Israël face au Hamas
Leçons d’une nouvelle guerre israélo-palestinienne

Anatole Lhermite (*)
Étudiant en master Conflictualités et Médiations
Université catholique de l’Ouest

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L’auteur revient sur l’opération asymétrique qui a conduit les éléments du Hamas à frapper en territoire israélien, le 7 octobre 2023. Il en tire une analyse critique et propose des pistes d’explication pour comprendre les failles de la défense et sécurité israélienne qui ont rendu possible une telle situation. Les propos n’engagent que leur auteur.

 

Le 7 octobre 2023 à 6 h 30 du matin, la guerre est de retour en Palestine. Le parti Hamas (Mouvement de résistance islamique), qui gouverne la bande de Gaza depuis 2007, en coordination avec plusieurs organisations politiques et paramilitaires comme le Djihad islamique, lancent une opération d’ampleur sans précédent contre l’Etat d’Israël. Quelque 1 500 commandos du Hamas attaquent ainsi le jour du Shabbat, quasiment jour pour jour  du 50ème anniversaire du déclenchement de la guerre de Kippour ; guerre dont le symbole demeure profond pour tous les Arabes et musulmans du Proche-Orient.

L’opération déluge d’Al-Aqsa repose ainsi sur un effet de surprise et de sidération maximal permettant de prendre l’initiative et disposer d’une certaine liberté stratégique sur le territoire israélien. Plusieurs mois après l’ouverture des hostilités, de nombreuses leçons peuvent être tirées de cette opération dont l’onde de choc est, pour nombre d’Israéliens, assimilable au 11 septembre 2001.

Le succès paramilitaire et opérationnel du Hamas

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La première leçon de cette « nouvelle guerre » est de souligner le succès opérationnel du Hamas, en marge du fait que ses éléments ont effectué, durant cette offensive à caractère terroriste, de nombreux crimes de guerres. Crimes qui faisaient partie de l’effet final recherché : inciter Israël à réagir de manière totalement disproportionnée pour provoquer, en retour, une nouvelle coalition du monde arabo-musulman en faveur de la cause palestinienne. Car, seul, le Hamas est conscient qu’il ne peut vaincre Israël. Mais avec le soutien des pays arabes, il estime avoir une chance. Néanmoins, cette opération reste un pari de long terme pouvant échouer avec le sacrifice des habitants de Gaza.

Pourquoi peut-on considérer l’action offensive du Hamas comme un « succès » ? Parce que ses partisans ont exécuté une offensive de guérilla interarmes (sol/mer/air), en dépit de moyens techniques et industriels très limités. Leurs armes proviennent en effet d’un complexe militaro-industriel artisanal et de réseaux de contrebande, alimentés longtemps par bateaux ou par tunnels depuis l’Egypte.

La tactique employée par le Hamas semble s’être inspirée des leçons tirées de la guerre hybride en Ukraine. Les similitudes sont claires dans plusieurs domaines : utilisation massive de drones FPV (First Person View) bon marchés, pour repérer positions et véhicules ennemis (imagerie audiovisuelle et thermique), de drones d’attaque FPV sur l’ennemi (ex : grenade ou ogive de roquette lâchée sur une position ennemie par un drone). Enfin, les combattants étaient connectés à un réseau communication radio et internet pour obtenir, en direct, des flux vidéos des forces ennemies.

Armes et munitions découvertes par le Tsahal – Source : Site du Tsahal

Lors de la retraite des brigades Al-Qassam sur Gaza, le Hamas a abandonné de l’armement et de nombreux documents confidentiels. Les Israéliens ont pu ainsi constater combien le Hamas avait rassemblé des renseignements sur l’ensemble des forces de Tsahal positionnées autour de Gaza. Des prospectus décrivaient même la manière de détruire efficacement des chars de combats Merkava. Autant d’éléments qui indiquent que le Hamas préparait son attaque terroriste depuis un longtemps.

Et cela, en dépit d’un rapport de force disproportionné. En effet, l’armée israélienne, Tsahal, ne réunit pas moins de 180 0000 militaires dont 120 000 combattants, outre 465 000 réservistes. Sans compter des centaines d’avions, des milliers de chars Merkava, de véhicules blindés et de pièces d’artilleries (du M777 au M109 Paladin). De son côté, le Hamas peut compter sur 20 000 à 50 000 combattants dont 1 500 combattants d’élite (les brigades Al Qassam). Il ne dispose d’aucune aviation – si ce n’est quelques ULM – et n’a constitué qu’une faible force d’artillerie composée de mortiers / lances roquettes.

