Le terrible gâchis

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Renaud Girard (*)

Journaliste
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Colère et amertume sont les sentiments qui animent l’auteur. Pour lui, Vladimir Poutine et  Georges W. Bush sont à mettre dans le même bateau, celui des responsables nuisibles à l’humanité, inconscients des calamités qu’ils provoquent.

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Il y a tout juste un an, le président Poutine prenait la lourde décision d’entrer en guerre contre son voisin. L’Ukraine menaçait-elle l’existence, la souveraineté ou la vie paisible de la Russie ? Non.

Qu’a gagné et qu’a perdu la Russie, après un an de guerre et au moins cent mille de ses jeunes hommes tués, blessés ou faits prisonniers ? Elle a conquis 15% du territoire ukrainien. Ces terres ne sont plus que ruine et désolation, désertées par la jeunesse.

Elle a, certes, consolidé l’approvisionnement en eau potable de la Crimée, annexée en 2014, et fait de la mer d’Azov un lac intérieur russe. La Russie, qui en a déjà tant, avait-elle vraiment besoin de ces hectares et de ces kilomètres de rivage supplémentaires ?

Quoi qu’il en soit, il est flagrant, stratégiquement, qu’elle a beaucoup plus perdu qu’elle n’a gagné. L’influence, considérable, qu’elle conservait en Ukraine est perdue pour très longtemps. Trop de morts, trop de destructions, trop de crimes de guerre.          

Tout le commerce, très profitable pour elle, qu’elle faisait avec les Européens, est également fini, tant qu’elle n’a pas présenté ses excuses. Même si la paix revient un jour, les investisseurs européens réfléchiront à deux fois avant de retourner en Russie. Tout se passe comme si Vladimir Poutine n’avait pas compris que, dans le monde contemporain, le soft power était beaucoup plus efficace que le hard power pour protéger son influence politique et ses intérêts économiques.   

Que s’est-il passé, il y a un an, dans la tête de ce chef d’Etat qui avait, jusque-là, toujours agi rationnellement ? Comme les Américains, qui proposèrent une place de réfugié au président Zélenski, sans doute n’avait-il pas anticipé une résistance aussi farouche dans le camp ukrainien. Sans doute avait-il également exclu une solidarité aussi profonde du camp occidental envers le peuple agressé.

L’armée russe pensait, en février 2022, qu’elle prendrait Kiev en trois jours. Ses soldats avaient, dans leurs paquetages, leurs uniformes de parade, en prévision d’un défilé de la victoire dans la capitale ukrainienne dûment « dénazifiée ». Mais, grâce au courage des défenseurs ukrainiens et à l’efficacité du renseignement militaire américain, le coup de poker de Poutine échoua. Le problème est qu’il n’avait pas prévu de plan B. Il fut donc obligé de s’enfoncer, toujours plus profond, dans le conflit, passant progressivement d’une « opération militaire spéciale » à une « guerre totale ».

Quel immense gâchis, pour la Russie et pour le monde ! La Russie avait d’autres options. Au lieu du rêve chimérique de reconstitution de l’Empire des tsars, elle aurait pu, géographiquement, s’investir entièrement dans le développement de l’immense Sibérie. Socialement, elle aurait pu créer un Etat de droit qui fonctionne, à la place d’un Etat policier corrompu : les investisseurs se seraient alors précipités chez elle. Internationalement, elle aurait pu devenir un leader respecté dans la préservation de l’Océan glacial arctique et le combat climatique.

Que d’occasions manquées par les grandes puissances pour le bien commun de l’humanité en ce début de XXIème siècle ! Imaginons que l’Amérique de Bush ait renoncé à envahir l’Irak et ait dépensé la même somme d’argent dans un vaste programme de protection des mers – contre la surpêche, la piraterie, la pollution… Grâce à sa marine, la première au monde, elle aurait réglé les problèmes océaniques et recueilli la reconnaissance du monde entier.

George W. Bush et son armée. Photo White House/Paul Morse

Les fauteurs de guerre, comme Bush ou Poutine, sont toujours persuadés qu’ils œuvrent pour le bien et contre le mal. Pour George W Bush, il s’agissait, en Mésopotamie, de remplacer une dictature « dotée d’armes de destruction massive » par un régime démocratique prooccidental, qui ferait tache d’huile dans tous les pays du monde arabo-musulman. A la fin, tous ces pays démocratiques feraient mécaniquement la paix avec Israël, car Kant a enseigné que les démocraties ne se faisaient jamais la guerre.

Pour Poutine, il s’agissait de « libérer » ses « frères » ukrainiens, qui avaient eu la malchance de tomber sous la coupe de dirigeants « nazis ».

Dans les deux cas des invasions irakienne et ukrainienne, on retrouve trois mêmes caractéristiques : un constat de départ biaisé, une sous-estimation de la fierté des populations attaquées, un refus d’examen préalable des conséquences, en cas d’échec, de la guerre préventivement menée.

Lorsque la France lança, abruptement, en mars 2011, une guerre contre la Libye, il n’y eut pas un décideur français pour anticiper une déstabilisation prolongée de l’ensemble du Sahel. Seul le président du Niger nous lança un avertissement solennel.

Les fauteurs de guerre sont toujours aveuglés par leur conception de la justice ; ils n’anticipent jamais la possibilité d’un immense gâchis humain comme conséquence de leurs décisions.

 

(*) Renaud GIRARD, diplômé de l’Ecole Normale Supérieure et de l’ENA, est journaliste et a couvert la quasi-totalité des conflits de la planète depuis 1984. Il est éditorialiste de politique étrangère au Figaro depuis 2013. Auteur de sept livres consacrés aux affaires internationales, il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Bayeux des correspondants de guerre pour son reportage « l’OTAN dans le piège afghan à Kandahar ». Il est également professeur de stratégie internationale à Sciences-Po.

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