Le renseignement chinois en France : un inquiétant activisme

Eric Stemmelen (*)
Commissaire divisionnaire honoraire de Police

.
La Chine seconde puissance mondiale et bientôt la première, ayant défini ses priorités sur le plan industriel a élaboré un plan connu sous l’appellation de « made in China 2025 » visant à rattraper le retard technologique du pays dans 10 secteurs stratégiques (biotechnologies, aéronautique, robotique…) de façon à pouvoir être indépendant à 70% en 2025.

Or la Chine n’est pas une démocratie mais une dictature dirigée par le Parti communiste chinois (P.C.C.).

La législation chinoise sur la sécurité nationale

.

Une analyse de la législation chinoise, notamment de 2015 sur la sécurité nationale, permet de mieux comprendre que la priorité de celle-ci est l’affaire de tous, aussi bien en Chine qu’à l’étranger.

Cette loi indique expressément que la sécurité économique est fondamentale à la sécurité du pays ; ce qui signifie le contrôle du Parti sur l’économie. Mais cette loi prévoit aussi que les services de renseignement (à savoir ceux du ministère de la Sécurité de l’Etat -GUOANBU) soutiennent les intérêts économiques et sociaux, et confirment donc le rôle essentiel de l’espionnage industriel.

La loi autorise en effet les services de renseignement à obtenir la collaboration des autres services gouvernementaux, à obliger les citoyens chinois à collaborer, à réquisitionner les services de transport et d’hébergement dans le cadre du soutien aux opérations, à demander d’être exemptés des inspections aux douanes.

En vertu de l’article 16 de la loi, les fonctionnaires des services de renseignement « peuvent entrer dans les endroits et les zones d’accès restreint présentant un intérêt, interroger les personnes, organisations et institutions compétentes et apprendre d’elles et lire ou recueillir les dossiers, documents ou articles pertinents. »

L’article 11 de la loi autorise les mêmes services de renseignement à recueillir toutes les informations utiles à la constitution de bases de données pouvant être consultées pour détecter les personnes ou les institutions qui posent des problèmes (sic !), les empêcher d’agir et les châtier le cas échéant. Cet article donne en fait tous les pouvoirs aux services de renseignement non seulement d’informations mais aussi de répression.

Le règlement d’application de décembre 2017 de la loi sur le contre-espionnage étend la définition des infractions liées à l’espionnage au fait de « fabriquer ou déformer des faits, publier ou diffuser des dires ou des informations qui mettent en danger la sécurité nationale ».

D’après les autorités chinoises, « fabriquer ou déformer les faits » comprend non seulement les activités d’ingérence mais aussi le fait de discuter du bilan de la Chine en matière de droits de la personne ou de contester les revendications territoriales de la Chine.

La politique chinoise est constante : punir tous ceux qui portent atteinte à la réputation du gouvernement ou qui dévoilent les politiques internes du PCC ou qui agissent à l’encontre des intérêts du parti ou de gouvernement de n’importe quelle façon.

La législation et les pratiques du gouvernement ne laissent aucun doute sur l’autoritarisme et le totalitarisme des dirigeants chinois. Ces derniers considèrent que leur sécurité passe avant tout et que les services de renseignement sont essentiels pour soutenir leur politique.

La loi de 2015 indique clairement que la sécurité économique est la pierre angulaire de la sécurité nationale. Ainsi, les sociétés chinoises sont obligées de collaborer avec les autorités gouvernementales.

Le développement mondial de ces sociétés implantées dans les pays occidentaux permet aux services de renseignement chinois d’avoir des facilités importantes d’accès aux gouvernements occidentaux.

Le principal équipementier électronique mondial et le plus avancé est l’entreprise Huawei fondée par un ex colonel de l’Armée rouge chinoise, Ren Zhengfei. Or la loi sur le renseignement du 28 juin 2017 lie cette entreprise au gouvernement : Huawei est sans aucun doute le cheval de Troie du gouvernement chinois en matière d’espionnage.

Ceci n’a pas échappé aux services de renseignement occidentaux.

Sous la pression des autorités américaines, Huawei rencontre des difficultés à s’implanter dans les marchés occidentaux mais n’y a pas renoncé par différents bais car cette société est plus qu’incité quasiment obligé par les autorités chinoises qui développent une politique agressive de renseignements dans les pays occidentaux notamment en France.

Un activisme chinois préoccupant en France

.

L’entreprise Huawei est présente dans de nombreux pays notamment en Afrique. Elle est la plus en avance dans la 5G, et dispose de ressources financières considérables. Elle a surtout une offre complète en matière d’équipements de télécommunications allant du câble sous-marin au smartphone.