Missiles découverts par le Tsahal – Photo publiée sur le compte Instagram du Tsahal

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Le Hamas a pu remporter un succès tactique de courte durée au prix d’une longue préparation, sans qu’elle ne soit faite dans un secret opérationnel absolu puisque divers analystes des services de renseignement israéliens avaient alerté leurs supérieurs depuis plusieurs mois.

Or, contre toute attente, la réalité a été sous-estimée par les décideurs, qui ont donc commis de lourdes erreurs d’appréciation vis-à-vis d’une force armée paramilitaire insurrectionnelle. Le succès de l’attaque terroriste du Hamas a donc pour cause directe une certaine défaillance de l’Etat d’Israël.

L’échec militaire de la défense israélienne
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Tsahal a principalement sous-estimé son adversaire en adoptant une doctrine en faveur d’un dispositif militaire, déployé autour de la Bande de Gaza mais qui s’est avéré inadapté.

Les principes directeurs de Tsahal reposent en effet sur la nécessité pour Israël de se défendre contre des voisins numériquement supérieurs, en prenant en compte l’absence de profondeur stratégique. L’élément principal de cette doctrine consiste donc en une stratégie défensive qui repose sur la mobilisation rapide d’une force écrasante porter la guerre sur le territoire ennemi. Mais le Hamas a contré cette stratégie en attaquant en premier et par surprise. Ce qui a rendu caduques les plans précédemment établis. Ainsi, on a observé une désorganisation, voire une absence de résistance de la part du Tsahal durant les premières heures de l’offensive palestinienne.

Source : Site du Tsahal

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Le Hamas aurait pu être stoppé à la frontière avec une meilleure stratégie. Le Hamas étant une menace existentielle – il appelle à la destruction d’Israël –, les « défenses » ceinturant la bande de Gaza ne sont pas stricto sensu des fortifications militaires. Une ceinture murale de béton et de grillages avec tourelles de mitrailleuses automatiques est incapable de stopper des centaines de combattants disposant de sapeurs qui créent des brèches dans les murs à l’aide d’explosifs, protégés par des drones optiques et des équipages de mortiers.

Une stratégie de défense organisée en profondeur (DOEP) les aurait certainement stoppés et, a minima,  aurait stoppé l’attaque terrestre. La DOEP à Gaza aurait dû être constituée de lignes de barbelés, fossés antichars et dents de dragons, de positions fortifiées pour mitrailleuses, de mortiers, chars et artillerie, avec des centres de commandement et de communications ; de champs de mines antichars-antipersonnel et réseaux de tranchées connectés en profondeur ; de réseaux de drones et de caméras de surveillance en activité 24 h/ 24 h connectés à un système d’alerte efficace ; effectifs militaires conséquents et adaptés (minimum 10 000 combattants en poste de combats en permanence).

Malheureusement, la stratégie défensive du Tsahal a été déjouée. Les forces de défenses, hétéroclites, n’ont pu défendre les secteurs infiltrés. Cela a conduit à un ordre de repli tactique dans toutes les directions, abandonnant plus de 14 localités sous le contrôle effectif du Hamas.

Carte d’Israël – Gaza le 06 et 0è octobre 2023 – Photo publiée sur le compte Instagram du Tsahal

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Durant l’ouverture des hostilités, les tours de communications et les tourelles automatiques ont été désactivées par des drones FPV transportant grenades et/ou roquettes. Quelques centaines de conscrits territoriaux, surpris dans leur sommeil, ont été massacrés, pour la plupart dans leurs bases « fortifiées » ; et les survivants pris en otage. Les communications ont été brouillées par l’ennemi, puis le réseau de surveillance détruit.

Les rares équipages de chars opérationnels ont été isolés parce qu’ils n’avaient ni la protection de l’infanterie, ni celle de batteries de mortiers et d’artillerie pour les couvrir. Cela s’est soldé par la destruction de plusieurs Merkava.

Chars Merkarva Barak utilisés par Israël – Source : Site du Tsahal

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Il a fallu plus de 5 heures pour qu’une contre-attaque israélienne soit lancée, car le commandement central ignorait même où se trouvait l’ennemi, laissant les éléments du Hamas pénétrer en profondeur sur 30 km (ville d’Ofakim) à 21h. Dès lors, lorsque le Hamas a attaqué sur tous les fronts, Tsahal était désorganisé, ses forces en sous-effectifs et incapables de réagir instantanément. Par conséquent, Tsahal apparait responsable de ne pas avoir su protéger les citoyens.

L’échec des services de renseignement israélien
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La défaillance des services de renseignements israéliens, le Mossad et le Shin Bet, a par ailleurs été maintes fois soulignée. Il y a plusieurs hypothèses qui peuvent expliquer ce manquement grave à la sécurité nationale.

