1918 :
LIBERTÉ D’EXPRESSION ?
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par le colonel André Dulou (*)
Ecrivain, historien
Merci à André Dulou, lecteur d’ESPRITSURCOUF.fr de réagir au numéro 100 exceptionnel « Censure et liberté d’expression ». Il apporte comme historien la situation des armées après la Grande guerre, cet article donne aussi un éclairage complémentaire à l’article paru dans le n°96 « Après1918: le douloureux temps de la paix ».
Si l’on lit quelques textes officiels, et notamment si l’on plonge dans les règlements de l’époque, on se rend compte très vite qu’il y a un discours « officiel », et des articles qui, sans critiquer, perfectionnent, et qui, sans dévoiler leur auteur, prêtent au commandement des intentions de censure évidentes.
Il faut bien s’y résoudre, les statuts de 1918, les règlements antérieurs et juste postérieurs (1920, 1924, puis 1933 et 1934) interdisent aux officiers de publier sous leur nom, puis interdisent tout court, de disserter sur la Grande guerre. On doit rechercher une doctrine, qui sera basée sur « le génie national », celui des vainqueurs. Alors, c’est à « la civilisation française » que l’on doit la victoire sur la « Kultur allemande ». Si cette pensée peut stabiliser un pays qui panse ses plaies, ce n’est pas toujours du goût des officiers qui ont connu cette guerre meurtrière.
On souhaite encore et encore disserter sur le sujet millénaire : « la guerre, art ou science ? »
Le raisonnement stratégique emprunte alors au discours sur la méthode les méthodologies adaptées, tout en ignorant les théories de Clausewitz, alors qu’Engels signale à Marx comment Clausewitz a contourné la difficulté d’une doctrine trop rigide.
Paul Valéry dénonce à son tour « les pièges de l’histoire ». Le haut commandement place cette péroraison dans le concours d’entrée à Saint-Cyr, et demande aux candidats de réfuter les termes du discours. Mais cela ne s’arrête pas à ce genre d’action.
Quant au général Julien Faugeron (instructeur et professeur à l’école de guerre), il ne souhaite pas que l’on prétende que la prochaine guerre sera différente de la précédente : « il serait folie de puiser dans celle-ci les leçons de celle-là ».
Aussi est-il très difficile à la nouvelle génération d’officiers, celle qui n’a pas connu « le feu », de se faire une idée de la gloire des anciens, et surtout de préparer et de se préparer au combat. Les généraux qui souhaitent faire étudier la Grande guerre de 1914 – 1918 ne sont pas légion. Ils préfèrent faire travailler « du lieutenant au colonel » sur des terrains « innovants », tout en cultivant les leçons de l’histoire. Encore faut-il comprendre que cette histoire se double d’une prise de conscience aigue de la rupture possible de la transmission par la voie orale des conditions du feu. Pour ne pas avoir la permission d’écrire, les cadres transmettent, racontent, ce qui est de leur passé, pour meubler l’instruction.
La méthode expérimentale n’est autre que la méthode historique.
C’est la raison pour laquelle le haut commandement pousse à conduire des options « histoire » dans tous les examens et concours militaires. Et cependant, l’article 28 du règlement de 1924 impose aux officiers qui souhaitent évoquer la guerre de 14 – 18, d’en demander l’autorisation : le manuscrit doit être adressé au ministère de la guerre, par la voie hiérarchique (peu sont accordées) ; des sanctions importantes sont prévues et il faudra attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que l’on découvre que la « primauté du feu » était quelque peu …étriquée.
(*) Colonel (cr) André Dulou
André Dulou est né le 26 janvier 1947 à Sainte-Savine, dans la banlieue de Troyes, dans l’Aube.
Après avoir suivi les cours des lycées de Troyes et de Tonnerre, il entre à l’école militaire préparatoire d’Aix-en-Provence où il réussit son baccalauréat, série Mathématiques élémentaires, puis suit les classes préparatoires scientifiques.
Il a été ouvrier, puis chargé d’études dans une grande entreprise de construction navale, il bénéficie de l’extraordinaire ascenseur social qu’est l’armée française.
Ancien élève de l’école militaire d’administration, son parcours est atypique : Chancelier, chef de cabinet, spécialiste des questions d’événements graves, il quitte le service avec le grade de colonel.
Diplômé technique, breveté, il est auditeur du CFRH et de l’IHEDN.
Il est directeur des relations médias d’ESPRITSURCOUF.
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