LA DISSUASION NUCLEAIRE
SELON MACRON

par  Jean-Pierre Maulny (*)
Directeur adjoint de l’IRIS

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Emmanuel Macron, le 7 février, a prononcé sur la dissuasion nucléaire française  un discours majeur de son quinquennat, très attendu par la communauté militaire, et scruté à la loupe dans les chancelleries du monde entier. Jean-Pierre Maulny a lui aussi analysé les propos présidentiels, non sans surprises.

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Depuis le début du XXIe siècle, chaque président de la République prononce un discours sur la dissuasion nucléaire. Le discours d’Emmanuel Macron ne constitue donc pas, en cela, une nouveauté. Ce qui l’est davantage, c’est que son discours semble être une sorte « d’état stratégique » du monde, préambule à la présentation de la politique de Défense de la France. Emmanuel Macron ne s’est pas contenté de parler de l’arme nucléaire. En soi, c’est déjà une indication : l’arme nucléaire n’est pas tout.

La deuxième surprise est que le président de la République a mis l’accent sur la nécessité de formuler, dans un cadre européen,  une politique active en matière de désarmement – et donc de désarmement nucléaire. Cela, qui figure au début de son discours, peut paraitre paradoxal lorsqu’il s’agit de dissuasion. En fait cela témoigne d’un double basculement stratégique :

Les basculements

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Un petit rappel avant d’aller plus loin. Le traité « FNI » (forces nucléaires à portée intermédiaire), signé par Ronald Reagan et Michaël Gorbatchev en 1987, est le premier traité à avoir éliminé totalement une catégorie d’armes : les missiles (balistiques ou de croisière – à charges nucléaires ou conventionnelles)  tirés depuis le sol, d’une portée de 500 à 5.500 kilomètres. Le traité « New Start », signé par Barak Obama et Dimitri Medvedev, limite à 700 par pays le nombre de lanceurs nucléaires stratégiques, et à 1.550 le nombre de têtes nucléaires déployés sur ces lanceurs. Entré en vigueur le 5 février 2011, ce traité est valable dix ans, donc bientôt renouvelable.

Le premier basculement stratégique réside dans la reprise de la course aux armements, et sans doute la course à l’armement nucléaire, du fait du retrait des États-Unis du traité FNI en août 2019, et des risques de voir le traité New Start ne pas être renouvelé. La France n’a pas intérêt à se lancer dans cette course à l’armement nucléaire : elle y gagnerait peu en sécurité et elle s’y épuiserait financièrement. Avec la fin du traité FNI, c’est la sécurité de l’Europe qui est en jeu, puisque les missiles qui ont été interdits par ce traité se situaient en Europe.

Le second basculement stratégique est dans la lignée de toutes les interventions du président Macron sur les questions de sécurité depuis 2017. Sa réponse est européenne avant d’être nationale. Sur la question du désarmement, les Européens ont intérêt à se mobiliser : ils doivent devenir un acteur en propre pour leur sécurité, ce qui recouvre la nécessité de développer leurs capacités militaires…, mais aussi d’être actifs sur le champ du désarmement.

Pour le moment, les propositions sont peu précises. Les initiatives du Président Macron seront-elles suivies d’effets ? Jusqu’à présent, que ce soit sur la question du nucléaire iranien ou sur la nécessité de réintroduire la Russie dans le jeu européen, les initiatives présidentielles, certes louables, n’ont pas été couronnées de succès.

Souveraineté et dialogue.

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Emmanuel Macron est en cohérence avec ses prédécesseurs, car il a prononcé les mots clés : « Sur ce point, notre indépendance de décision est pleinement compatible avec une solidarité inébranlable à l’égard de nos partenaires européens ». Il n’est donc pas question de partager la prise de décision de l’emploi de l’arme nucléaire avec nos partenaires européens, comme vient de le proposer le parlementaire allemand de la CDU Johann Wadephul.

