’État-Major de l’armée de terre, le général Thorette. Sa réaction est immédiate et fulgurante. Il alerte aussitôt le chef d’État-Major des armées, le général Bentégeat, et sa ministre, Michelle Alliot-Marie. Le lendemain, jour du point de presse au ministère de la Défense, les deux généraux se présentent ensemble devant les journalistes, et là, ils racontent toute l’affaire, l’arrestation de Mahé, les circonstances, l’ordre donné, l’assassinat. Ils annoncent que le général Poncet est suspendu et qu’ils ont saisi le tribunal militaire. Les journalistes, qui n’étaient au courant de rien, sont sidérés. 

L’information, bien sûr, fait les gros titres, mais pendant deux ou trois jours, pas plus. Le soufflé retombe très vite. Car tout avait été dit, il n’y avait plus rien à découvrir. Par leur action, les deux chefs militaires ont réussi à contrôler l’explosion de la bombe et à limiter les dommages collatéraux. Une opération de communication magnifiquement réussie. Et qu’ont-ils fait pour cela ? Rien d’autre que d’informer et de dire la vérité.

Informer, dire la vérité, ce devrait être les maitre-mots, le crédo de la communication militaire. Alors bien sûr, si en plus on peut conforter les cœurs et les esprits, tant mieux. Mais attention ! On est déjà là en terrain instable, il ne faudrait pas glisser. Car de conforter les esprits à former les esprits, il n’y a qu’un pas (un grand pas, il est vrai) Et former les esprits, c’est aussi l’expression la plus soft pour décrire ce qui se passe dans les régimes totalitaires : le formatage des cerveaux.


EN REPONSE

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Jean-Tristan Verna (*)
Général de corps d’armée (2s)

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Dans la mesure où Jean-Pierre Ferey a pris la peine de lancer un débat, je me dois de participer au débat et de préciser certaines convictions. Je précise au passage que je ne prétends pas traduire l’opinion de la majorité de mes camarades généraux.

La comparaison avec le comportement responsable de la population face aux contraintes imposées par la pandémie me paraît fragile. La pandémie, personne n’y pouvait rien (et ça dure…), ni les citoyens que nous sommes tous, ni les responsables politiques, ni les « techniciens », ne pouvaient dire stop ! Les débats se sont concentrés, non sur la nécessité de mener le combat,  mais sur les modes d’action erratiques choisis pour le conduire. Et cela a pris dès le premier jour un caractère facilement polémique, désordonné et non dénué d’arrière-pensées politiques.

Qu’en serait-il en réaction à une décision politique d’engager nos armées dans un conflit de haute intensité ? Passé un moment d’union nationale, chacun, notamment les influenceurs, les responsables politiques d’opposition, les relais d’opinion, les « amis » du pays concerné (il y en aurait forcément, y compris au Parlement), vivraient la situation avec leurs croyances et leurs convictions antérieures, sans souci de la cohésion nationale. Je ne fais là que retranscrire l’analyse d’un sociologue étudiant les réactions du corps social face à la pandémie.

Je ne peux que rejoindre JPF sur sa vision du rôle de la presse. Mais combien des 70 millions de Français ont-ils eu recours à la presse pour se tenir informés sur la pandémie, se faire une opinion sur la situation au Moyen-Orient, sur la situation politique aux États-Unis, sur ce qui se passe aujourd’hui en Birmanie. Journalistes traditionnels et lecteurs attentifs ne sont-ils pas deux espèces menacées de disparition ?

Car le problème est que cette presse m’apparait désormais marginale dans la diffusion de l’information (complète, documentée et équilibrée), et dans la maîtrise des émotions collectives. C’est aujourd’hui internet et son « bouche-à-oreille » numérique qui construit les opinions, et Russia Today a autant d’impact que la page Facebook du Monde ou des Échos ! D’ailleurs qui a encore le courage de se lancer chaque mois dans la lecture du Monde Diplo, avec le recul nécessaire face à sa ligne éditoriale ?

Sur le dernier point évoqué par JPF, « communiquer ou informer », je suis bien évidemment d’accord, dans un monde raisonnable. Mais n’oublions pas qu’il y a un peu plus de deux ans, il a suffi de l’annonce de l’augmentation de quelques centimes du prix du carburant pour déclencher un buzz qui déboucha sur une crise sociale prenant volontiers une tournure insurrectionnelle. L’enjeu sociétal porté par la taxe carbone est vite passé à la trappe, pour ne laisser la place qu’aux émotions, alimentées par un flot ininterrompu d’informations dont le rythme des évènements et des commentaires en continu ne permettait pas d’en discuter la fiabilité.

C’est pour cela que dans la situation d’un conflit de haute intensité, et dans celle-ci seulement,   la ligne d’opération « combattre la désinformation » par la communication devrait, à mon avis, prendre le pas sur la nécessité de bien informer.

Car si la préservation des intérêts de la nation, de l’Europe, la défense des droits humains (on peut allonger la liste…) aboutissaient un jour à ce que les responsables politiques du moment décident de faire « la guerre », cette qui tue, qui détruit en face et qui allonge les listes sur les monuments de nos villages, alors il faudrait prendre toutes les mesures pour éviter que « l’arrière craque » avant que « l’avant ait gagné ».

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 (*) Jean-Tristan Verna, saint-cyrien de la promotion Turenne (1973-1972), a servi 12 ans à la légion étrangère, et a commandé le 2e Régiment Étranger d’Infanterie. Il a pris part à de nombreuses opérations en Afrique (Kolwezi, Tchad, Centre-Afrique), à Beyrouth en 1983, en Bosnie en 1996-1997. Au cours des quinze dernières années, il a principalement servi à l’état-major de l’armée de terre, notamment comme sous-chef d’état-major « études, planification, finances » et comme directeur central du matériel. Il est l’un des pères du programme SCORPION.  Il a ensuite rejoint le groupe EADS (devenu Airbus), où il a été Vice-Président Affaires publiques France, et conseiller militaire du Président d’Airbus, de 2012 à 2019. Il est Président de l’ADO (Association pour le développement des œuvres d’entraide dans l’armée), et vient de prendre la présidence du Comité de l’entraide défense, regroupant l’ADO, Terre Fraternité, l’Entraide Marine et la Fondation des Œuvres de l’Air.

(*) Jean-Pierre Ferey a mené pendant quarante ans une carrière de journaliste de télévision, où il a longtemps été spécialisé sur les questions de géopolitique et les affaires militaires. Auditeur de l’IHEDN (42° session nationale), il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « les héros anonymes de l’été 44 » aux éditions du Rocher. Il est secrétaire de la rédaction d’ESPRITSURCOUF.
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Bonne lecture et rendez-vous le 05 AVRIL 2021
avec le n°161

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