ALGÉRIE :
REMONTER AUX CAUSES DU TERRORISME 

 

Par Richard Labévière,
Rédacteur en chef

Au moment où la politique de la France vis-à-vis de l’ ALGÉRIE envoie des signaux contradictoires :

d’une part, la décision du président Macron de reconnaître la «responsabilité de l’Etat français» dans la mort de Maurice Audin, et l’existence d’un «système» de torture «institué légalement» par l’armée coloniale pour terroriser les indépendantistes algériens 

d’autre part, un décret présidentiel du 20 septembre 2018, le président Macron a promu une vingtaine de harkis aux ordres de la Légion d’honneur et du Mérite.

ou la décision du gouvernement français de ne plus assurer la protection de l’ambassade d’Algérie à Paris, et en application du « principe de réciprocité », les autorités algériennes auraient levé la protection policière sur les bâtiments diplomatiques français en Algérie.

et  selon Bernard Bajolet, ancien ambassadeur de France en Algérie (2006-2008), ex-patron de la DGSE (2013-2017), le président Bouteflika serait «maintenu en vie artificiellement».

 

Six mois avant les élections présidentielles nous avons jugé utile de constituer ce numéro spécial : ALGERIE, APRES BOUTEFLIKA ?   

Richard Labévière, dans ce BILLET remonte aux causes du terrorisme en reprenant les thèmes du livre récemment publié : « Les Voies de la paix – Rahma, concorde et réconciliation dans le monde »1 d’ Ammar Belhimer pour restituer l’expérience algérienne en matière de contre-terrorisme et de retour à la paix.   

Ammar Belhimer est Docteur en droit, professeur à l’université d’Alger-1, il est essayiste et chroniqueur du quotidien Le Soir d’Algérie. Auteur de plusieurs ouvrages en langues arabe et française, Ammar Belhimer a, notamment publié « La Dette extérieure de l’Algérie : une analyse critique des politiques d’emprunts et d’ajustement »2, « Les Printemps du désert »3 et « Les Dix nouveaux commandements de Wall Street »4.

L’universitaire n’en délaisse pas pour autant l’actualité quotidienne de son pays, du Maghreb et plus largement de la Méditerranée, des Proche et Moyen-Orient. Au carrefour de ses grandes compétences en droit, en économie politique et relations internationales, Ammar Belhimer a recherché les causes profondes de La Décennie sanglante (1988 – 1998) – une guerre civile très meurtrière déclenchée par des Islamistes algériens et étrangers bien avant l’interruption du processus électoral en décembre 1991 – afin de restituer l’expérience algérienne en matière de contre-terrorisme et de retour à la paix. Qu’elles succèdent à des périodes de dictatures ou qu’elles résultent de conflits internes, d’ordre ethnique ou théocratique, les politiques de réconciliation visent partout à initier un dialogue entre protagonistes pour panser les blessures, réparer les dégâts matériels, physiques et psychologiques, avant de retrouver le chemin du développement, de la démocratie et des libertés.

De l’Afrique du Sud au Maroc en passant par la Birmanie et l’ex-Yougoslavie, ces politiques révèlent une grande diversité de voies et moyens susceptibles de réconcilier les parties et forces en présence pour les ramener à une paix retrouvée, durable et constructive. Le modèle algérien de dialogue, de concorde et de réconciliation déroge au kit usité de « vérité et réconciliation », élaboré par les organisations internationales des droits de l’homme en empruntant une voie référendaire (pour une solution négociée et consensuelle) sur la base d’un texte juridique singulier et inédit : la Charte pour la paix et la réconciliation.

Mais avant de nous traduire soigneusement cette voie algérienne, Ammar Belhimer interroge les causes du terrorisme, de la violence radicale et leurs développements dans le monde des années 1980, c’est-à-dire bien avant les attentats du 11 septembre 2001. Il s’agit d’abord de sonder les lendemains de dictatures en Espagne, au Chili, dans l’Allemagne de la chute du Mur, en Afrique du Sud après l’apartheid, au Rwanda après les génocides, en Bosnie ou en Tunisie. Plus en amont encore, Ammar Belhimer interroge les responsabilités du wahhabisme saoudien et les « réformes » du jeune prince héritier Mohammed ben Salman (MBS) en visitant les effets destructeurs de cet islamisme du chéquier en Asie centrale et en Asie du Sud-Est, en Malaisie-Singapour, en Indonésie et aux Philippines. Et puis ce seront les attentats du 11 septembre 2001, quand l’Occident découvre soudainement la violence de l’Islam radical par qu’elle vient de frapper le cœur du territoire des Etats-Unis. Médiatisée globalement, l’attaque va provoquer une « guerre globale contre la terreur » qui tournera vite au fiasco en augmentant le mal qu’elle était censée combattre, alimentant de multiples disputatios sur le djihadisme, les Musulmans de gauche, les islamo-gauchistes, la déradicalisation, la laïcité et la lutte anti-terroriste, autant d’objets et rhétoriques qui vont occuper le devant des scènes médiatiques, universitaires et politiques sans pour autant éclaircir le contenu des dossiers en question. Tout au contraire, cet empilement de problématiques liées au terrorisme et à la sécurité va générer une économie spécifique et profonde, parfaitement conforme aux procédures inhérentes à la mondialisation néo-libérale. « L’apport des ‘réseaux sociaux’ à la radicalisation, à la conversion et au recrutement des jeunes européens témoigne largement de cette donne. « Analysant le ‘choix cornélien’ entre sécurité et liberté, entre guerre et mesure policière, entre dispositifs législatifs réguliers et d’exception au cœur des politiques anti-terroristes, les Algériens ont été des précurseurs en la matière, en se divisant entre éradicateurs et réconciliateurs », souligne Ammar Belhimer.

