ROUVRIR NOTRE AMBASSADE A DAMAS !
Richard Labévière
Rédacteur en chef
Dans L’Insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera nous rappelle combien l’indécision peut être à la fois délicieuse et dramatique. Dans un entretien accordé le 21 juin dernier à huit quotidiens européens, dont Le Figaro, le nouveau président de la République française vitupère contre le « néo-conservatisme importé (des Etats-Unis) depuis dix ans », sans aller jusqu’à évoquer le surgeon français de cette idéologie mortifère dont les petits soldats peuplent pourtant la cellule diplomatique de l’Elysée, le Quai d’Orsay et le cabinet du ministre de la Défense. Ne parlons pas des insubmersibles conseillers es-stratégie – tous partisans de la guerre anglo-américaine d’Irak au printemps 2003 -, qui reprennent du service.
Dans ce premier flottement entre Les mots et les choses, dont Michel Foucault nous assure que toutes les torsions de pouvoirs sont possibles, le président Macron définit en quelques phrases quelle pourrait être sa politique envers la Syrie : « je n’ai pas énoncé (sic) que la destitution de Bachar était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime ». et de rappeler que la guerre franco-britannique de Libye (mars 2011) a transformé ce pays en « Etat failli (…) Je ne veux pas de cela en Syrie ». Et encore : « les groupes terroristes, ce sont eux nos ennemis (…) Et nous avons besoin de la coopération de tous, en particulier de la Russie ».
Quelques jours plus tard – dans Le Monde du 30 juin – le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian nous explique que « le réalisme, c’est aussi de ne pas faire croire qu’il puisse y avoir une solution du conflit autour de lui (Bachar al-Assad). Je vois mal comment les réfugiés qui ont fui ou ont été chassé par lui pourraient revenir en l’absence d’évolution en Syrie ». Voilà pourtant plus de six ans maintenant qu’on sait que la personnalisation de la crise syrienne, ramenée exclusivement à Bachar al-Assad, n’est pas la bonne entrée pour comprendre et agir dans le contexte de cette guerre civiol-globale faisant interagir plusieurs niveaux de conflictualité !
L’auteur de ces lignes a suffisamment côtoyé les réfugiés syriens en Jordanie, au Liban, en Turquie et ailleurs pour savoir et affirmer que nombre d’entre eux ont fui leur pays à cause des exactions commises par la rébellion soi -disant « modérée » et « démocratique » et parfois armée par la France éternelle. Songeons seulement au village chrétien martyr de Maaloula où les femmes furent violées durant des heures avant qu’on leur coupe les seins, les mains et les pieds… à la scie !!! Les auteurs de ces crimes étaient « les bons p’tit gars » dont Laurent Fabius a pu dire qu’ils faisaient « du bon boulot… » Apportant des preuves accablantes à Laurent fabius – de ces massacres de Chrétiens en Syrie -, le patriarche maronite libanais Bechara Rahï s’était vu répondre que tout cela n’était pas si grave puisque concernant des gens qui soutiennent Bachar… Hallucinant !
Certes, Monsieur Macron vient de prendre ses fonctions et nous ne doutons pas de sa volonté de refonder la diplomatie de notre pays – qui est sortie des écrans Proche et Moyen-Orientaux depuis mars 2012 – date à laquelle Alain Juppé a pris la responsabilité de fermer notre ambassade à Damas. Certes, il ne s’agit pas de rouvrir aujourd’hui cette même ambassade en fanfare, mais ne devrait-on pas – dans un premier temps – envisager d’y nommer un chargé d’affaires, comme l’ont fait le Brésil et plusieurs pays européens dont l’Espagne et la Pologne ? Pourrait-on – ensuite – examiner sérieusement s’il n’est pas temps de lever les sanctions qui frappent lourdement la Syrie, afin de faciliter le travail courageux que mène actuellement Staffan de Mistura pour les Nations unies à Genève.
Dans tous les cas de figures, ces deux décisions permettraient à la France de revenir dans les deux processus de négociation – Genève et Astana – où notre diplomatie ne dispose pas du moindre strapontin ! Dans tous les cas de figures, il est temps que cette insoutenable légèreté française prenne fin pour faire place à une diplomatie construite et pro-active, se remettant au service des intérêts de notre pays aux Proche et Moyen-Orient, en se recentrant sur les nouveaux enjeux stratégiques de la Méditerranée – qui n’est d’ailleurs plus une mer occidentale !
Richard Labévière
10 juillet 2017