La Nouvelle-Calédonie,
Nickel et stratégies

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Thaïs Rigaux (*)
Etudiante en Sciences Politiques
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L’abondance de nickel en nouvelle Calédonie, une ile du Pacifique sous souveraineté française, entraîne plusieurs stratégies de la part des grandes puissances mondiales. Entre la Chine, les Etats-Unis et la France naissent ainsi des tensions diplomatiques et géopolitiques dans cette région désormais dénommée Indopacifique.
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Ses ressources naturelles et son emplacement confèrent à la Nouvelle Calédonie un intérêt stratégique majeur, démontré avec éclat lors de la seconde guerre mondiale. Le territoire,  français depuis 1853, a rallié la France Libre le 19 septembre 1940, avant de devenir une base arrière des armées américaines dans leur guerre de reconquête des iles du Pacifique occupées par le Japon.

L’impact du nickel
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Le nickel, ressource rare et convoitée, représente le poumon de l’économie calédonienne. En 2020, son exploitation a assuré  7% du PIB, selon un rapport de  l’Institut d’Outre-Mer. Le sol du « Caillou », surnom familier donné à la Nouvelle Calédonie, recèle environ 25% de la ressource mondiale. 33 pays produisent du nickel dans le monde, avec une production totale chiffrée en 2020 à 2,5 millions de tonnes, dont 200 000 tonnes extraites de la terre calédonienne.

L’économie de la Nouvelle Calédonie dépend des transferts avec la métropole, des variations des cours mondiaux du nickel, et de la maitrise de la « malédiction des ressources ». La malédiction des ressources est une expression qui désigne les divisions sociales, ethniques, religieuses et financières dans un pays exploitant une ressource naturelle. Pour que son extraction, son traitement et son commerce puissent être en accord avec une économie pérenne, les bénéfices de cette industrie ne doivent servir qu’à investir et épargner. Ils ne doivent pas être perçus comme un revenu stable pour l’Etat.

Cette richesse du nickel attise évidemment bien des convoitises et est à la base de tensions géoéconomiques, et donc de relations diplomatiques sensibles.

La France se positionne
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La Nouvelle-Calédonie, avec sa ZEE (Zone économique Exclusive) de 1,4 millions de kilomètres carrés, est un territoire qui jouit d’un statut particulier dans les institutions françaises. Sa place est  expliquée dans la Constitution, où une section lui est spécifiquement dédiée.  Son rôle a pris de l’importance ces dernières années, en devenant même une des « priorités de l’Union Européenne et internationale » selon Jean-Yves Le Drian, qui fut pendant cinq ans le ministre français des affaires étrangères. Ce « Caillou » permet à la France de s’imposer comme une grande puissance dans cette région Indopacifique, face à la Chine et aux Etats-Unis.  Le terme Indopacifique lui permet d’ailleurs  d’inclure ses autres territoires  dans la zone, comme  La Réunion, Mayotte ou les terres australes françaises.

Après les heurts et les malheurs de la colonisation et de la décolonisation, une crise identitaire sur l’île a laissé apparaître des fragilités liées au passé. Les revendications d’indépendance des kanaks, ethnie locale qui représente près de la moitié de la population, ont provoqué des troubles violents en 1988. Dix ans plus tard, les accords de Nouméa ont rendu possibles trois référendums afin de consulter les autochtones sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Trois référendums ont donc eu lieu depuis 2018, avec pour résultat « non » à l’indépendance.

Toutefois, lors du troisième référendum, supposé le dernier, en décembre 2022,  le Front de Libération Nationale Kanak Socialiste (FLNKS) a appelé à boycotter le scrutin, ce qui, d’après  lui,  invalide les résultats. La date du vote était estimée inappropriée en raison de la pandémie du covid et du processus de deuil reconnu important dans la culture kanake.

