TRUMP
EST-IL NOTRE AMI ?

de Richard Labévière(*)
Journaliste, spécialiste en RI

Un ambassadeur de France, toujours en fonction, explique « on finira par se demander pour qui la diplomatie française travaille réellement et, surtout, si Washington n’est pas en train de jouer délibérément contre la sécurité de la Vieille Europe, donc de la France. Et au risque d’être accusé d’anti-américanisme primaire, on peut prolonger le questionnement en essayant de faire preuve d’un minimum de lucidité à propos de la « première démocratie du monde ». En considérant les humiliations successives infligées par Donald Trump à l’Europe et à la France en particulier, son mépris déclaré (pas seulement « tweeté ») à l’encontre de l’Union européenne, l’on est en droit de se demander aujourd’hui si les Etats-Unis sont toujours nos « amis » !

A peine arrivé à la Maison Blanche, Donald Trump déchire l’accord sur le nucléaire iranien : les « trois M » (May, Merkel, Macron) envoient une même lettre à la Maison Blanche pour signifier leur attachement commun à ce texte qualifié de « bon accord pour l’Europe » et que l’Iran respecte à la lettre. Mais, comme on l’a vu, rien n’y fait !

Sur le front du BREXIT, Donald Trump profite des cérémonies du 75ème anniversaire du « Jour-J » (juin 2019) – durant lesquelles tous les participants, à l’unanimité, s’efforcent de louer les bienfaits du multilatéralisme en faveur de la paix – pour jeter de l’huile sur le feu. Il engage publiquement, sans aucune gêne, le Royaume-Uni à accélérer sa sortie de l’UE pour constituer un nouvel axe de libre-échange avec… les Etats-Unis ! Certainement une nouvelle preuve d’amitié…

Washington se retire aussi de l’accord de Paris sur le réchauffement climatique. Lors du G-20 d’Osaka, les 28 et 29 juin derniers, l’ensemble des pays présents signent un nouvel accord (Xème accord dit de « prise de conscience ») sur le dérèglement climatique, à l’exception de… Washington ! A tout le moins, cette nouvelle provocation délibérée aurait dû inciter l’ensemble des participants à adopter de sévères sanctions économiques contre les… Etats-Unis défiant ainsi résolument les conclusions des plus grands experts de la planète en climatologie. Nouvelle manifestation d’une indéfectible amitié du genre humain !

Aujourd’hui, les Etats-Unis maintiennent un régime de sanctions économiques et politiques à l’encontre de plus d’une cinquantaine pays. Un seul exemple : Cuba, qui depuis la fin de la Guerre froide ne constitue plus une menace pour personne. Par voie d’un référendum exemplaire, ce petit pays vient de confirmer la réforme de ses institutions. Mais en réponse à cette réelle ouverture, saluée par la majorité des pays d’Amérique Latine, Donald Trump décide de prendre de nouvelles sanctions contre l’île rebelle vivant sous blocus américain depuis 1962 !

A cette liste édifiante de marques d’amitié, on pourrait ajouter la série de coups tordus des services de renseignement américains qui écoutent en permanence les conversations téléphoniques d’Angela Merkel, d’Emmanuel Macron, de Jean-Claude junker et d’autres responsables européens. Sous prétexte de lutte anti-terroriste, les mêmes espionnent aussi les conseils d’administration des grands groupes européens, lorsqu’ils sont engagés dans des passations de marchés intéressant aussi les grandes sociétés américaines. Qu’on ne s’étonne pas ensuite de voir passer nos fleurons industriels en des mains étrangères (chantiers navals, Alstom, Technip, etc.), ainsi qu’Airbus qui finira, à terme, comme sous-traitant de Boeing…

Preuves à l’appui et sans rappeler l’assassinat programmé du Concorde par Washington : les échecs répétés de Dassault-Aviation pour vendre le Rafale à Singapour, aux Pays-Bas, à la Suisse ou au Brésil, s’expliquent tout aussi rationnellement par cette indéfectible amitié que vouent les Etats-Unis à leurs « alliés » occidentaux de toujours.

ETRE OU NE PAS ETRE ?

Le rappel de ces quelques facéties du dernier locataire de la Maison Blanche présente au moins un avantage  : restituer le monde d’aujourd’hui tel qu’il est, avec ses rapports de force économiques, politiques, sinon culturels. A travers ses impulsions d’agent immobilier, l’actuel président américain illustre parfaitement les ruses de la mondialisation post-Guerre-froide : celles de la victoire sans partage du Leviathan de Thomas Hobbes, où règne désormais une « guerre de tous contre tous » de tous les instants et à tous les niveaux. Cette réalité complexe voit se multiplier menaces et ennemis. Quant aux « amis », ils deviennent de plus en plus incertains, mobilisés par les seules défenses, recherches et promotions de leurs seuls intérêts : America First !

Que notre diplomatie, en tire les conséquences ! Dans un « tel monde », répète  Hubert Védrine (toujours prudent dans ses analyses de consultant international) , « la différence se fait, maintenant entre ceux qui savent ce qu’ils veulent » – et que cela nous plaise ou non -, « à savoir la Chine, la Russie, l’Inde, d’autres… et ceux qui ne savent pas… ».

Les pays européens – et tout particulièrement la France – sait-elle aujourd’hui ce qu’elle veut ? Quels sont ses intérêts et ses ennemis ? Qui sont ses amis, ses vrais amis ? Telle est la question : être ou ne pas être ! La célèbre tirade d’Hamlet, la pièce de William Shakespeare est prononcée sur les remparts du château de Kronberg à Elseneur au Danemark. Un lieu magnifique à visiter absolument. Nous y sommes !


***********************………..******* (*) Richard Labévière

Il a été rédacteur en chef à la Télévision Suisse Romande (TSR) et à Radio France International(RFI). Rédacteur en chef bénévole de Défense, la revue de l’Union-IHEDN (Institut des hautes études de défense) de 2003 à 2011, il exerce depuis 2010 comme consultant en relations internationales et en question de défense et sécurité. Depuis 2012 Vice-Président d’espritcors@ire (Observatoire de la Défense et de la Sécurité, réseau d’experts des questions de défense et de sécurité). Depuis 2014, il est rédacteur en chef du site Proche & Moyen-Orient – Observatoire Géostratégique. Il est aussi membre de la rédaction du mensuelAfrique-Asie et d’ESPRITSURCOUF.fr. Il est officier de réserve opérationnelle de la Marine nationale.


Richard Labévière écrit régulièrement
sur le site Proche & Moyen-Orient
répertorié dans la rubrique Revues et Lettres
de la “Communauté Défense et Sécurité” d’ESPRITSURCOUF.fr


Le prochain n° 120 d’ESPRITSURCOUF paraitra le lundi 9 septembre,
Bonne lecture