LEÇONS D’ASTANA…

Co-organisé par la Russie, la Turquie et l’Iran, le sommet qui s’est achevé – mardi 24 janvier –  dans la capitale kazakhe sur la Syrie marque indéniablement une avancée. Dans la déclaration finale, les trois pays co-organisateurs s’engagent à consolider le cessez-le-feu décrété fin décembre, dans la foulée de la reprise d’Alep-Est par les forces gouvernementales. .

On peut désormais parler d’un avant et d’un après Astana et en tirer quelques enseignements.

La première leçon d’Astana, c’est d’abord le premier face-à-face entre « ceux qui ont véritablement prise sur le terrain », selon Moscou au détriment des opposants politiques relégués à l’arrière-plan. La cérémonie d’ouverture dans un hôtel de luxe d’Astana, a permis une photo inédite : 13 chefs militaires de la rébellion syrienne – dont ceux de Jaïch Al-Islam et Ahrar Al-Cham, deux groupes salafistes – assis autour d’une même table avec les représentants du gouvernement de Damas. Ensuite, les négociations se sont poursuivies à travers des portes closes, par médiateurs russes et turcs interposés. « Notre délégation est venue du front pour obtenir quelque chose, sinon nous avons toujours entre nos mains les armes », menaçait encore mardi matin Oussama Abou Zeid, un représentant des rebelles. Mais, même difficiles, les discussions ont permis d’aborder la question de la consolidation du cessez-le-feu, du désarmement, des prisonniers et de l’amnistie pour les factions qui accepteront de rendre les armes.

La deuxième leçon d’Astana rappelle qu’il ne faut jamais mettre la charrue avant les bœufs. Autrement dit, avant d’envisager la transition politique, sinon l’avenir de la Syrie – avec ou sans Bachar al-Assad – il s’agit de continuer à élargir le cessez-le-feu, notamment dans la grande banlieue de Damas où les groupes terroristes ont empoisonné des réservoirs d’eau potable. Dans tous les cas de figures, ce sommet marque une avancée réelle par rapport au processus de Genève, resté bloqué à trois reprises : d’ores et déjà, Astana transforme la nature du processus des Nations unies dont les pourparlers devraient reprendre le 8 février prochain.

Enfin, Astana inspire une dynamique de « groupe de contact », que l’on peut rapprocher de celle qui permit de sortir des guerres balkaniques par l’accord de Dayton le 14 décembre 1995. Sergueï Lavrov et Vladimir Poutine reproduisent à leur compte cette dynamique qui a commencé par la création d’un « groupe de contact » assemblant les pays voisins et les puissances susceptibles de peser sur un conflit global à entrées multiples, même si ceux-ci ont des intérêts distincts, voire divergents. Mais c’est justement dans cette dynamique de groupe de contact que les contradictions principales finissent par s’imposer et supplanter des oppositions secondaires, permettant ainsi de rapprocher les positions pour consolider le cessez-le feu et relancer des mesures de confiance en vue d’aborder dans un second ou troisième temps une séquence plus politique qui rompe avec la posture unilatérale des puissances occidentales à commencer par celle des Etats-Unis et de la France. Cette posture réaffirme aujourd’hui encore – on le voit dans la campagne pour l’élection présidentielle française – que l’avenir de la Syrie ne doit pas se faire avec Bachar al-Assad. Comme si c’était à la France, à la Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, aux pays du Golfe ou à Israël de dire ce que doit être l’avenir politique de la Syrie ?

Astana s’est attaché d’abord à restaurer des mesures de confiance, un cessez-le-feu et le désarmement des factions rebelles pour que la Syrie engage sa reconstruction économique et politique avec les Syriens eux-mêmes. Le moment venu, ce sera aux Syriens de décider de cet avenir politique qui ne passe plus seulement sous les fourches caudines américaines et plus largement occidentales. L’absence américaine et européenne des négociations d’Astana est parfaitement conforme à la diplomatie que ces pays ont mené depuis le début de la crise et surtout à partir de juillet 2011, lorsque Barack Obama, David Cameron et Nicolas Sarkozy ont réclamé de concert l’abdication du président syrien.

L’absence des Américains mais aussi d’autres pays occidentaux, comme la France, marque l’échec cinglant de leurs diplomaties respectives sur ce dossier dans la mesure où elles cherchaient d’abord à démanteler le gouvernement baathiste pour faire de la Syrie ce qui a été fait de l’Irak et de la Libye avec les conséquences que l’on connaît. L’absence des Etats-Unis, de l’Europe et notamment de la France n’est pas une surprise et s’inscrit dans une incompressible logique, moins unilatérale et plus multipolaire qui aura plus de mal à imposer des changements de régime conforme aux seuls intérêts occidentaux, des pays du Golfe et d’Israël.  

La conférence d’Astana s’est tenue à un moment de transition pour une diplomatie américaine en train de reprendre ses marques entre une administration sortante et celle de Donald Trump. Cette transition n’a pas encore dit toutes ses ruses, mais on le voit désormais sur le dossier israélo-palestinien, Washington n’exerce plus le monopole de la médiation aux Proche et Moyen-Orient. Le retour stratégique et diplomatique, non seulement de la Russie et de la Chine, mais aussi de l’Iran – qui redevient une puissance régionale majeure – avec à la marge la Turquie – change la donne.

Après Astana, les Proche et Moyen-Orient sont moins unipolaires. La reconstruction politique et économique de la Syrie s’effectuera, sans doute, avec la Russie, l’Iran et la Turquie. Après Astana, où l’agenda a été dominé par les questions militaires, la tâche s’annonce toujours aussi ardue à Genève, mais « modifiée » et remaniée dans la mesure où la question de la transition politique ne devrait plus être barrée par l’exigence préalable du départ de Bachar al-Assad.

Les Occidentaux et les pays arabes, qui ont été écartés sans ménagement de la réunion d’Astana, où ils n’ont eu droit qu’à un strapontin, doivent désormais soutenir Moscou dans son entreprise diplomatique. Celle-ci s’est révélée inventive et ambitieuse. Au vu de ses différentes leçons, il y aura bien un avant et un après Astana…

Richard Labévière
06 mars 2017

 

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