Ecarté de la 5G par les autorités gouvernementales françaises, Huawei, qui dispose de 23 centres de recherche et de développement en Europe dont 6 en France, a tissé des liens avec une centaine d’universités. Huawei souhaite implanter une usine pour développer les réseaux mobiles en Alsace à Brumath (dans le Bas-Rhin), en promettant d’embaucher 300 personnes et d’investir 200 000 000 €.

Cette implantation pose un problème de sécurité car elle serait à proximité de 5 sites hébergeant les services de renseignement  français :

3 services implantés à Haguenau :

  • le 54ème régiment de transmissions en charge du renseignement électromagnétique
  • le 2ème régiment de Hussards en charge du renseignement humain
  • le 28 ème groupe géographique en charge de l’information géographique.

2 services implantés à Mutzig:

  • un centre de la Direction générale de la sécurité Extérieure (D.G.S.E.)
  • le 44ème régiment de Transmissions en charge de la guerre électronique et du renseignement électromagnétique

Ce n’est pas la première fois que les Chinois s’implantent à proximité de sites sensibles.

En effet, dans l’Indre à Rosnay, les Chinois ont acheté des terres agricoles, à proximité du centre de transmissions de la Marine nationale qui communique avec les sous-marins français grâce à ses émetteurs à très basse fréquence.

Toutefois c’est en Bretagne où l’implantation des services de renseignement chinois est la plus préoccupante depuis des années.

La Bretagne compte 400 entreprises travaillant pour la défense nationale et comprend la base des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de l’Ile Longue en rade de Brest.

Le Secrétariat énéral de la défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) s’est, à juste titre, inquiété dans un rapport de juillet 2018 des approches répétées d’étudiantes chinoises de l’Université de Bretagne occidentale (U.B.O.) auprès des militaires français avec, en conclusion attendue, un nombre accru de mariages.

D’ailleurs, les Chinois constituent la deuxième population étrangère des étudiants de l’U.B.O.

Les ingénieurs constituent des cibles visées notamment au sein de l’Ecole Nationale Supérieure des Techniques Avancées (ENSTA) qui forme également des ingénieurs militaires.

De plus, un tiers des étudiants inscrits en doctorat dans un laboratoire universitaire de recherche sont chinois ; ce qui est une proportion importante. Mais le plus intéressant est qu’ils viennent tous de l’institut de technologie de Harbin en Mandchourie, un des 9 meilleurs centres universitaires de Chine dont la caractéristique essentielle est d’être administrée par une agence gouvernementale qui élabore et achète tous les systèmes d’armes de l’armée chinoise. Rien n’est donc dû au hasard.

Appel à la vigilance

.

Il ne faut pas sous-estimer l’intervention systématique et croissante des services de renseignements chinois dans les pays occidentaux notamment en France.

Ces services disposent non seulement du concours de grandes entreprises comme Huawei  mais aussi d’effectifs officiels sans compter les collaborateurs occasionnels, considérables. Rapportés au nombre d’habitants, la France, comparée à la Chine, devrait disposer de 10 000 agents de la DGSE (au lieu de 6 500) mais surtout de 45 000 fonctionnaires de la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure soit 10 fois plus que les 4 500 agents actuels.

Ne nous y trompons pas : entre le développement économique et la survie politique du régime la priorité sera toujours la politique, quel que soit le prix à payer.

Ce grand pays dirigé d’une main de fer impose à ses citoyens des normes de vie définies par le parti communiste au pouvoir depuis plus de 70 ans : tout va bien pour le citoyen qui reste dans la norme, malheur à celui qui s’en écarte.

Finalement, la Chine de 2024 est bien plus proche de la société décrite dans le roman 1984 de George Orwell, de son vrai nom Eric Blair, que de celle du Meilleur des mondes décrite par son compatriote Aldous Huxley.


(*) Eric Stemmelen, commissaire divisionnaire honoraire, a effectué sa carrière en France et à l’étranger. En France, d’abord à la direction centrale de la police judiciaire, puis dans les organismes de formation et enfin au service des voyages officiels. Responsable de la sécurité des sommets internationaux et des conférences internationales, chargé de la protection rapprochée des Chefs d’Etat et de Gouvernements étrangers, il a été  mis comme expert à la disposition du ministère des affaires étrangères, pour la sécurité des ambassades françaises, de leur personnel et des communautés françaises dans de nombreuses capitales (Beyrouth, Kaboul, Brazzaville, Pristina, entre autres). Diplômé de l’Académie Nationale du FBI, de la 7ème promotion de l’IHESI, il est aujourd’hui consultant et expert dans les domaines de la  Sécurité (au Conseil de l’Europe, par exemple).