A la suite de ces trois référendums, qui ont donc légalement rejeté l’indépendance, des négociations doivent établir un nouveau statut pour la Nouvelle Calédonie, dans le cadre de la République Française. Mais cet avenir incertain ouvre assurément de nouvelles perspectives  aux deux autres grandes puissances de la région, la Chine et les USA.

Sur cette carte de la Nouvelle Calédonie, les terres riches en nickel sont en vert. Carte Sénat.fr

Convoitises chinoises
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La Chine s’intéresse à la Nouvelle-Calédonie pour le nickel et pour sa position géostratégique dans l’océan Pacifique. L’indépendance de l’île est pour les stratèges chinois le meilleur moyen pour mettre la main sur le nickel. Leur tactique consiste à étendre la diaspora chinoise et son influence à travers  son soft power. Cela représente une menace pour la stabilité des partis politiques déjà fragilisés par la crise identitaire. Des associations comme « l’amitié sino-calédonienne » véhiculent des idées politiques de rupture, on l’a vu pendant  les référendums sur l’indépendance.

En plus de cette diaspora, des émissaires chinois se montrent très actifs. En 2017, Jan Zhai, ambassadeur de Chine en France, s’est déplacé à Nouméa dans le but de rapprocher les deux territoires, en clair de corroder les liens postcoloniaux qui unissent le « caillou » à la France, et qui freinent l’accès des chinois. Il est venu avec des promesses plein les bras. « Si  la Nouvelle-Calédonie a besoin de quelque chose, la Chine peut l’aider » a-t-il dit, prenant pour exemple le tourisme et proposant la construction d’hôtels hauts de gamme.

La géolocalisation de l’île s’inscrit, elle, dans la stratégie appelée la stratégie du collier de perles. Cela désigne les différents points que Pékin ambitionne de conquérir pour ses installations portuaires et aériennes. Le régime de Xi Jinping, qui s’est approprié des îles en mer de Chine méridionale, tient déjà sous sa dépendance différents territoires  mélanésiens, la Papouasie, la Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, le Vanuatu, les îles Fidji. Il lui manque la Nouvelle-Calédonie qui permettrait de tendre une barrière face à la marine américaine.

Le jeu des Américains
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C’est à partir de 2012 que les États-Unis de Barack Obama ont commencé à se tourner résolument vers l’Asie. Le dernier épisode d ce vaste mouvement date de l’été 2022, lorsque Joe Biden a conclu un accord économique avec douze pays de la région : l’Indo-Pacific Economic Framework (IPEF). Cet accord vise évidemment à contrer la puissance chinoise. La stratégie américaine porte sur la défense des institutions démocratiques et le respect du droit maritime international que la Chine bafoue quelque peu.

Les Etats-Unis, qui ne possèdent qu’une seule mine de nickel à la production très insuffisante,  manquent cruellement de ce minerai. Ils sont intéressés, bien sûr, par la  ressource de la Nouvelle-Calédonie, ce qui est perçu par les Calédoniens comme une opportunité économique sans pareille. Tesla, la marque de voiture électrique d’Elon Musk, a signé un contrat avec Prony Resources en octobre dernier. Prony Resources est une entreprise calédonienne qui produit et vends du nickel hydroxyde cake, une matière mélangeant cobalt et nickel,  utilisée dans les batteries lithium par Tesla.

Les enjeux de la Nouvelle-Calédonie, on l’a vu, ne se cantonnent pas seulement au nickel, mais  aussi à sa position stratégique. L’ouverture économique de la Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique est une nécessité pour que l’île puisse pérenniser sa croissance sans se faire manger par les gros poissons. 


Source photo bandeau : Thaïs Rigaux

(*) Thaïs Rigaux, diplômée d’une licence en langues étrangères appliquées (Anglais-Espagnol-Portugais), est actuellement étudiante en Master 2 Conflictualités et Médiation. Elle a rédigé un mémoire sur l’exploitation des ressources énergétiques dans le delta du Niger. Dans le cadre d’un stage, elle a travaillé dans un cabinet ministériel, au sein du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie pendant près de 3 mois en 2022.

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