PAIX ET DERADICALISATION EN ALGERIE

Il fallait d’abord corriger nombre d’idées reçues et de contre-sens sur cette « deuxième guerre d’Algérie » et déconstruire aussi les figures propagandistes des grands médias français ( ces informations partiales qu’ ESPRITSURCOUF souhaite corrigées) , inventeurs du fameux « Qui-tue-qui ? ». Cette fantasmagorie attribuait les attentats islamistes à… l’armée algérienne, cherchant ainsi à se maintenir au pouvoir !!! Il fallait le trouver et oser l’affirmer !!! Cette presse d’influence a engagé plusieurs pays européens à accueillir des égorgeurs de l’ex-FIS (Front islamique du salut) et des GIA (Groupes islamiques armés) au nom de la démocratie et de la défense des droits de l’homme. Si elle a été consciencieusement ostracisée et dénaturée par la grande presse internationale, La Décennie sanglante ne s’est pas, pour autant, déroulée en vase clos. Ammar Belhimer passe en revue acteurs, protagonistes proches et plus lointains dont les Comité des droits de l’homme de l’ONU, les ONG et les médiateurs comme ceux de la communauté de Sant ’Egidio. C’est à la lumière de différents contextes politiques nationaux et internationaux qu’il s’agit aussi de restituer les fondements de la voie algérienne : traitement initial, loi sur le terrorisme et la subversion, ordonnances « Clémence et repentance », accompagnements institutionnels en matière de droits de l’homme, enfin textes « Clémence et concorde civile ». En juillet 1999, trois mois après son arrivée au pouvoir, le président Abdelaziz Bouteflika fait adopter par le parlement une loi sur « la concorde civile », qui sera, par la suite, approuvée par référendum le 16 septembre 1999. Il s’agit de la loi numéro 99-08 du 13 juillet 1999 relative au rétablissement de la concorde civile. Son objet : « des mesures particulières en vue de dégager des issues appropriées aux personnes impliquées et ayant été impliquées dans des actions de terrorisme ou de subversion qui expriment leur volonté de cesser, en toute conscience, leurs activités criminelles en leur donnant l’opportunité de concrétiser cette aspiration sur la voie d’une réinsertion civile au sein de la société ». Ainsi, les personnes qui cessent toute activité de terrorisme, en avisent les autorités compétentes et se présentent à elles, bénéficient – selon le cas – de l’une des mesures suivantes : « l’exonération des poursuites, la mise sous probation, l’atténuation des peines et l’exonération des poursuites ». La mise en œuvre de ces différentes mesures n’a pas été sans problème, toujours est-il qu’hormis quelques queues de réseaux, notamment dans le sud du pays, l’activité terroriste a été globalement éradiquée en Algérie. Le ministre des Affaires religieuses Mohamed Aïssa a lancé plusieurs programmes de déradicalisation qui ont intéressé plusieurs pays dont… les Etats-Unis. Néanmoins, des concessions – comme la fermeture de débits de boissons alcoolisées – ont dû être faites aux islamistes et à plusieurs de leurs organisations qui ont renforcé leur emprise dans les quartiers et la rue algérienne. En définitive, conclut Ammar Belhimer, la lutte contre le terrorisme et l’ouverture des voies de la paix ne dépendent pas d’un coup de baguette magique, ni de formules incantatoires. « Les politiques de réconciliation résultent nécessairement de compromis entre belligérants (…) Ces politiques n’offrent pas de kit(s) prêt(s) à l’emploi, mais résultent bien plus souvent d’une sorte de ‘tâtonnement walrasien’: les parties en conflit se jaugent, pèsent leurs forces et leurs faiblesses, évaluent leurs intérêts réciproques pour parvenir à des compromis et des solutions négociées plus ou moins durables et acceptables pour tous. Elles y parviennent d’autant mieux (au moindre coût) et vite que leurs échanges auront été libres et conscients ». On a souvent eu l’occasion de l’écrire ici, dans ces colonnes : le contre-terrorisme n’est pas une science exacte mais nécessite d’abord une mobilisation résolue d’appareils d’Etat nationaux volontaires. Avec douleur mais détermination, l’Algérie (dans une grande solitude internationale) a fait face à l’une des offensives terroristes les plus meurtrières de l’histoire contemporaine. Sa résistance et ses ripostes ont valeur d’exemples et nous transmettent nombre d’enseignements. Le livre d’Ammar Belhimer en constitue Le discours de la méthode. Il ouvre des perspectives et forgent des moyens de riposte à mettre en œuvre face à une mondialisation sauvage qui génère – organiquement – la violence terroriste, la casse des Etats-nations, de leurs services publics, de leurs politiques de redistribution sociale et, en dernière instance, de leur souveraineté.

1 Ammar Belhimer : Les Voies de la paix – Rahma, concorde et réconciliation dans le monde. ANEP – Editions, 1er semestre 2018.
2 Casbah-Editions, 1998.
3 ANEP-Editions.
4 ANEP-Editions, 2017.

 

 Extrait de http://prochetmoyen-orient.ch/

 
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