MOSCOU :
« Khorasan »: un État islamique, terroriste non-identifié
Xavier Raufer
Criminologue
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Le terrible attentat qui a frappé Moscou le 22 mars dernier (150 morts et plus de 450 blessés )est l’occasion pour l’auteur, spécialiste du terrorisme) de se poser quelques questions sur l’origine des acteurs de cet attentat. Certainement pas l’Ukraine , comme a voulu le faire croire la propagande russe. Mais sans doute « l’État islamique du Khorasan ». L’auteur explique les racines et les modes d’action de cette organisation terroriste méconnue en occident mais inquiétante.
QUE sait-on à ce jour des terroristes ayant frappé Moscou (désormais, quelque 150 morts) ? Tous quatre sont arrivés d’Istanbul peu avant l’attentat. La « spécialité » de l’État islamique – ci-après ISIS-K – au Khorasan (Aire historique entre Iran oriental et Asie centrale) étant l’attaque de mosquées en mode « stratégie de la tension », la trouvaille (outre des photos du complexe culturel moscovite) de celles de mosquées d’Istanbul dans le smartphone d’un des terroristes a précipité la coopération entre le renseignement russe (FSB) et son homologue turc, le MIT.
Peu après, le MIT découvrait près d’Istanbul deux bases secrètes d’ISIS-K et y arrêt- tait 32 Tadjiks et 9 Kirghizes. Après interrogatoire des plutôt rugueux services turcs, les aveux ont afflué. Selon nos sources, ils ont permis d’identifier en Russie cinq réseaux dormants, entre Moscou et Toula ; et des métastases de l’appareil d’ISIS-K, jusqu’en Afghanistan et en Syrie.
Des prises de sang ont révélé qu’avant l’assaut, ces quatre terroristes Tadjiks de 19 à 32 ans se sont dopés au Capta gon, la « Drogue du courage » des milices du Moyen-Orient, amphétamine violemment stimulante, permettant de veiller des nuits en- trières. Ici, première incohérence : la guerre « sainte », Djihad, diffère de la « mission de sacrifice » (Shahadat) dont on ne revient pas et où des « martyrs » sacrifient leur vie pour l’Oumma (communauté des croyants). On a pu autopsier de ces « martyrs » après de telles missions : nul d’entre eux, jamais, n’avait absorbé d’alcool ou d’excitants.
Ceux de Moscou, oui. Étrange.
Mais l’enquête des services russes, turcs et tadjiks ne saura se borner aux constatations humaines ou matérielles : une tâche autrement plus ardue les attend : découvrir ce que camoufle l’appellation (tout sauf claire) d' »État islamique au Khorasan ». De fait, poser un diagnostic juste suppose l’usage de termes appropriés mais d’abord, de savoir de quoi on parle. Or après le terrible attentat de Moscou, les médias dépeignent l' »État islamique », Daesh de son acronyme arabe, comme une entité terroriste banale et bien connue, genre al-Qaïda, pour garder le registre islamiste.
Alors que Daesh est tout sauf ça – et traîne même dès son émergence, voici près de vingt ans, une persistante réputation d’agent provocateur.
Son fondateur – Abu Musab al-Zarkawi (kuniya, nom de guerre, de Ahmed Fadel Nazar al-Khalaylah), voyou toxicomane issu de la ville de \arka, proche d’Amman en Jordanie, islamisé en prison. Lourdement condamné puis bizarrement libéré, Oussama ben Laden le soupçonne d’avoir été recruté par les services spéciaux jordaniens et le tient à distance. Ensuite, Karkawi multiplie les attentats-provoc’ contre des mosquées chi’ites irakiennes, déclenchant une guerre sectaire bien utile à l’armée américaine, en mode « diviser pour régner ». Et quand Karkawi quitte Al-Qaïda en Irak, première étape de la fondation de « l’État islamique », on ne voit pas al-Qaïda s’en désoler beaucoup.
Son architecte – Plus bizarre encore : toute l’architecture de l’appareil politico-militaire de Daesh – son « code-source » dit un expert irakien de l’islamisme – revient à Samir abd Muhammad al-Khlifawi dit « Hajj Bakr ». Un fanatique moudjahid ? Non : un colonel du renseignement de l’armée de l’air de Saddam Hussein. Retrouvé aux archives de l’état-major irakien, son dossier contient des photos d’un bon vivant trin- quant, verre de whisky en main, près de son épouse en robe légère et cheveux au vent. Pas très salafiste, tout ça…
Son encadrement – Fin 2017, des « Sources informées israéliennes » – difficile d’être plus clair… – produisent une remarquable étude sur l’encadrement de l’État islamique, partant des dossiers de 129 de ses dirigeants, dûment identifiés : à 73% irakiens et TOUS issus de l’armée, des services spéciaux ou de la police de Saddam… Pas vraiment la sociologie d’un groupe islamiste… À Bagdad, un dignitaire chi’ite ironise : « l’État islamique, c’est l’appareil régalien de Saddam, plus les barbes et les siwak » (Bâtonnets en bois odorant servant de brosse à dents ; populaires chez les islamistes, car le Prophète en usait souvent).
Dans la galaxie État islamique, ISIS-K n’est qu’une lointaine filiale, issue en 2014 d’une scission des Taliban du Pakistan différents de ceux de Kaboul. Depuis, ISIS- K survit à l’est du pays, commettant parfois un attentat meurtrier : 13 soldats américains tués lors de l’évacuation de Kaboul à l’été 2021, un attentat-suicide à l’ambassade russe locale, en septembre 2022.
Autre mystère : au pouvoir à Kaboul, les Taliban afghans surveillent les bases d’ISIS-K à l’est du pays et affirment aux services russes qu’aucun téléphone des terroristes ayant frappé Moscou ne les a contactées. Mais qui donc finance ISIS-K ? Qui déclenche ses attentats ? On l’ignorera jusqu’à ce que l’enquête Russo-turco-tadjike ait abouti si ses résultats sont un jour dévoilés.
(*) Xavier Raufer, criminologue, est directeur d’études au pôle sécurité-défense du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est Professeur associé à l’institut de recherche sur le terrorisme de l’université Fu Dan à Shanghaï, en Chine, et au centre de lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale et la corruption de l’Université Georges Mason (Washington DC). Directeur de collection au CNRS-Editions, il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité et au terrorisme, répertoriés dans la rubrique LIVRES d’ESPRITSURCOUF. Il a écrit “A qui profite le djihad ?” publié en mars 2021 aux Éditions Cerf, et présenté dans la rubrique LIVRES dans le numéro 164. |
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