La première hypothèse est que le Hamas a été capable d’organiser une opération d’une telle ampleur dans un secret absolu, le renseignement israélien ayant échoué dans sa mission. Dès lors, on peut supposer du Hamas une maitrise totale de désinformation de l’adversaire. La force du Mossad / Shin Bet est le renseignement technique. Pour maintenir une telle opération secrète, le Hamas a nécessairement supprimé toute communication de source électronique par l’utilisation de messages manuscrits voire oraux. Cet échec des services israéliens est aussi lié à une réduction progressive des moyens alloués au renseignement humain (espions / informateurs sur le terrain), pour, au contraire, intensifier le renseignement technique. Dès lors, cette conjonction de facteurs a garanti l’effet de choc et de surprise du Hamas et la sous-estimation de leur projet et des moyens alloués.

La seconde hypothèse est que les services de renseignements étaient au courant de l’attaque, comme nous l’avons évoqué précédemment. Soit l’information n’est jamais remontée au niveau du Haut commandement ou du gouvernement, perdue dans les méandres de l’administration et les factions politiques internes. Soit, le pouvoir exécutif a fait le choix délibéré de laisser faire le Hamas, pour mettre un terme à la crise politique que subit Netanyahou mais en sous-estimant les dégâts potentiels.

Cette hypothèse est plus crédible depuis que les services de renseignement égyptiens ont fait savoir qu’ils avaient informé leurs homologues israéliens de l’imminence d’une attaque du Hamas, trois jours avant le déclenchement des hostilités. De plus, selon le New-York Times, les renseignements israéliens avaient obtenu, plus d’un an à l’avance, le plan du Hamas visant à mener une attaque sans précédent contre Israël. Or, les  responsables des services israéliens avaient jugé ce scénario irréaliste sur la base de documents secrets saisis, notamment un document d’une quarantaine de pages détaillant, point par point, une vaste attaque perpétrée par des commandos palestiniens… une attaque semblable à celle menée le 7 octobre et qui a causé la mort d’environ 1 200 Israéliens.

La dernière éventualité est que le gouvernement et Tsahal étaient au courant de l’imminence de l’offensive palestinienne, mais qu’ils ne l’ont pas prise au sérieux ou n’ont pas cru ce qu’indiquaient les services de renseignement. Si cela est, un jour, avéré, ce serait la preuve d’une faute politique majeure ou d’une incompétence totale.

Les fautes des différentes parties ne seront, sans doute, jamais reconnues publiquement. Les responsables politico-militaires ne seront probablement jamais destitués et condamnés. Dans le cas contraire, elles signeront sans doute la fin de la carrière politique de Netanyahou et son gouvernement, ouvrant à nouveau une phase de crise politique en Israël ; crise pour l’instant suspendue par la guerre, sur fond de vague cohésion nationale.

L’Etat d’Israël a été humilié devant le monde entier. Le déluge d’Al-Aqsa a démontré à tous ses voisins qu’Israël était en situation de faiblesse, incapable de se défendre contre des groupes insurrectionnels pourtant largement inférieurs, dans tous les domaines, par rapport à Tsahal.

Aujourd’hui l’objectif militaire d’Israël est d’exterminer le Hamas et ses alliés dans la bande de Gaza. Mais quel sera son objectif politique lorsque la phase militaire sera accompli e? Quel est l’effet final recherché de cette guerre ?

 

Source : 

Les photos republiées, dans cet article, ont été sélectionnées parmi celles publiées sur le compte Instagram du Tsahal ainsi que sur son site.

 

(*) Anatole Lhermite : Titulaire d’une licence d’histoire à l’UCO (Université Catholique de l’Ouest), mention histoire du continent européen, et diplômé d’un Master 1 et suit actuellement un Master 2 « Conflictualités et Médiation » qui prépare aux fonctions d’analyste des conflits et de médiateur. La formation spécifique est couplée avec l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la géopolitique ou la géographie, les sciences sociales, sciences politiques et relations internationales.

Il a étudié en profondeur de nombreux conflits, dont la guerre de Yougoslavie, et a travaillé sur la question du Kosovo.

Il est également titulaire d’un diplôme universitaire en droit public administratif (fonction publique d’Etat déconcentrée).

Il a rédigé un mémoire de master consacré à l’évolution de la petite guerre de la Révolution française aux guerres contemporaines ; l’évolution des stratégies et tactiques des armées étatiques pour combattre et annihiler leurs adversaires qui sont des forces armées insurrectionnelles. À ce titre, il a étudié les crises suivantes : guerre de Calabre (1806-1807), la guerre d’Espagne (1808-1813), la guerre d’Algérie (1954-1962) et la guerre du Vietnam (1965-1975) et la guerre d’Afghanistan (2001-2021).

À terme, il souhaite intégrer le secteur de la Défense ou le Renseignement comme analyste militaire/géopolitique.

 

 

 

 

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