Pour autant, le président Macron a longuement rappelé l’inscription de la politique de défense française dans un cadre européen, son initiative européenne d’intervention, ainsi que la nécessité de développer une autonomie stratégique européenne : « Notre sécurité passe aussi inévitablement par une plus grande capacité d’action autonome des Européens ». Il en profite au passage pour gommer la connotation négative  cette autonomie stratégique vis-à-vis de l’OTAN. Là aussi les mots clés destinés à rassurer nos partenaires européens, notamment les Allemands, ont été prononcés, évoquant la France comme « fidèle à ses engagements dans l’Alliance atlantique, qui assure depuis soixante-dix ans la stabilité et la sécurité collective de ses membres et de l’Europe ».

Reste à montrer que la France, désormais seule puissance de l’Union européenne à disposer de l’arme nucléaire, prendra ses responsabilités pour la sécurité de l’Europe. Il y a d’une part l’affirmation selon laquelle « les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne. » Ce n’est pas véritablement une nouveauté, toutefois  l’expression employée formalise davantage l’extension de nos intérêts vitaux à l’espace européen.

Surtout, le président de la République a annoncé sa volonté de développer un dialogue stratégique avec nos partenaires, si ceux-ci le souhaitent, avec la possibilité d’être associés aux exercices des forces françaises de dissuasion. Et le président d’inscrire cela dans la construction d’une « véritable culture stratégique entre Européens ». Cette main tendue est une nouveauté. Des dialogues stratégiques portant sur les forces de dissuasion ont déjà existé par le passé, notamment avec le Royaume-Uni dans les années 90. Mais c’est la première fois qu’une telle initiative prend un caractère public et généralisé au niveau européen. C’est cela qu’il faut retenir : la France est prête à discuter de dissuasion nucléaire avec ses partenaires européens.

Fidélité et évolution

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Macron, dans la continuité de ses prédécesseurs.

Là encore, plus qu’ailleurs, les mots clés sont importants. Il faut les prononcer dans le bon ordre, sans dévier de la ligne. C’est un peu normal : tous les États, et notamment ceux nucléaires, vont disséquer ce discours. Il est impossible d’improviser dans ce domaine. Et  il faut relever des emprunts soit au général de Gaulle soit à François Mitterrand. Emmanuel Macron veut être fidèle à une ligne gaullo-mitterrandiste.

Aussi  a-t-il précisé que la France a toujours refusé que « l’arme nucléaire puisse être considérée comme une arme de bataille ». Et de réaffirmer « que la France ne s’engagera jamais dans une bataille nucléaire ou une quelconque riposte graduée ». Tout ceci n’est effectivement pas nouveau, mais ces expressions sont celles qu’on employait dans les années 60. La doctrine de la riposte graduée avait été élaborée aux Etats-Unis par le secrétaire à la Défense Robert Mc Namara en 1962. Elle s’opposait à la doctrine de la dissuasion prônée par le général de Gaulle.

De même, Emmanuel Macron a parlé « d’avertissement nucléaire unique et non renouvelable » en cas de méprise sur la détermination de la France à préserver ses intérêts vitaux. C’est la théorie de l’ultime avertissement qui avait été théorisée dans les années 80 sous François Mitterrand.

Reste qu’il y a des expressions qui sont nées dans les années 2000 et qui apportent sans doute plus de souplesse à la doctrine de dissuasion. Par exemple, la force nucléaire « garantit notre indépendance, notre liberté d’appréciation, de décision et d’action », ce qui suppose une menace d’emploi dans le cadre de crises plus complexes qu’une simple agression de nos intérêts vitaux.

Enfin, les deux composantes (air et mer) sont confirmées et c’est bien cela qui importe pour nos forces armées, puisque penser au renouvellement des outils de la dissuasion est inscrit dans la loi de programmation militaire 2019-2025.

(*) Jean Pierre Maulny
Géop
olitologue français, titulaire d’un DEA en droit public[ et d’un DEA en défense (1985).
Il a été chargé de mission auprès du président de la Commission de la Défense et des Forces armées de l’Assemblée nationale de 1997 à 2002.Il est responsable à l’IRIS des questions liées à la politique de défense, à la PESD et à l’OTAN, à l’industrie d’armement et aux ventes d’armes. Il dispense notamment un cours portant sur l’industrie de défense et les hautes technologies.
Il est un des deux directeurs adjoints actuels de l’Institut de relations internationales et stratégiques


Bonne lecture et rendez-vous le 09 mars 2020
avec le n°133 d’ESPRITSURCOUF

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