HOMMAGE À VÉRONIQUE ROBERT

Richard Labévière
Rédacteur en chef

Les obsèques de Véronique Robert, morte de la suite de ses blessures survenues à Mossoul a eu lieu le vendredi 30 juin au Crématorium du Mont Valérien. Sa famille avait demandé à l’auteur de ces lignes de lui rendre hommage. Celui-ci poursuit notamment un questionnement sur les conditions d’engagement des journalistes en zone de combat, sur un processus actuel d’« uberisation » du reportage. Nous en reproduisons les termes :

« On s’est parlé quelques jours avant l’accident. La communication était mauvaise. La conversation a roulé sur les conséquences de la libération de Mossoul quant à l’évolution de la situation en Syrie. Et puis la ligne s’est perdue dans les sables sans qu’on ait pu se dire « les mots des pauvres gens », comme disait Léo Ferré : « soit prudente, surtout ne prend pas froid… »

Véronique a été mon assistante de production à la Télévision suisse romande (TSR). Entre 1984 et 1987, nous avons partagé le même enthousiasme : ouvrir quotidiennement l’antenne de la chaine publique suisse de 12 heures à 13 h. 30 en collaborant à l’émission Midi-Public, produite par le journaliste Thierry Masselot (un ancien de l’AFP).

A cette époque, Véronique jouait intelligemment de ses vingt et un printemps pour convaincre les plus grands écrivains, cinéastes et artistes de venir à Genève, en directe sur notre plateau, afin de participer à la première tranche de diffusion de la chaine, qui comportait aussi deux journaux de dix minutes.

Sa curiosité, sa passion des gens, des mots et des choses, l’imposèrent vite comme l’une des meilleures assistantes de production de la petite chaine aux grandes émissions. Depuis 1969, le journaliste Claude Torracinta était aux manettes du magazine d’information Temps Présent, dont le professionnalisme honorait l’ensemble des collaborateurs de la télévision suisse.

Bien-sûr, le rêve de Véronique était d’accéder – un jour – à ce cercle d’excellence qui a vu passer les plus grands réalisateurs et journalistes dont Claude Goretta, André Gazut, Gérald Mury ou Jean-Claude Chanel, qui ont tous, PEU ou PROU, marqué le destin de Véronique.

Son élégance et son humour feront le reste de cette « femme hors norme », comme disent les gazettes d’aujourd’hui ; oui « hors norme », mais pas dans l’improbable géométrie du petit monde du « grand reportage », entre guillemets, non ! Hors norme dans la réalité de ses qualités humaines, en acte et en puissance d’héroïne aristotélicienne voulant accéder au savoir absolu et à tous les secrets du monde.

Intuitive, charmeuse et infatigable preneuse de notes, on la retrouve au cœur de nombreuses affaires d’Etat, confidentes des protagonistes majeurs de plusieurs scandales ayant défrayé et effrayé la Vème République. Le rappel de ces dossiers n’est pas – ici – très utile pour souligner son insatiable désir de comprendre les rouages les plus cachés de la puissance, du pouvoir… du réel.

Un jour je la croise avec le Prince de Machiavel sous le bras et lui demande naturellement, un peu amusé, pourquoi elle lit ce livre maintenant… Parce que ça m’intéresse !!! répondit-elle avec un air de défi, sans autre commentaire ! Ca… ce sont les instannés de Véronique !

Pionnière peut être, agaçante parfois… gonflée, très gonflée sûrement ! Roi de Perse ou de Navarre, personne ne l’a jamais impressionné. Hors norme oui ! notamment pour vérifier les affirmations de telle ou telle dépêche par des coups de fil au milieu de la nuit…

Hors norme certainement pour partir au pôle nord en maillot deux pièces, mais surtout hors norme dans ses réactions de vie, de femme libre, de compassion et de joie, de don et de partage, de soif de vivre et de comprendre…

Alors les Tweets de la profession des « journalistes de combat » aux « héros morts au champ d’honneur de la liberté d’informer » ne me semblent pas suffire à qualifier cette belle personne… d’autant qu’ayant fréquenté quelques-uns de ces théâtres, je ne suis pas sûr qu’on y croise toujours des êtres de lumière !

Comme aimait le dire Albert Londres, aucun reportage – aucun – ne mérite qu’on aille se faire trouer la peau ! Par contre, on peut – on doit – toujours s’interroger sur les finalités de cette fameuse « liberté d’informer », sur ses méthodes, ses résultats, sinon sur son épistémologie générale.

J’y insiste parce que ce fut l’un de nos sujets de trente ans de dispute, de complicité et de profonde amitié. L’heure n’est certainement pas à la polémique, mais ne peut passer à la trappe quelques questions de fonds.

Je sais que Véronique me demande de les re-poser, en toute gravité et responsabilité. Celles-ci concernent les règles d’engagement des pigistes en zones de guerre par les grands médias publics et privés français ; les objectifs et les finalités de ce type d’engagement ; enfin, la préparation, le cadrage et la logistique de ces reportages extrêmes ! Le départ de Véronique s’inscrit dans ce retour sur images et dans leurs conditions de production.     

Donc femme hors norme – bien-sûr – personnalité rhizomatique, c’est-à-dire débordant toujours les cadres et les catégories dans lesquelles on aurait pu croire la stabiliser… C’est dans ces débordements – même – qu’elle nous enchante, encore et surtout à travers ce départ si brutal, en continuant à poser – à nous poser – des questions en Mille Plateaux

Des vagues du lac Léman, aux plissements des Alpes vaudoises et valaisannes, Véronique est ce mélange de Tabarly et Roger Frison Roche, de René Desmaison et Duguay-Trouin. Franco-suisse – comme votre serviteur – doublement patriote, répétant sans cesse en bon français MY COUTRIES FIRST. Patries et honneur aussi, Sébastien et Alexandre en savent quelque chose…

Je voulais justement t’honorer – Véronique – dans ma tenue 22 de la Marine nationale, parce que fille des montagnes et du désert, tu restes un laboureur de la mer…

Aujourd’hui, je pense particulièrement à ta Maman, à Bruno, Stéphane, à Sébastien et Alexandre… à toutes celles et ceux que tu as enchanté par tes expressions inattendues…

Par tes initiatives les plus baroques, par tes questions et tes coups,

Par la douceur de ta voix et le mouvement de tes cheveux…

Par ton indéfectible optimisme…

Tu fus – tu es – une si belle personne…

Tu restes – ainsi – à jamais dans nos cœurs et nos âmes… »

Richard Labévière